Contaminants

Phytosanitaires

YearBook 2023

Guillaume Karr (1), Denis Zmirou-Navier (2)

1. Expert externe auprès de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe) en tant que membre du groupe de travail consacré à l’objet de cet article, Paris La Défense. Formateur en santé environnementale pour parents
2. Président de la Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe), Paris La Défense

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Synthèse publiée le : 29/06/2023

SYNTHÈSE :
Autorisation des pesticides dans l'Union Européenne : gestion des liens d'intérêts par les autorités compétentes

Pour obtenir des contextes d’expertise favorables à la confiance des citoyens, l’Union européenne devrait, selon la cnDAspe, tendre à homogénéiser la gestion des liens d’intérêts dans les différentes autorités compétentes des États membres, notamment en tenant compte des bonnes pratiques de référence adoptées par l’EFSA, et rendre publiques les principales informations associées : règles de gestion, critères d’analyse, déclarations publiques d’intérêt, rapports d’audits, etc.

 

Constat de pratiques hétérogènes

La Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe) a été amenée, dans le cadre de ses missions, à examiner le processus d’expertise conduisant aux autorisations de mise sur le marché (AMM) de certains pesticides au sein de l’Union européenne. Ce processus s’appuie notamment sur les contributions des autorités compétentes (AC) des différents États membres, notamment en tant que (co-)rapporteurs de dossiers d’autorisation ou en tant que participants aux revues par les pairs au sein de comités d’experts. Celles-ci sont donc tenues de définir des règles de gestion des potentiels liens d’intérêts des personnes impliquées, qu’il s’agisse d’experts internes, externes ou des instances de gouvernance et cadres supérieurs de ces AC.

Concernant ces règles, les travaux de la cnDAspe ont permis d’identifier :

  • plusieurs différences significatives entre les AC considérées ;
  • des écarts avec les bonnes pratiques retenues par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) [1].

Ces différences et écarts pourraient avoir une influence sur les conclusions des expertises menées et donc sur la qualité de l’évaluation des risques pour la santé et pour l’environnement, selon les États membres qui ont le mandat d’être rapporteurs ou corapporteurs de tel ou tel dossier auprès de l’EFSA. Or, une fois l’homologation d’une « substance active »[1] accordée par la Commission européenne, sur avis de l’EFSA, elle peut donner lieu à une autorisation de mise sur le marché d’un pesticide commercial la contenant, qui peut alors circuler dans l’ensemble de l’UE, notamment en France.

Dans ce cadre, la cnDAspe a souhaité réaliser un premier état des lieux et une analyse comparative des règles existantes en Europe.

 

Recensement et analyse comparative des règles de gestion existantes

Afin de caractériser les règles de gestion existantes, dix-huit critères ont été élaborés par un groupe de travail (GT) dédié :

  • en s’inspirant notamment des règles retenues par l’EFSA [1] ;
  • sur la base de propositions et de bonnes pratiques observées par les membres du GT dans certaines AC ;
  • après examen collégial et validation par la cnDAspe.

L’ensemble des dix-huit critères retenus est détaillé dans une note mise en ligne sur le site Internet de la cnDAspe [2]. À titre d’illustration, ils incluent les critères suivants :

  • une déclaration publique d’intérêt (DPI) doit-elle être renseignée préalablement à un recrutement par l’AC ?
  • les critères d'analyse des liens d'intérêt sont-ils en libre accès sur Internet ?
  • les DPI des personnes en lien avec le processus d’AMM sont-elles en libre accès sur Internet ?
  • quelle est la durée de la période passée couverte par la DPI ?
  • quelle est la structure en charge de l’analyse des DPI renseignées ?
  • y a-t-il un délai minimal avant la possibilité d'accepter une nouvelle activité pouvant présenter un conflit d’intérêts avec les activités de l’AC ?
  • y a-t-il des audits réguliers de la mise en œuvre des règles de gestion des liens d'intérêts ?
  • le contenu renseigné dans les DPI fait-il l’objet de certaines vérifications ?

