Pathologies

Maladies mentales et neurologiques

Synthèse publiée le : 29/06/2023

SYNTHÈSE :
L'éco-anxiété : une réponse adaptative aux désordres du monde

Les dérèglements environnementaux affectent la santé mentale des populations, lesquelles peuvent être confrontées plus ou moins directement à ces événements. Des états de détresse psychologique secondaires à des préoccupations et inquiétudes d’origine environnementale sont de plus en plus décrits. Éco-anxiété et solastalgie sont les termes désormais utilisés pour décrire ce phénomène émergent dans la population générale largement exposée aux données climatiques et environnementales. Ces affects, composés de symptômes d’anxiété, multiples émotions et questionnements, ne sont pas forcément pathologiques. Ils représentent avant tout une fonction adaptative à une menace objective sans précédent pour les sociétés humaines.


La crise écologique affecte la santé dans toutes ses dimensions, y compris mentale [1]. Si les états de stress post-traumatique et les épisodes dépressifs caractérisés touchant des victimes d'événements météorologiques extrêmes (inondations, tsunamis, etc.) sont bien documentés, ce sont désormais les dommages systémiques liés à la crise écologique, apparaissant de façon progressive et insidieuse et caractérisés par des effets durables voire permanents sur l’environnement, qui envahissent les esprits humains.

Inaction climatique, étiolement de la part sauvage du monde, augmentation des inégalités, perception d’un avenir obscur dans un monde qui s’embrase... autant de perspectives à long terme dont la perception peut être source de préoccupation, d’inquiétude et engendrer des états de détresse psychologique. Cet état d’âme prend le nom d’éco-anxiété ou de solastalgie et regroupe un éventail d’émotions et de questionnements en lien avec les dommages environnementaux présents et à venir. Cette crise de la sensibilité et du sens concerne un nombre grandissant de nos contemporains et traverse toutes les couches de la société. Les affects en jeu sont liés à l’exposition empirique, sociale ou médiatique à des événements ou informations de dégradations de l’environnement, ou de souffrances humaines qui en découlent.

La solastalgie est composée du terme latin solacium qui signifie réconfort et du grec algos qui veut dire douleur. Ce néologisme fait référence à la souffrance psychique qu’un individu peut ressentir face à la destruction lente mais chronique des éléments familiers de son environnement. Ce sentiment se rapproche de la nostalgie ou du mal du pays ressenti par toute personne qui quitte un lieu aimé, à cela près que cette tristesse est ressentie par des individus qui sont encore chez eux. En d’autres termes, le mal du pays, c’est le pays que l’on quitte, alors que la solastalgie, c’est le pays qui nous quitte. Plus largement, ce terme fait écho à la mélancolie qu’entraîne la déliquescence d’un lieu qui nous est cher ou d’une altérité - humaine, animale ou végétale - que l’on voit malmenée [2]. La solastalgie n’est par essence ni positive ou négative, elle constitue simplement une réponse émotionnelle à l’involution du monde. Là où la solastalgie s’inscrit dans le temps présent ou passé, sa fausse jumelle, l’éco-anxiété reflète quant à elle une nostalgie du futur, l’inquiétude anticipatoire que peuvent provoquer les différents scenarii établis par des scientifiques - comme ceux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) - sur la viabilité de la planète dans les décennies à venir. Il ne semble pas y avoir de prédisposition à l’éco-anxiété, toute personne consciente qu’« il n’y a pas de planète B » est donc susceptible de devenir éco-anxieuse et de se sentir acculée par l’absence d'alternatives. Ce manque de choix, doublé d’un sentiment de résignation, engendre une souffrance morale et une sensation de détresse.

Il n’existe pas à ce jour de données épidémiologiques permettant de quantifier la prévalence dans la population générale de l’éco-anxiété, de la solastalgie et d’autres effets sur le bien-être et la santé mentale des dommages environnementaux. Cependant, des enquêtes et sondages d’opinion révèlent une tendance à l’inquiétude des interrogés, de plus en plus préoccupés par les sujets environnementaux. Les différentes enquêtes récentes menées sur le sujet indiquent ainsi que les personnes éco-anxieuses pourraient représenter entre 17 % et 29 % de la population [3].

