Synthèse publiée le : 15/06/2020

Synthèse :
Rôle des perturbateurs endocriniens sur la fertilité masculine : une question qui reste ouverte

L’exposition aux perturbateurs endocriniens (PE) – composés chimiques omniprésents dans l’environnement et les produits de consommation courante pouvant interférer avec le système hormonal y compris à faible dose – est suspectée de jouer un rôle dans la détérioration de la santé reproductive masculine observée depuis plusieurs décennies avec des disparités selon les pays et les régions.
La responsabilité des PE reste difficile à établir notamment en raison de l’exposition des populations à des mélanges de composés chimiques et de l’existence de multiples facteurs confondants pouvant avoir des effets sur la fertilité masculine. Une approche « multipolluants » a été récemment développée afin de caractériser les associations entre biomarqueurs d’exposition à des contaminants environnementaux et des paramètres évaluant la qualité du sperme.
Cette nouvelle démarche dite panexposomique1 s’accorde avec l’évolution des modes de pensée (introduction du concept d’exposome) et des pratiques (développement des techniques de criblage à haut débit) en épidémiologie.

 

Perturbateurs endocriniens et santé reproductive masculine

Des altérations de la fonction de reproduction mâle ont été rapportées dans de nombreuses espèces de la faune sauvage en lien avec une pollution de l’environnement, en particulier aquatique. Différentes expérimentations menées chez les rongeurs ont permis de caractériser certains effets et mécanismes d’action des PE sur la fonction reproductrice masculine. La plupart des études expérimentales ont cependant été réalisées avec un seul PE, utilisé à des doses souvent supérieures à la dose d’exposition humaine.
Une analyse des variations temporelles et géographiques des quatre composantes du syndrome de dysgénésie testiculaire,2 un concept proposé par le Danois Niels Skakkebaek dès 2001 mais qui reste controversé, confirme l’altération globale de la santé reproductive masculine en France [1]. L’hypothèse sous-jacente est que l’exposition précoce pendant la vie intra-utérine à des PE serait à l’origine d’anomalies du développement de l’appareil génital masculin avec une augmentation du risque de malformations congénitales chez le garçon (hypospadias et cryptorchidies) ainsi que de cancers du testicule et d’une mauvaise qualité du sperme à l’âge adulte. La qualité du sperme a été évaluée à partir de la base de données Fivnat3 sur l’aide à la procréation chez 26 609 hommes partenaires de femmes stériles (la fertilité des hommes sélectionnés originaires de l’ensemble de la France métropolitaine a été considérée similaire à celle de la population générale). Les tendances temporelles montrent un déclin de la qualité du sperme depuis 1989. Une précédente étude réalisée en région parisienne de 1973 à 1992 sur un échantillon de 1 351 donneurs de sperme fait suspecter un déclin datant au moins des années 1970. Une étude transversale récente réalisée en Suisse montre aussi une qualité du sperme dégradée à l’échelon national avec seulement 38 % des hommes ayant un sperme de bonne qualité selon les critères de référence de l’OMS. Le rôle délétère du tabagisme maternel sur la qualité du sperme des hommes exposés in utero était significatif [2]. Une diminution importante de la qualité du sperme en 15 ans est également observée dans une étude menée chez 30 636 donneurs de banques de sperme chinoises de villes très polluées [3]. Ces résultats sont cohérents avec trois méta-analyses qui montrent une détérioration de la qualité du sperme dans les pays développés. La plus récente [4] conclue à une baisse linéaire de la concentration spermatique de 1,4 % par an dans les pays occidentaux entre 1973 et 2011.

L’augmentation des cas de cryptorchidie et d’hypospadias observée est plus difficile à interpréter car les indicateurs utilisés n’identifient que les cas traités chirurgicalement. Une augmentation de l’incidence du cancer du testicule a été observée dans beaucoup de pays développés au cours des dernières décennies. En France, le taux annuel d’évolution est de 1,5 %, comparable à celui de l’Allemagne et de la Suisse et plus faible que ceux de l’Espagne (6 %) et de la Finlande (4 %).


Une nouvelle approche pour évaluer l’impact sur la fertilité de l’exposition
aux facteurs environnementaux : les études d’association panexposomiques
(exposome-wide association studies – EWAS)

L’exposome est défini comme la totalité des expositions environnementales incluant les facteurs liés au mode de vie tout au long de la vie. Ce concept impose d’avoir la capacité d’évaluer avec précision les expositions multiples et variables dans le temps et dans l’espace depuis la période prénatale jusqu’au décès afin d’intégrer toutes les informations pertinentes, en particulier pendant les périodes les plus sensibles. Cependant, contrairement au génome, l’exposome est difficile à caractériser et évolue tout au long de la vie. Il peut être approché par la collecte de données sur les habitudes de
vie et par des données recueillies par des capteurs individuels sur la pollution de l’environnement, ainsi que par la mesure des substances d’origines exogène et endogène circulant dans le sang ou dans d’autres milieux (urines, lait maternel, microbiote, biopsies tissulaires, etc.). L’étude d’association panexposomique (exposome-wide association study - EWAS) permettrait, à l’instar des études d’association pangénomique (genome-wide association studies – GWAS), de mettre en évidence des associations non attendues entre facteurs environnementaux et effets sur la santé au moyen d’une recherche non ciblée sans hypothèses de départ.

