ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux pesticides et diabète : revue de la littérature

Cette revue et méta-analyse des études observationnelles ayant examiné le lien entre l’exposition à des pesticides et le diabète indique un effet des organochlorés sur le diabète de type 2. Les auteurs recommandent que les autres classes de pesticides, peu étudiées jusqu’ici, soient considérées à l’avenir.

This review and meta-analysis of observational studies assessing the association between pesticide exposure and diabetes suggests that organochlorines can affect type 2 diabetes. The authors recommend that other less studied classes of pesticides be considered in future research.

L’augmentation mondiale de l’incidence du diabète – de type 2 dans 90 % des cas – représente un problème sanitaire majeur en raison du coût de son traitement et du poids de ses complications. Cette flambée du diabète, qui suit celle de l’obésité, est principalement attribuée à l’adoption de modes de vie et d’alimentation délétères pour la santé. L’éventualité d’un rôle des contaminants environnementaux, incluant les pesticides, est sérieusement étudiée depuis quelques années.

Sous l’égide de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), une revue des études épidémiologiques relatives aux effets sanitaires des pesticides a été publiée en 2013. Concernant le diabète, ce rapport, appuyé sur des études publiées entre janvier 2006 et septembre 2012, conclut à une association potentielle nécessitant plus ample exploration. Reprenant les mêmes stratégie de recherche et critères d’inclusion, cette revue systématique des études sur l’association entre tout type de pesticide et de diabète rassemble 25 publications, dont neuf antérieures ou postérieures (jusqu’au 30 mai 2015) à la période couverte par le rapport de l’EFSA.

 

Profil des études

Les articles sélectionnés à l’issue d’une recherche effectuée par deux évaluateurs indépendamment dans les bases de données Medline et Embase (sans restriction de langage) comportaient 22 études transversales et cinq de type cas-témoins, mais aussi huit études longitudinales. Dix études avaient été réalisées en Amérique du Nord, huit en Europe et quatre dans la région Asie-Pacifique. Elles totalisaient plus de 80 000 participants (dont 5 841 cas de diabète), avec un nombre médian de 725 sujets inclus par étude (intervalle interquartile : 352 à 2 047).

L’exposition aux pesticides était d’origine environnementale dans 18 études, professionnelle dans cinq autres, et mixte dans les deux dernières. Elle avait généralement été évaluée par la mesure de biomarqueurs (concentrations plasmatiques du produit parent ou de métabolites dans 20 études, concentrations dans le tissu adipeux dans une autre), seules quatre études ayant utilisé un questionnaire. La majorité des articles (n = 21) rapportait des résultats relatifs aux pesticides organochlorés, pour lesquels les études mécanistiques fournissent des hypothèses soutenant la plausibilité d’un effet diabétogène. La production et l’utilisation de la plupart de ces substances ont été bannies depuis plusieurs décennies dans les pays occidentaux, mais le niveau d’exposition des populations diminue lentement du fait de la résistance des organochlorés à la dégradation enzymatique qui les rend persistants dans l’environnement et le compartiment adipeux de l’organisme.

Treize études concernaient spécifiquement le diabète de type 2, une était focalisée sur le diabète de type 1 (qui ne montrait pas de relation avec l’exposition aux pesticides) et deux autres portaient sur le diabète gestationnel (cohortes prospectives dont les résultats étaient également négatifs). Les neuf études qui ne spécifiaient pas le type de diabète examiné ont été considérées comme ayant inclus en quasi-totalité des cas de diabète de type 2, étant donné l’âge de leurs populations et la prédominance de cette forme de la maladie. Leur regroupement avec les études dans lesquelles le diabète de type 2 était clairement défini a porté à 22 le nombre d’études disponibles pour des méta-analyses quantitatives, qui ont été réalisées avec des modèles à effets aléatoires.

 

Méta-analyses

Les effets combinés de l’exposition aux pesticides ont été estimés par comparaison entre les tertiles supérieur et inférieur d’exposition, après transformation adéquate des résultats produits selon d’autres approches catégorielles dans certaines études.

Le risque de diabète de type 2 apparaît associé à l’exposition aux pesticides en général, avec un odds ratio (OR) combiné égal à 1,58 (IC95 : 1,32-1,90), et aux composés organochlorés en particulier : OR = 1,68 (1,37-2,07). Une importante hétérogénéité est observée (valeurs respectives d’I2 : 66,8 % et 69,7 %). Quand l’analyse est restreinte aux 13 études avec définition précise du diabète de type 2, qui s’étaient toutes intéressées à des organochlorés, l’OR dans le dernier tertile est égal à 1,61 (1,37-1,88) et l’hétérogénéité est nulle.

Une analyse de sensibilité a été réalisée en n’incluant que les études dans lesquelles l’indice de masse corporelle était contrôlé (16 des 22 études avec ou pas définition précise et 10 des 13 études portant assurément sur le diabète de type 2) : les OR de diabète (dernier versus premier tertile d’exposition à tout type de pesticide) sont respectivement de 1,61 (IC95 : 1,29-2) et 1,59 (1,33-1,90). Une seconde analyse de sensibilité restreinte aux études ayant ajusté sur le tabagisme (10/22 et 6/13) donne des OR respectivement égaux à 2,36 (IC95 : 1,46-4,82) et 1,78 (1,13-2,81).

L’analyse par pesticide retrouve des associations avec le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et le dichlorodiphényldichloroéthylène (DDE), ainsi qu’avec l’heptachlor, le chlordane et ses substances associées (trans-nonachlor et oxylchlordane) et l’hexachlorobenzène (HCB). Les OR s’étalent entre 1,47 (1,15-1,86) pour le chlordane et 1,95 (1,44-2,66) pour le DDE (I2 = 45 % dans les deux cas). Les résultats des méta-analyses n’incluant que des études portant assurément sur le diabète de type 2 aboutissent à des OR allant de 1,65 (1,15-2,37) pour le DDE (à partir de neuf études) à 2,21 (1,27-2,83) pour l’HCB (quatre études).

Le test d’Egger suggère une influence de la taille de l’échantillon de population étudié, qui est confirmée par une analyse stratifiée : l’effet estimé de l’exposition aux pesticides (tout type) est plus important dans les « petites » études qui ont inclus moins de 370 sujets (métaOR égal à 2,44 [1,60-3,73]) que dans les études plus vastes (1,38 [1,15-1,67]). Les résultats ne diffèrent pas notablement en fonction des autres caractéristiques examinées (design de l’étude, méthode d’évaluation et nature de l’exposition, provenance géographique). L’estimation obtenue par la méta-analyse de six études prospectives est un OR égal à 1,22 (0,95-1,55) contre 1,83 (1,58-2,12) pour la méta-analyse de 12 études transversales.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Evangelou E, Ntritsos G, Chondrogiorgi M, et al. Exposure to pesticides and diabetes: a systematic review and meta-analysis. Environ Intern 2016; 91: 60-8.

Department of Hygiene and Epidemiology of Ioannina Medical School, Ioannina, Grèce.

doi: 10.1016/j.envint.2016.02.013