Synthèse publiée le : 01/04/2017

Pesticides et santé

L’exposition à des pesticides et leurs impacts sur la santé restent au centre des inquiétudes de nombreux citoyens, profession­nels, associations de protection de l’environnement et de la santé et des pouvoirs publics. Il ne fait aucun doute que les pesticides présentent une dangerosité intrinsèque de par l’usage auxquels ils sont destinés : lutter contre des organismes nuisibles pour les activités humaines telles que les cultures agricoles. Mais ce qui est important est d’évaluer le risque, c’est-à-dire la probabilité de survenue d’un évènement indésirable pour les organismes non-cibles, en l’occurrence l’Homme.

 

Les pesticides regroupent un grand nombre de substances, très diverses dans leur propriétés physicochimiques et biolo­giques, leur profil toxicologique, leurs usages et les circonstances d’exposition. De ce fait, il n’existe pas de réponse simple quant aux risques encourus, et toute réponse simpliste n’est pas de nature à soutenir efficacement les politiques de préventions des risques.

L’approche épidémiologique observationnelle a toute sa place pour concourir à l’identification des troubles sanitaires ainsi qu’à l’estimation des risques que pose l’exposition aux pesticides. Les études épidémiologiques1 peuvent, sous certaines conditions, contribuer à infirmer ou affirmer l’existence d’un lien de causalité. Encore faut-il, comme pour toute démarche scientifique, que les observations soient reproductibles en lieux et temps différents.

Chaque nouvelle année s’accompagne de très nombreuses publications portant sur les multiples conséquences sanitaires des expositions aux pesticides. Nous focaliserons principalement notre attention sur les études de l’année 2016 qui s’ins­crivent dans la problématique globale des origines développementales des maladies en lien avec des expositions envi­ronnementales aux pesticides, et plus particulièrement sur les troubles du développement cognitifs chez les enfants. À la qualité intrinsèque des études, nous tiendrons compte tout particulièrement de l’un des aspects critiques de la démarche épidémiologique : la validité des mesures des expositions par des estimations, tant que faire se peut, objectives. Pour cette raison, les études utilisant des mesures dans des matrices biologiques (biomarqueurs d’exposition) ou se basant sur des systèmes d’informations géographiques (SIG) seront privilégiées.

 

Pesticides organochlorés

Les pesticides organochlorés agissent sur la transmission de l’influx nerveux principalement au niveau du système nerveux central par de multiples modes d’actions. En dépit de leur interdiction depuis de nombreuses années, ils sont toujours présents dans l’environnement du fait de leur faible capacité à se dégrader et les populations sont toujours exposées, principalement par l’alimentation. Tenant compte de leur longue demi-vie dans les organismes, la mesure de leur concen­tration dans le sang à un instant t est considérée comme un bon indicateur des expositions antérieures.

Il y a dix ans, une première publication américaine [1] rapportait que les enfants des femmes résidant à proximité de zones agricoles au cours de leur grossesse étaient à risque de développer des troubles du spectre autistique2et que ce risque augmentait en fonction du tonnage de pesticides organochlorés (dicofol, endosulfan) ayant été employés. Récemment, une étude cas-témoins à base populationnelle3menée en Californie [2] n’a pas confirmé ces premières observations, l’ex­position prénatale au DDE et au trans-nonachlor n’étant pas associée à la survenue de troubles du spectre autistique ou de déficiences intellectuelles chez les enfants. Pour ce qui concerne d’une manière plus générale le développement cognitif et intellectuel, une autre étude américaine [3] a montré, à l’aide de tests psychométriques, que l’exposition prénatale au DDT ou à son métabolite DDE était inversement associée à la vitesse de traitement (reflétant la rapidité cognitive) chez les enfants à l’âge de 7 ans. Notons que cette association disparaissait à l’âge de 10 ans et que globalement, le score du quotient intellectuel n’était affecté ni à l’âge de 7 ni de 10 ans.