Les études de l’exposome semblent prometteuses pour explorer les effets de l’exposition aux PE sur la santé reproductive masculine, en particulier pendant les périodes de développement de l’appareil reproducteur masculin, y compris in utero. Une première étude a exploré l’intérêt et la puissance statistique nécessaire pour utiliser l’approche EWAS dans l’évaluation de la relation entre PE et qualité du sperme des partenaires masculins de couples suivis dans la cohorte américaine LIFE (Longitudinal Investigation of Fertility and the Environment) [5]. La population étudiée comprenait 501 couples sans diagnostic d’infertilité posé par un médecin et ayant arrêté une contraception dans le but d’avoir un enfant. 473 partenaires masculins ont fourni des échantillons de sperme. Les couples recrutés entre 2005 et 2009 ont effectué des entretiens de base standardisés, des évaluations anthropométriques et devaient remplir un journal de bord quotidien pour caractériser leur mode de vie. Au total, 128 perturbateurs endocriniens appartenant à 15 classes chimiques ont été mesurés dans les urines et le sang : 66 PE persistants parmi lesquels des métaux lourds, des pesticides organochlorés, des substances perfluoroalkyles et polyfluoroalkyles (PFAS), un biphényle polybromé (PBB), des éthers de biphényle polybromés (PBDE) et des polychlorobiphényles (PCB). L’étude a aussi évalué des PE non persistants comme le bisphénol A (BPA), des phtalates et des parabènes. La qualité du sperme a été évaluée selon des critères de référence (mobilité le jour suivant le recueil, volume séminal, concentration spermatique, nombre total de spermatozoïdes, morphologie selon les critères de l’OMS, qualité de l’ADN avec notamment un test de fragmentation).

L’analyse multivariée réalisée après prise en compte de facteurs de confusion (âge, indice de masse corporelle, tabagisme, activité physique régulière et intense l’année précédente, paternité) n’a pas mis en évidence d’association entre la mesure quantifiée de ce large spectre de perturbateurs endocriniens et la qualité du sperme. Il est à noter que plusieurs études antérieurement publiées à partir de la même cohorte avaient montré des associations significatives entre des PE appartenant à des classes spécifiques (benzophénones, phtalates) et la qualité du sperme.

Ce résultat négatif serait expliqué par le manque de puissance statistique de l’étude (n = 473). La taille de l’échantillon requise serait de 2 696 hommes pour identifier des associations entre des facteurs environnementaux et des anomalies de la qualité du sperme. Ce travail met en lumière les difficultés d’ordre statistique de cette nouvelle approche. Par ailleurs, cette étude réalisée chez l’adulte ne reflète pas forcément les expositions aux périodes précoces de sensibilité aux PE, en particulier in utero.

La mise en oeuvre du concept d’exposome en santé environnementale nécessitera aussi de considérer que les expositions ne se limitent pas aux produits chimiques synthétiques mais comprennent également les nutriments, les médicaments, les produits d’agents infectieux, les métabolites du microbiote, le stress physique et le stress psychosocial. Une simplification excessive des expositions environnementales pourrait conduire à des conclusions erronées.

Le défi pour les années à venir est de confirmer cette tendance à la baisse de la fertilité masculine, d’évaluer sa possible réversibilité et d’arriver à quantifier la part attribuable à des facteurs environnementaux de ce qui relève d’autres facteurs, en particulier génétiques. Le lien entre mauvaise qualité du sperme et augmentation de la morbi-mortalité récemment mis en évidence souligne l’intérêt de cette recherche [6].

 

Références
[1] Le Moal J, Rigou A, De Crouy-Chanel P, Goria S, et al. Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire en France, dans le contexte de l’exposition aux perturbateurs endocriniens : cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et qualité du sperme. BEH 2018 ; 22-23 : 452-63.
[2] Rahban R, Priskorn L, Senn A, et al. Semen quality of young men in Switzerland: a nationwide crosssectional population-based study. Andrology 2019 ; 7 : 818-26.
[3] Huang C, Li B, Xu K, et al. Decline in semen quality among 30 636 young Chinese men from 2001 to 2015. Fertil Steril 2017 ; 107 : 83-8.
[4] Levine H, Jorgensen N, Martino-Andrade A, et al. Temporal trends in sperm count: a systematic review and meta-regression analysis. Hum Reprod Update 2017 ; 23 : 646-59.
[5] Chung M-K, Buck Louis GM, Kannand K, et al. Exposome-wide association study of semen quality: Systematic discovery of endocrine disrupting chemical biomarkers in fertility require large sample sizes. Environ Int 2019 ; 125 : 505-14. doi: 1016/j.envint.2018.11.037.
[6] Latif T, Kold Jensen T, Mehlsen J, et al. Semen quality is a pr¬edictor of subsequent morbidity. A Danish cohort study of 4,712 men with long-term follow-up. Am J Epidemiol 2017 ; 186 : 910-7. doi: 10.1093/aje/kwx067.

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Notes

1. Les études d’association panexposomique (exposome-wide association studies – EWAS) utilisent des méthodes mathématiques d’études d’association multiples permettant l’analyse combinée de nombreux paramètres d’exposition à l’instar des études d’association pangénomique (genome-wide association studies – GWAS).

2. Le syndrome de dysgénésie testiculaire (testicular dysgenesis syndrome, TDS) est un trouble du développement des testicules pouvant conduire à des malformations congénitales (hypospadias, cryptorchidies) chez le garçon, ainsi qu’à un risque accru de cancer du testicule et une mauvaise qualité du sperme à l’âge adulte, qui constituent les quatre composantes du syndrome

3. Registre national des fécondations in vitro de l’association Fivnat :https://epidemiologie-france.aviesan.fr/epidemiologie-france/fiches/registre-national-des-fecondations-in-vitro-de-l-association-fivnat-1986-2005