ANALYSE D'ARTICLE

Toxicité chronique et aiguë des aflatoxines : mécanismes d’action

Les aflatoxines sont les mycotoxines les plus préoccupantes pour la sécurité alimentaire en raison de leur large diffusion dans les denrées alimentaires et les aliments pour animaux, et leurs fortes toxicités. Depuis leur découverte, les aflatoxines ont été associées au cancer du foie, l’arachide, le maïs et leurs dérivés étant les principaux vecteurs. Géographiquement, les régions tropicales et subtropicales sont les plus touchées. Bien que les aflatoxines aient été principalement associées aux maladies cancéreuses, il est maintenant bien établi qu’elles provoquent diverses autres maladies aiguës et chroniques, dont la plupart sont graves [1].

L’exposition répétée à de faibles doses d’aflatoxines sur la vie entière provoque des maladies chroniques, notamment le cancer. Bien que l’apport alimentaire d’aflatoxines ait été classiquement associé à un cancer primaire du foie [2], d’autres organes et éléments, tels que le rein, le pancréas, la vessie, les os, les viscères, etc., ont également été signalés comme pouvant développer un cancer après exposition à ces mycotoxines [1]. En outre, il a été prouvé que les aflatoxines provoquaient des troubles pulmonaires [3] et des cancers professionnels de la peau [4]. En fait, l’exposition chronique aux aflatoxines provoque toute une série d’autres maladies graves, notamment l’immunosuppression, la tératogénicité, la mutagénicité, la cytotoxicité et les effets oestrogéniques chez les mammifères [5]. De plus, on pense que les aflatoxines peuvent être impliquées dans des troubles nutritionnels, tels que le kwashiorkor et l’altération de la croissance, probablement en interférant avec l’absorption de micronutriments (comme le zinc, fer et vitamines), la synthèse des protéines et les activités enzymatiques [6, 7]. Chez les animaux domestiques, les aliments contaminés par des doses sublétales d’aflatoxines induisent une baisse de la prise de masse et de la reproduction, une sensibilité accrue aux maladies, et une moindre qualité des aliments qu’ils produisent [8]. Malgré le caractère insidieux de l’aflatoxicose chronique, son impact sur la santé publique mondiale est plus grave et plus coûteux que l’aflatoxicose aiguë. Bien que les épidémies d’aflatoxicose provoquent des centaines de décès de manière intermittente, ils peuvent être évités ou interrompus après analyse des cultures/aliments suspects, par exemple en cas de moisissure évidente, et leur élimination si les niveaux d’aflatoxines dépassent les normes réglementaires.

Les aflatoxines exercent divers effets adverses avec des mécanismes différents dont la plupart ne sont pas encore entièrement élucidés. Les effets mutagènes de l’aflatoxine B1 (AFB1) ont fait l’objet de la plupart des études depuis la découverte de cette aflatoxine et ont été attribués principalement au métabolite intermédiaire AFB1-exo-8,9 époxyde [9]. Cette molécule, très instable, réagit avec les macromolécules cellulaires, y compris les acides nucléiques, les protéines et les phospholipides, pour induire divers signaux génétiques, métaboliques et de signalisation, et perturber la structure cellulaire [10-12]. Cependant, des preuves de plus en plus nombreuses montrent des effets importants de l’AFB1 sur la fonction et l’intégrité des cellules par l’induction d’un stress oxydant [13-15].

Commentaire

Cette revue pointe la situation actuelle quant à la rareté et au manque d’informations sur les aflatoxines. Ce sont des mycotoxines produites par certains micromycètes (par exemple, Aspergillus flavus) proliférant notamment sur des graines conservées en atmosphère chaude et humide. De très nombreux produits alimentaires destinés à la consommation humaine ou aux animaux d’élevage peuvent en contenir en quantité parfois importante : arachides, maïs, blé, céréales diverses, amandes, mais aussi les aliments/plats préparés à partir de ces céréales, farine, pain, viennoiseries, sans oublier la viande des animaux nourris à partir de ces céréales contaminées... Bien que l’on connaisse certains éléments de leur toxicité, des recherches sont encore nécessaires afin d’identifier plus avant les mécanismes de leurs interactions avec les molécules biologiques. On connaît bien leur action hépatotoxique, mais on en sait peu sur leur implication en matière de reprotoxicité et de neurotoxicité. Les connaissances sur les conséquences à long terme des maladies liées à la malnutrition demeurent également parcellaires. Outre les principales aflatoxines (AFB1, AFB2, AFG1 et AFG2), les autres (on en dénombre 18) ont été largement négligées en ce qui concerne leur profil de toxicité et leur présence dans les aliments. Depuis les années 1960, de nombreux travaux ont été réalisés pour évaluer leur toxicité. Néanmoins, l’ampleur et la nature de leurs effets adverses ne sont pas bien comprises en raison de leur grande complexité et du chevauchement des facteurs de risque, dont certains peuvent être des facteurs de confusion. Cependant, l’avènement de nouveaux outils analytiques sensibles permettrait de progresser rapidement dans l’élucidation des mécanismes de toxicité des aflatoxines et d’aider à concevoir de nouveaux moyens préventifs ou thérapeutiques. Une avancée des connaissances dans ce domaine pourrait servir d’outil scientifique aux autorités chargées de la sécurité alimentaire.

  • [1] Fouad M.A., Ruan D., El-Senousey K.H., Chen W., Jiang S., Zheng C. Harmful effects and control strategies of aflatoxin B1 produced by Aspergillus flavus and Aspergillus parasiticus strains on poultry: review. Toxins (Basel). 2019;11:176.
  • [2] McGlynn K.A., London W.T. Epidemiology and natural history of hepatocellular carcinoma. Best Pract Res Clin Gastroenterol. 2005;19:3-23.
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Publication analysée :

* Benkerroum N. Chronic and acute toxicities of aflatoxins: mechanisms of action. Int J Environ Res Public Health. 2020 ; 17(2) : 423. Doi : 10.3390/ijerph17020423