 

Pesticides organophosphorés

Les pesticides organophosphorés ont comme principal mode d’action l’inhibition de l’acétylcholinestérase, une enzyme impliquée dans la transmission de l’influx nerveux. Ils sont toujours employés de nos jours et présents dans des prépa­rations à usage professionnels et domestiques. Leurs effets neurotoxiques à des doses élevées d’expositions sont assez bien connus alors que leurs conséquences suite à des expositions à des doses d’expositions environnementales le sont beaucoup moins. Contrairement aux organochlorés, ils sont peu ou moyennement persistants dans l’environnement et présentent une demi-vie réduite dans les organismes. De ce fait, l’estimation de leur concentration dans des comparti­ments biologiques, principalement la mesure des métabolites dialkylphosphates (DAP) dans les urines, constitue un indi­cateur d’exposition qui doit être interprété avec grande précaution. L’utilisation des SIG représente un outil alternatif et complémentaire pour l’estimation des expositions temporelles et spatiales fines à des pesticides à courte demi-vie.

Dans une étude américaine, l’exposition prénatale aux pesticides organophosphorés, estimée par la concentration urinaire en DAP n’a pas été retrouvée comme étant associée aux scores évaluant le développement cognitif des enfants aux âges de 1, 2, 3 et 5 ans [4]. Les auteurs notent cependant que les mères les plus exposées aux pesticides organophosphorés étaient également celles qui consommaient le plus de fruits et de légumes pendant leur grossesse et qui présentaient le niveau socio-économique le plus élevé. Cela n’est pas surprenant dans la mesure où la consommation de fruits et de légumes constitue des sources d’exposition à ces pesticides et que leur consommation est, pour des raisons de coûts, souvent restreinte chez les plus démunis. Ces observations soulèvent la complexité des interactions entre l’exposition à des pesticides susceptibles d’être néfastes à la santé et les effets bénéfiques propres à la consommation de ces denrées alimen­taires. Dans le cas de cette étude, la consommation importante en fruits et légumes pourrait avoir protégé le foetus des effets néfastes liés à l’exposition aux pesticides organophosphorés.

L’analyse conjointe de quatre cohortes américaines mère-enfant [5] a montré que l’exposition prénatale aux pesticides organophosphorés était modestement associée à une diminution du score estimant le développement cognitif des enfants à l’âge de 2 ans. Toutefois, les estimations sont très hétérogènes et varient fortement en fonction des lieux de résidence et des caractéristiques ethniques des participantes mais également de la susceptibilité génétique individuelle en lien avec la présence de polymorphismes fonctionnels de la paraoxonase, une enzyme qui intervient dans le métabolisme des organo­phosphorés. Cette hétérogénéité, en lien avec l’exposition maternelle aux pesticides organophosphorés, a également été observée dans deux études : l’une, chinoise, où l’association avec un retard du développement psychomoteur à l’âge de 2 ans n’a été observée que chez les garçons [6] ; l’autre, américaine, où l’association avec une diminution du score global du quotient intellectuel à l’âge de 7 ans n’a été observée également que chez les garçons [7]. À l’aide de SIG, la proximité de la résidence des mamans au cours de leur grossesse à des champs agricoles utilisant des pesticides organophosphorés a été associée dans deux études américaines à une diminution du score global du quotient intellectuel ainsi qu’a des moins bons scores des tests estimant la compréhension verbale a l’âge de 7 ans dans l’une de ces études [8] et du raisonnement perceptif et de la mémoire de travail à l’âge de 10 ans dans l’autre [9].

L’ensemble de ces travaux montre la difficulté à conclure simplement. Tout en tenant compte, comme déjà évoqué, des limites propres aux estimations des expositions lorsqu’elles existent, il est nécessaire de prendre en considération les inte­ractions avec les multiples facteurs sociaux et économiques des populations étudiées tout comme le genre et la susceptibi­lité génétique individuelle. Toutefois, il existe suffisamment d’informations qui prônent pour la mise en place de moyens de prévention des expositions aux pesticides chez les femmes enceintes, la grossesse constituant une fenêtre de sensibi­lité à l’action néfaste de nombreux polluants.