La prise de conscience des changements environnementaux et de leurs implications constitue un véritable cheminement, au fort retentissement émotionnel. Anxiété, colère, culpabilité, tristesse, mais aussi sentiment de rejet et d’impuissance sont ressentis face à la perception d’un ensemble de problématiques environnementales complexes, globales, intriquées, d’apparence incontrôlable, et sans solutions évidentes ou applicables à l’échelle individuelle. Ces émotions sont liées aux connaissances et représentations des changements environnementaux ainsi qu’à la projection dans un avenir considéré comme incertain voire compromis. Elles peuvent également être liées au manque de réaction des sociétés humaines face à ces enjeux ou encore à la prise de conscience de l’impact environnemental de son propre comportement.

Les personnes concernées par ce phénomène seraient principalement les plus jeunes (enfants et les moins de 30 ans), les femmes, les chercheurs en science du climat, les étudiants, les jeunes activistes pour le climat, les personnes proches de la nature ou vivant dans des zones impactées par le changement climatique. Ces profils restent cependant à nuancer, puisque l’éco-anxiété peut être ressentie, bien que moins exprimée, chez certaines populations en raison de facteurs sociaux, politiques ou du « silence socialement construit ». Cette expression traduit une organisation sociale du déni, également entretenue à travers des normes conversationnelles et émotionnelles. Autrement dit, en réponse aux sentiments de peur et d’impuissance, la norme sociale est d’être optimiste, de garder le contrôle, de ne pas parler de ses inquiétudes et de ses angoisses, au risque de passer pour quelqu’un de déprimé ou de bizarre. Nombreux sont donc ceux à s’imposer une autocensure émotionnelle et sociale afin de ne pas se voir stigmatisés ou rejetés par le groupe.

S’inquiéter de l’avenir du monde, au regard de notre manière de l’habiter, mais aussi de l’abîmer, ne constitue pas une maladie à proprement parler, mais peut parfois rendre malade. Toutes proportions gardées, l’éco-anxiété, qui découle d’une analyse lucide de l’état du monde, est engendrée par un certain dysfonctionnement de la société. Les personnes éco-anxieuses sont, in fine, des personnes rationnelles et lucides dans un monde qui ne l’est plus. Bien que les blessures faites à la nature puissent provoquer un sentiment de perte de sens, voire d’indignation et de colère, il est important de ne pas pathologiser des émotions ou des réactions normales face à un événement indésirable. C’est la raison pour laquelle l’éco-anxiété n’est pas une maladie mentale.

L’éco-anxiété traduit plutôt un état d’esprit, une nouvelle sensibilité au monde, un sentiment de détresse polymorphe causée par les changements négatifs et subis de l’environnement, et une crainte du futur. Elle constitue un état de rupture avec la manière d’appréhender le présent et l’avenir, désormais perçus comme incertains, voire hostiles. À ce jour,la caractérisation clinique de l’éco-anxiété et de la solastalgie demeure encore floue. Il n’est fait référence à aucun trouble psychologique ou psychiatrique en lien avec les changements environnementaux dans le Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux développé par l’Association américaine de psychiatrie, ou la Classification internationale des maladies. Pour identifier les éventuelles formes pathologiques d’éco-anxiété, différents auteurs suggèrent de suivre la distinction habituelle utilisée entre anxiété adaptative et pathologique. La dimension pathologique est retenue lorsque la personne exprime une détresse excessive et inappropriée par rapport à ce qui serait attendu devant l’élément stressant, c’est-à-dire des symptômes d’anxiété intense, au retentissement fort et invalidant sur la personne et ses occupations, suscitant de la souffrance morale et dépassant les capacités du sujet à s’en défendre, pour un risque estimé non significatif. L’éco-anxiété pathologique peut prendre la forme de crises d’angoisse, d’attaques de panique, de ruminations, de symptômes psychosomatiques ou dépressifs. Dans ce contexte, une prise en charge médicopsychologique peut être utile, en complément des bonnes pratiques nutritionnelles (alimentation, activité physique) et des techniques de gestion du stress (méditation, relaxation, etc.).

