ANALYSE D'ARTICLE

Exposition professionnelle aux pesticides et syndrome dépressif chez les travailleurs agricoles

Les auteurs ont réalisé une revue de la littérature des dix dernières années portant sur les études épidémiologiques recherchant un lien entre une exposition des agriculteurs aux pesticides et un syndrome dépressif. Sur 27 articles analysés, 21 (soit 78 %) ont montré une association positive. Les pesticides les plus impliqués sont les organophosphates, les herbicides et les pyréthrinoïdes.

Les auteurs sont partis du constat que de nombreuses pathologies retrouvées chez les agriculteurs ou leurs enfants pouvaient être dues à une exposition professionnelle aux pesticides. Parmi ces pathologies, l’impact de ces expositions sur la santé mentale soulève de plus en plus de préoccupations, alors qu’assez peu de revues se sont intéressées à ce sujet, notamment au cours des dernières années.

L’objectif de cette analyse était donc de conduire une revue « compréhensive » de la littérature et d’analyser de manière systématique le niveau de preuves rassemblées au cours des dix dernières années sur l’impact d’une exposition professionnelle aux pesticides sur le développement de symptômes dépressifs chez des travailleurs agricoles.

La méthode adoptée par les auteurs suit les principes d’une analyse de la littérature selon la méthode PRISMA [1] et l’approche PECO [2] conduite sur PubMed et Scopus avec une combinaison de mots-clés associant les termes : pesticides, dépression et travailleurs agricoles. Seuls les articles originaux publiés entre septembre 2011 et septembre 2022 en anglais, en espagnol ou en portugais ont été retenus. Une analyse de la qualité de ces études a été réalisée ; elle portait notamment sur le type d’études épidémiologiques (cas d’études, études écologiques ou descriptives exploratoires < études transversales et cas-témoins < études longitudinales), la taille de l’échantillon (< 50, 50-200, > 200), la mesure de l’exposition (questionnaires, mesures de biomarqueurs généraux, mesures de biomarqueurs spécifiques dans le sang ou les urines), la mesure des symptômes dépressifs (rapports médicaux < questionnaires non validés < questionnaires validés ou examens cliniques) et la prise en compte ou non des facteurs de confusion.

Cette revue a permis d’identifier 27 articles qui répondent aux critères ­d’inclusion parmi les 1 250 collectés à partir de PubMed et de Scopus. Sur ces 27 articles, seulement 3 études longitudinales ont été retrouvées, 3 études cas-témoins et 21 études transversales. Les pesticides le plus souvent étudiés dans ces études sont : les organophosphates (OP) (17 études), les herbicides (12 études) et les pyréthrinoïdes (11 études). Dans 18 études, les symptômes dépressifs ont été mesurés en utilisant des outils validés ; seulement une étude a mesuré des concentrations de neurotransmetteurs et des marqueurs physiologiques associés à la dépression. Concernant l’évaluation de l’exposition aux pesticides, six études ont mesuré des biomarqueurs, dont une seule seulement un biomarqueur spécifique. Au final, une seule étude a été jugée de très bonne qualité, 14 de bonne qualité, 11 de qualité intermédiaire et une de mauvaise qualité. La plupart des études étaient donc de bonne qualité.

Par les études analysées, 21 soit 78 % ont montré une association positive entre une exposition aux pesticides et des symptômes dépressifs chez des travailleurs agricoles. Cependant, parmi les six qui n’ont pas rapporté une telle association, seulement deux avaient utilisé des questionnaires validés ou des échelles de mesure de la dépression. Les pesticides les plus rapportés dans les études qui concluaient en une association positive sont les OP (chlorpyrifos, profenofos, etc.), les herbicides (carbamates, glyphosate, paraquat, etc.) et les pyréthrinoïdes.

 

Commentaire

Cette revue suit les critères d’une revue systématique de la littérature, même si les auteurs – certainement dans un souci de rigueur – n’utilisent pas ce terme et préfèrent parler de revue « compréhensive ». Il faut souligner notamment le fait qu’une analyse de la qualité des études épidémiologiques identifiées a été conduite de manière assez détaillée même si des outils plus sophistiqués d’analyse du poids des preuves, comme l’approche GRADE ­proposée par Balshem et al. en 2011, aurait pu être suivie [3]. D’ailleurs, pour rédiger ce commentaire, une analyse de cette revue selon les critères AMSTAR ­proposés par Kolaski et al. [4] aurait aussi pu être conduite.

On pourrait rajouter à cette revue l’étude d’une cohorte rétrospective française conduite dans le cadre du projet TRACTOR (Tracking and Monitoring Occupational Risks in Agriculture) et publiée en 2023 par Petit et al. [6]. Dans cette étude, les auteurs montrent un excès de risques de dépression chez les éleveurs bovins (lait et viande), de volailles et de lapins. Les agriculteurs en polyculture sont les professions les plus exposées au risque de dépression parmi l’ensemble des 26 activités agricoles recensées par la Mutualité sociale agricole (MSA) sur la période 2002-2016.

Un taux global de prévalence de la dépression est évalué dans cette étude à 28,2 cas pour 1 000 personnes-années (PA). Les auteurs avancent plusieurs explications : difficultés d’accès aux soins, difficultés à concilier vie professionnelle et vie personnelle, isolement, problèmes financiers, etc., ainsi que certaines explications spécifiques aux éleveurs (contraintes sanitaires, crises sanitaire et économique, temps libre réduit, etc.). Ils questionnent aussi le rôle de l’utilisation des pesticides, décrits par ailleurs comme associés à un surrisque de dépression parmi leurs utilisateurs. Ils rejoignent en cela la discussion de Cancino et al. qui citent également le manque d’information délivrée aux agriculteurs quant aux risques liés aux pesticides, ainsi que le besoin de formation pour mieux les utiliser. Le numéro thématique d’ERS de mai-juin 2023 portant sur les pesticides en Afrique apporte aussi un éclairage intéressant sur ces questions.

 

Références

[1] Moher D, Shamseer L, Clarke M. Preferred reporting items for systematic review and meta-analysis protocols (PRISMA-P) statement. Syst Rev. 2015;4:1. (1) :

[2] Morgan RL, Whaley P, Thayer KA, Schünemann HJ. Identifying the PECO: a framework for formulating good questions to explore the association of environmental and other exposures with health outcomes. Environ Int. 2018;121:1027-31. (Pt1) :

[3] Balshem H, Helfand M, Schünemann HJ. GRADE guidelines: 3. Rating the quality of evidence. J Clin Epidemiol. 2011;64:401-6. (4)

[4] Kolaski K, Logan LR, Ioannidis JPA. Guidance to best tools and practices for systematic reviews. Syst Rev. 2023;12:96.

 

Publication analysée :
Cancino J, Soto K, Tapia J, et al. Occupational exposure to pesticides and symptoms of depression in agricultural workers. A systematic review. Environmental Research 2023 ; 231 : 116190.

Christophe Rousselle