Les études évoquées ci-dessus portent sur les conséquences des expositions de la population générale à des doses envi­ronnementales de pesticides. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a rappelé avec force dans un récent rapport sur les expositions professionnelles aux pesticides [10] que les personnes travaillant dans l’agriculture sont les plus exposées et donc les plus à risques. Depuis plusieurs années, des politiques publiques ont été mises en place en France visant la réduction des expositions aux pesticides. Mais comme le souligne l’Anses, la réduction de leurs usages a été le plus souvent raisonnée dans une perspective environnementale ou pour réduire les résidus dans les produits finaux. Dans ce contexte, les expositions professionnelles et la santé au travail des personnes travaillant dans des secteurs exposant aux pesticides n’ont pas vraiment été prises en compte : « Ceci favorise des stratégies de réduction de l’utilisation de pesticides qui peuvent parfois avoir des effets négatifs concernant les expo­sitions des personnes travaillant dans l’agriculture et les risques qu’elles encourent (par exemple, stratégie d’efficience pouvant conduire à multiplier les manipulations de produits, stratégies de substitution pouvant conduite à remplacer un produit dangereux pour les milieux aquatiques par un produit moins dangereux pour ces milieux mais plus dange­reux pour l’homme ». L’Anses insiste sur la nécessité de produire des données d’exposition sur les situations d’exposition en milieu professionnel et de rendre accessible ces données à la communauté scientifique. À terme, une telle avancée bénéficiera également aux femmes enceintes, exposées professionnellement en début de grossesse aux pesticides, aux conjointes de ces travailleurs ou aux femmes résidant à grande proximité des sources d’exposition.

 

Notes

[1] Il s’agit de l’étude de l’état de santé des populations.

[2] Les troubles du spectre de l’autisme sont des troubles neurologiques qui affectent principalement les relations sociales et la communication chez l’enfant.

[3] Étude comparant les expositions chez des malades et des personnes en bonne santé pour faire avancer la connaissance sur les causes de la maladie.

 

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Références
  1. Roberts EM, English PB, Grether JK, et al. Maternal residence near agricultural pesticide applications and autism spec­trum disorders among children in the California Central Valley. Environ Health Perspect 2007 ; 115 : 1482-9.
  2. Lyall K, Croen LA, Sjödin A, et al. Polychlorinated Biphenyl and organochlorine pesticide concentrations in maternal mid-pregnancy serum samples: association with autism spectrum disorder and intellectual disability. Environ Health Perspect 2016. [Epub ahead of print]
  3. Gaspar FW, Harley KG, Kogut K, et al. Prenatal DDT and DDE exposure and child IQ in the CHAMACOS cohort. Environ Int 2015 ; 85 : 206-12.
  4. Donauer S, Altaye M, Xu Y, et al. An observational study to evaluate associations between low-level gestational expo­sure to organophosphate pesticides and cognition during early childhood. Am J Epidemiol 2016 ; 184 : 410-8.
  5. Engel SM, Bradman A, Wolff MA, et al. Prenatal organophosphorus pesticide exposure and child neurodevelopment at 24 months: an analysis of four birth cohorts. Environ Health Perspect 2016 ; 124 : 822-30.
  6. Liu P, Wu C, Chang X, et al. Adverse associations of both prenatal and postnatal exposure to organophosphorous pesti­cides with infant neurodevelopment in an agricultural area of Jiangsu province, China. Environ Health Perspect 2016 ; 124: 1637-43.
  7. Stein LJ, Gunier RB, Harley K, et al. Early childhood adversity potentiates the adverse association between prenatal organophosphate pesticide exposure and child IQ: The CHAMACOS cohort. Neurotoxicology 2016 ; 56 : 180-7.
  8. Gunier RB, Bradman A, Harley KG, et al. Prenatal residential proximity to agricultural pesticide use and IQ in 7-year-old children. Environ Health Perspect 2016.
  9. Rowe C, Gunier R, Bradman A, et al. Residential proximity to organophosphate and carbamate pesticide use during pregnancy, poverty during childhood, and cognitive functioning in 10-year-old children. Environ Res 2016 ; 150 : 128-37.
  10. Anses. Expositions professionnelles aux pesticides. 2016 ; Volume 1.