ANALYSE D'ARTICLE

Biodisponibilité du mercure pour les poissons et l’homme : surévaluée ?

Bien que la toxicité du mercure appelle indubitablement des mesures protectrices, le discours sur les risques de la consommation de poisson mériterait d’être nuancé pour les auteurs de cet article, qui engagent à revoir et compléter les connaissances relatives à la biodisponibilité du contaminant.

Although the toxicity of mercury undoubtedly requires protective measures, the authors of this study recommend a more nuanced approach when warning of the risks of eating fish, and call for a more thorough review and fuller knowledge of the bioavailability of this contaminant.

Si, pour certaines populations, la consommation de viande de mammifères marins (région arctique) ou de riz contaminé (provinces intérieures de la Chine) est incriminée, le principal aliment considéré pour l’exposition humaine au méthylmercure (MeHg) est le poisson. L’exposition est évaluée à partir de données de contamination (quantité de MeHg présente dans le poisson) et de consommation (quantité et fréquence). Les modèles habituellement utilisés présument que 95 à 100 % du MeHg ingéré atteint la circulation systémique. Ce postulat pourrait être erroné au vu de récentes recherches, conduisant à surestimer le risque de la consommation de poisson par rapport à ses bénéfices nutritionnels (apport en protéines, acides gras oméga-3, vitamine D, sélénium, etc.).

Appuyé sur la littérature publiée jusqu’en octobre 2016, cet article débute par un point des connaissances relatives à l’assimilation, par les poissons, du mercure présent dans leur environnement. Les auteurs passent en revue plusieurs notions communément admises.

Synthèse des études chez le poisson

L’alimentation constitue, pour les poissons aussi, la principale source de mercure organique (80 à 90 % de l’apport total en MeHg, le reste provenant de l’eau), la fraction étant plus variable (32 à 92 %) pour le mercure inorganique (Hg[II]). Vingt-cinq études intéressant 21 espèces marines, d’eau douce ou pouvant s’adapter à différents degrés de salinité, rapportent l’efficience de l’assimilation du mercure ingéré, mesurée par la quantité retenue dans l’organisme et représentant le résultat net des processus d’absorption et d’élimination. Dans leur ensemble, elles valident une meilleure assimilation du MegH que du Hg(II), mais pas la notion d’une rétention quasiment totale du MegH. Le taux d’assimilation varie de manière considérable (de 10 à 100 %) au travers des expérimentations, selon le type d’aliment administré, et possiblement sa teneur en mercure ainsi que la durée de l’exposition. Les auteurs relèvent qu’une alimentation « naturelle » n’a été utilisée que dans deux études. Dans la première, du muscle de poisson sauvage provenant d’un environnement aquatique très ou peu contaminé a été incorporé à des granulés distribués à des poissons rouges : le taux d’assimilation du mercure était de 98 % quel que soit le niveau de contamination de l’aliment. Par contraste, il n’était que de 19 % chez des brochets nourris avec des carpes entières dans la seconde étude se rapprochant des conditions de vie réelles du prédateur.

Qu’il s’agisse d’études de laboratoire ou d’intervention (transfert des poissons d’un milieu contaminé à un milieu sain), toutes indiquent en revanche la lenteur de l’élimination du MeHg dont la demi-vie dans le muscle de brochet a été estimée à 3,3 ans, ce qui s’accorde avec la notion d’une élévation de la charge corporelle en mercure avec l’âge et la taille du poisson.

Biodisponibilité pour l’homme

L’hypothèse d’une assimilation de 95 à 100 % du mercure contenu dans la chair du poisson est en grande partie fondée sur des données anciennes et limitées, obtenues dans des conditions éloignées de la réalité de l’exposition alimentaire. L’une des premières études, publiée en 1971 (15 volontaires sains âgés de 27 à 48 ans) reposait ainsi sur un protocole d’administration unique d’une petite portion de poisson dans laquelle du nitrate de mercure avait été injecté, alors que le mercure présent dans le muscle de poisson l’est essentiellement sous forme de MeHg lié aux résidus cystéine des protéines.