Pour initier ce projet d’état des lieux européens, 9 AC d’États membres ont été étudiées en 2022 : Anses (France), Bfr (Allemagne), Ctgb (Pays-Bas), KEMI (Suède), Nébih (Hongrie), Tukes (Finlande), ministère polonais de l’Agriculture et du Développement rural, ÚKZÚZ (République tchèque), ministère italien de la Santé. Cette sélection d’AC a visé à :

  • obtenir un échantillon varié d’États membres, notamment en tenant compte des trois zones d’autorisation établies par la réglementation européenne : nord, centre et sud ;
  • intégrer les AC qui ont coproduit, en 2021, le pré-rapport d’évaluation des risques en vue du renouvellement de l’homologation du glyphosate.

En parallèle, l’EFSA et l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) ont également été étudiées, en tant qu’AC de niveau européen.

Pour chaque AC étudiée, les critères retenus ont été renseignés :

  • sur la base des informations disponibles sur le site Internet de l’AC considérée, le cas échéant après traduction des informations présentées en langue nationale ;
  • en distinguant trois types de personnes : experts externes, experts internes et « cadres supérieurs et instances de gouvernance ».

Chaque AC a reçu les résultats la concernant, par un courrier officiel de la cnDAspe. Ce courrier a notamment invité les AC à :

  • fournir les informations importantes et non trouvées en ligne, afin de compléter l’état des lieux et l’analyse de la cnDAspe ;
  • corriger les potentielles incompréhensions et inexactitudes dans les résultats transmis. Le cas échéant, les corrections apportées ont été tracées, avec les justifications apportées par l’AC.

 

Principaux résultats obtenus

L’ensemble des renseignements réalisés est détaillé sur le site Internet de la cnDAspe [2]. Concernant ce sujet des règles de gestion des liens d’intérêts dans le processus d’AMM des pesticides au sein de l’Union européenne, les résultats peuvent être considérés comme un état des lieux de première approche, à compléter par la suite avec les autres AC impliquées.

En complément, sur la base des informations obtenues, la cnDAspe a mené une analyse comparative, dont le détail est fourni dans une note dédiée [2]. Les principaux résultats incluent les suivants :

  • les règles de gestion identifiées confirment l’existence d’une forte hétérogénéité selon les AC considérées. Cette hétérogénéité peut porter sur la transparence sur les règles adoptées et/ou sur les règles elles-mêmes. Cette situation est peu compatible avec les rôles similaires que ces AC peuvent jouer dans le processus d’AMM des pesticides de l’Union européenne, dont les résultats peuvent avoir une forte influence sur la gestion des risques liés aux pesticides dans l’ensemble des États membres ;
  • au regard des informations disponibles en libre accès sur Internet, de nombreux critères retenus par la cnDAspe n’ont pas pu être renseignés. En particulier, pour la plupart des AC étudiées, ces informations n’ont pas permis de s’assurer de l’application des bonnes pratiques retenues par l’EFSA [1]. Par exemple, pour 8 des 9 AC étudiées, les critères d'analyse des liens d'intérêt ne sont pas en libre accès sur Internet, et pour 1 des AC, aucun des 18 critères retenus n’a pu être renseigné faute de document accessible les décrivant. Dans son courrier de réponse, cette AC a indiqué ne pas avoir d’observation à faire sur les résultats transmis par la cnDAspe. D’une manière générale, cette situation peut être considérée comme ne répondant pas au « haut niveau de transparence pour toutes les activités » mis en avant par l’EFSA [3] ;
  • sur la base des informations collectées, des écarts significatifs avec les bonnes pratiques retenues par l’EFSA ont été identifiés. Par exemple, seules 2 AC sur 9 publient en ligne les déclarations publiques d’intérêts de leurs cadres supérieurs.

 

Conclusion : vers des contextes d’expertise plus favorables à la confiance

Concernant les règles de gestion des liens d’intérêts des experts participant au processus d’autorisation des pesticides dans l’Union européenne, ce premier état des lieux a permis d’identifier de fortes différences entre les autorités compétentes étudiées et des écarts significatifs par rapport aux bonnes pratiques retenues par l’EFSA.