Dans l’autre scenario, majoritaire, l’éco-anxiété constitue avant tout une fonction adaptative pour faire face à un défi sans précédent pour les sociétés humaines [4]. C’est-à-dire que les personnes préoccupées pour l’environnement présentent plutôt des réponses constructives face aux différents défis, comprenant des comportements et attitudes pro-environnementales ainsi qu’une structure de personnalité caractérisée par l'imagination et l'appréciation de nouvelles idées. De fait, au-delà des bouleversements émotionnels, trouver du sens face à cette nouvelle perception d’un monde qui semble s’effondrer passe par la remise en question des valeurs, trajectoire de vie et choix des individus, qu’il s’agisse des études suivies, de la profession exercée, de la parentalité ou encore du lieu de vie. Ce parcours intime est aussi celui d’une remise en question de l’identité et des valeurs qui amène les personnes concernées à se percevoir et se définir différemment.

Cette distinction entre dimension pathologique et adaptative soulève cependant quelques interrogations. Compte tenu des impacts sans précédent des dérèglements environnementaux et des prévisions de ceux-ci à l’avenir, on peut s’interroger sur ce qui serait une juste estimation de la menace et du niveau d’inquiétude approprié à celle-ci. Le dérèglement environnemental constitue en effet un stresseur inhabituel. La menace qu’il représente est réelle, significative, perceptible et majoritairement partagée. L’inquiétude qui en découle est donc rationnelle et légitime. Cette menace permanente et en constante évolution complique l’adaptation habituellement attendue face à un défi ponctuel. Ce bouleversement global constitue également un danger admettant de nombreuses implications, parfois incertaines ou difficilement prévisibles en intensité comme en temporalité. Il est complexe d’anticiper toutes les conséquences des changements environnementaux à venir sur le quotidien des individus, car de nombreux facteurs influençant ces répercussions, comme les réponses des sociétés humaines, sont difficilement prévisibles.

De nombreuses pistes d’action - tant individuelles que collectives - et d’espérance se dessinent progressivement. Ces perspectives s’inscrivent en cohérence avec le concept de « santé planétaire », lequel considère que la santé de l’humanité dépend de l’état des systèmes naturels et du respect des limites planétaires.

 

Références

[1] Watts N, Amann M, Ayeb-Karlsson S, et al. The Lancet Countdown on health and climate change: from 25 years of inaction to a global transformation for public health. Lancet 2018 ; 391 : 581-630.

[2] Albrecht G, Sartore GM, Connor L, et al. Solastalgia: the distress caused by environmental change. Australas Psychiatry 2007 ; 15 (Suppl. 1) : S95-8.

[3] Fougier E. Éco-anxiété : analyse d’une angoisse contemporaine. Fondation Jean Jaurès, 2021 : https://www.jean-jaures.org/publication/eco-anxiete-analyse-dune-angoisse-contemporaine/

[4] Verplanken B, Roy D. "My worries are rational, climate change is not": habitual ecological worrying is an adaptive response. PLoS One 2013 ; 8 : e74708.

Synthèse publiée le : 13/05/2019

Synthèse : Rôle de l’exposition aux pesticides sur les capacités intellectuelles de l’enfant

Cécile Chevrier

Université de Rennes,
Inserm, EHESP,
Irset (Institut de recherche en santé, environnement et travail),
Rennes

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Synthèse publiée le : 01/04/2017

Maladies neurologiques en lien avec l'environnement

Jean-Baptiste Fini, Barbara Demeneix*

* UMR CNRS 7221
Évolution des Régulations Endocriniennes, Muséum National d’Histoire Naturelle, Sorbonne Université

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Synthèse publiée le : 01/04/2016

Des conséquences neurologiques de la pollution de l’air

Jacques Reis

Hôpital de Hautepierre
Centre hospitalier Universitaire
Service de Neurologie
Strasbourg

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