Vingt études publiées entre 2004 et 2016 couvrent certains aspects de la biodisponibilité du mercure des produits de la mer (mercure total, MeHg ou les deux), principalement sa bioaccessibilité (fraction du produit ingéré dissoute par les sucs digestifs et libérée dans l’intestin). Seules trois études ayant intégré les étapes d’absorption intestinale et de métabolisme fournissent un aperçu complet de la biodisponibilité. Les estimations, obtenues par différents modèles de digestion in vitro en l’absence de méthode standardisée, sont très variables : la bioaccessibilité va de 2 à 100 % pour le MeHg et de 0,2 à 94 % pour le mercure total ; le taux d’absorption est compris entre 12 et 79 % pour le MeHg et entre 49 et 69 % pour le mercure total.

Trois études réalisées suivant des méthodes globalement comparables ont inclus 10 à 20 produits différents (poissons, coquillages, crustacés) communément consommés à Hong Kong, Valence (Espagne) ou Montréal (Canada). La bioaccessibilité in vitro du MeHg fluctue de manière importante selon le produit, respectivement de 20 à 59 % dans la première étude, de 35 à 106 % dans la deuxième et de 50 à 100 % dans la troisième où le taux d’absorption est estimé entre 29 et 67 %.

Autres facteurs de variabilité

Sept études rapportent l’influence de différentes méthodes de cuisson sur la concentration de MeHg et/ou de mercure total dans des morceaux consommables de plusieurs espèces de poissons (thon, espadon, bar, maquereau, colin et sardine notamment). Si la cuisson tend, d’une manière générale, à augmenter la concentration de mercure, probablement par déshydratation, elle tend également à diminuer sa bioaccessibilité, d’autant plus qu’elle est intense. Celle du mercure total dans des échantillons de maquereau espagnol, de roussette et de thon rouge, est ainsi réduite de 38 % en moyenne quand le poisson est bouilli contre 65 % quand il est frit dans l’une des deux seules études ayant été jusqu’à examiner la bioaccessibilité. Malgré l’importance du sujet, les auteurs n’identifient aucune étude ayant exploré plus avant l’effet de la préparation des aliments en vue de leur consommation sur la biodisponibilité du mercure. Ils soulignent par ailleurs l’absence de méthode standardisée limitant l’utilité et la comparabilité des travaux disponibles. Pour le thon, par exemple, considéré comme l’une des sources alimentaires de mercure les plus préoccupantes, des valeurs de bioaccessibilité du MeHg allant de 63 à 84 % (poisson cru) et de 26 à 76 % (conserve) ont été rapportées, sans qu’il soit possible de savoir si ces fourchettes sont imputables à des différences méthodologiques, de zone de capture ou d’espèce.

L’influence des autres composants du repas nécessite également d’être explorée. Deux études récentes fondées sur des modèles de digestion suggèrent que la bioaccessibilité du mercure de produits de la mer peut être notablement réduite par la consommation de thé, de café et de plusieurs aliments sources de fibres, tandis qu’une étude épidémiologique brésilienne limitée (26 femmes) suggère un effet protecteur de la consommation de fruits. La biodisponibilité du mercure pourrait enfin varier en fonction de facteurs génétiques ou, comme quelques études expérimentales l’indiquent, selon le microbiote. Des avancées dans toutes ces directions permettraient de mieux caractériser le risque lié à la consommation de poisson, tenant compte de la diversité des espèces et des situations.

 


Publication analysée :

* Bradley M1, Barst B, Basu N. A review of mercury bioavailability in humans and fish. Int J Environ Res Public Health 2017; 14: 169. doi: 10.3390/ijerph14020169

1 School of Dietetics and Human Nutrition, McGill University, Montréal, Canada.