Dans ce cadre, l’analyse comparative réalisée par la cnDAspe l’a conduite à recommander, au sein de l’Union européenne, que les règles de gestion des liens d’intérêts soient :

  • plus homogènes entre les différentes autorités compétentes ;
  • mieux conformes aux bonnes pratiques de référence, notamment au regard de celles retenues par l’EFSA ;
  • plus transparentes, notamment avec un accès libre sur Internet aux principaux documents liés à la gestion des liens d’intérêts des experts sollicités.

Selon le « Baromètre 2022 » sur la perception des risques et de la sécurité par les Français [4], « les taux de défiance […] sont les plus forts en 2021 pour les pesticides (55 %), qui confirment leur domination établie dans ce domaine ». De plus, selon un rapport de France Stratégie daté de 2018 [5], « malgré le crédit dont les savants jouissent encore, il semble qu’il faille, plutôt que de chercher à restaurer la confiance, apprendre à vivre avec la défiance, à ‟faire avec ». Si un objectif du type « zéro défiance » semble en effet difficilement atteignable, appliquer les bonnes pratiques de référence permettant de réduire cette défiance semble être un préliminaire indispensable, avant de considérer l’opportunité de « faire avec » le niveau de défiance résiduel.

En particulier, ces bonnes pratiques requièrent un haut niveau de transparence, qui doit notamment permettre une vérification aisée, par des tiers, de l’application des règles de gestion retenues pour les liens d’intérêts des experts et des cadres des autorités concernées.

Sur la base de l’état des lieux et de l’analyse comparative réalisés, dans l’objectif de promouvoir des contextes favorisant des expertises de qualité et la confiance des citoyens, la cnDAspe envisage de travailler en 2023 avec d’autres organismes européens traitant de déontologie de l’expertise publique, afin de proposer un socle commun de règles de gestion transparente des liens d’intérêt.

À titre d’illustration, cette logique de socle commun est déjà mise en œuvre avec les produits de santé innovants soumis à l’AMM dans l’Union européenne. Dans ce domaine, les règles de gestion des liens d’intérêts de l’Agence européenne des médicaments (EMA) s’appliquent à toutes les autorités compétentes et à leurs experts. Cet exemple montre la faisabilité d’une telle démarche et pourrait constituer un point de repère intéressant dans le domaine des pesticides.

 

Références

[1] Decision of the Executive Director of the European Food Safety Authority on Competing Interest Management. European Food Safety Authority (EFSA), 2018 : https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/corporate_publications/files/competing_interest_management_17.pdf

[2] Commission nationale de la déontologie et des alertes en matière de santé publique et d’environnement (cnDAspe). Analyse comparative des règles de gestion des liens d’intérêts au sein des autorités compétentes en matière d’évaluation des risques et d’autorisation de la mise sur le marché des pesticides dans les Etats membres de l’UE - Actualisation et extension du document publié en juin 2022, 2023 : https://www.alerte-sante-environnement-deontologie.fr/IMG/pdf/analyse_comparative_gestion_li_v_janv23.pdf

[3] European Food Safety Authority (EFSA). EFSA’s policy on independence, 2017 : https://www.efsa.europa.eu/sites/default/files/corporate_publications/files/policy_independence.pdf

[4] Gilli L, Keniger D, Lutun H. Baromètre 2022 - La perception des risques et de la sécurité par les Français - L’analyse. Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), 2022 : https://barometre.irsn.fr/barometre2022/barometre2022.pdf

[5] Agacinski D. Expertise et démocratie - Faire avec la défiance. France Stratégie, 2018 : https://www.strategie.gouv.fr/sites/strategie.gouv.fr/files/atoms/files/fs-rapport-expertise-et-democratie-final-web-14-12-2018.pdf

 

[1] Une substance active est la molécule à partir de laquelle est produit un pesticide, le plus souvent elle est mélangée à des coformulants dans une préparation commerciale particulière ; c’est elle qui a les propriétés attendues, herbicide, insecticide et/ou fongicide, etc.

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UMR1085 INSERM
Université Rennes 1
Avenue Pr. Léon Bernard
35043 RENNE cedex
France
cecile.chevrier@inserm.fr

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