Milieu de vie
Habitat
Fabien Squinazi (1), Marie-France Corre (2)
1. Médecin biologiste, président de la Commission spécialisée « Risques liés à l’environnement » du Haut Conseil de la santé publique, Paris
2. Ingénieur, consultante indépendante, Paris
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Synthèse publiée le : 29/06/2023
SYNTHÈSE :
Polluants chimiques et poussière domestique
La poussière de maison est un mélange complexe de matière particulaire de l’air sédimentée, d’éléments biologiques (squames, spores de champignons, fragments de végétaux, pollen, micro-organismes) et de particules de terre d’origine extérieure. De nombreux polluants chimiques s’adsorbent sur ces particules. Ils se dégradent très lentement et forment un réservoir chimique au sein de la maison. Les voies de transmission de ces polluants, dont certains sont toxiques pour l’homme et les animaux domestiques, sont nombreuses (inhalation, ingestion, absorption cutanée) et justifient les conseils donnés aux occupants pour réduire leur exposition.
La poussière domestique est un milieu hétérogène qui comprend à la fois des éléments importés de l’extérieur avec les vêtements et les chaussures, des polluants atmosphériques provenant des entrées d’air ainsi que des sources internes de l’habitat. Les polluants extérieurs comprennent les composés imbrûlés des véhicules motorisés, les polluants présents dans les fumées de cheminée de chauffage des maisons, les polluants émis par les usines et autres sites de production, ainsi que les métaux, minéraux, fibres, pollens, présents dans l’air, les sols ou la poussière extérieure et des pesticides utilisés en agriculture ou dans les parcs et jardins. Les polluants intérieurs sont les résidus de combustion du tabac et combustibles de chauffage, les résidus d’abrasion des textiles, des matériaux de construction, décoration et ameublement (fibres de papier, de laine de verre, bois et textiles) ou les émissions de ces matériaux (décomposition des polymères, relargage des additifs tels que plastifiants, libération de biocides de traitements, etc.). Les occupants et les animaux domestiques, eux-mêmes, enrichissent la poussière domestique de cheveux, poils, fragments de peau, micro-organismes divers ou allergènes et, par leurs activités d’hygiène et de nettoyage, de différentes substances chimiques (conservateurs, biocides tels qu’insecticides, fongicides, parfums, etc.).
La quantité et la composition de la poussière varient beaucoup selon la saison et la zone géographique, les modalités d’aération et de fonctionnement de la ventilation, le type de chauffage, l’âge du bâtiment, la nature des matériaux et leur état, la quantité de meubles et de tapis ainsi que leur état de conservation, les activités des occupants et leurs habitudes de nettoyage.
L’adsorption des polluants chimiques sur les particules de poussière dépend des propriétés physicochimiques de ces polluants (volatilité, lipophilicité, polarité) et des caractéristiques de la poussière (ex. : granulométrie, fraction de matière organique). Les composés de faible volatilité ou de forte polarité sont plus susceptibles de se concentrer dans la poussière.
De nombreuses publications scientifiques internationales témoignent de l’intérêt porté à la poussière domestique comme vecteur d’exposition des occupants aux polluants chimiques. Toutefois, ces données ne sont pas directement exploitables et transposables aux logements français du fait de réglementations, de modes de construction et d’habitudes de vie différents. Des travaux menés, ces dernières années en France, par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur, le Centre scientifique et technique du bâtiment, l’École des hautes études de santé publique et le Fonds de dotation de l’UFC-Que Choisir, permettent de décrire la pollution chimique de la poussière des logements français.
Principales familles de substances chimiques identifiées dans la poussière domestique
Il existe de très nombreuses familles de polluants pouvant être présents dans la poussière domestique. D’autres familles n’ont pas été décrites ici, comme les polychlorobiphényles, les alkylphénols, les parabènes ou les paraffines chlorées.
Pesticides
Les organochlorés altèrent la transmission de l’influx nerveux des êtres vivants. Ce sont des substances bioaccumulables et particulièrement stables dans l’environnement, même des décennies après l’arrêt de leur utilisation, comme pour le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et le lindane (longtemps utilisé pour traiter les charpentes et des productions agricoles). Ils agissent comme des perturbateurs endocriniens vis-à-vis de la faune et de l’espèce humaine. La plupart des organochlorés et leurs métabolites sont suspectés d’être cancérogènes.
Les organophosphorés sont les principaux composants d’herbicides et d’insecticides. Ils sont également utilisés dans la production de plastiques et de solvants. Ils sont toxiques pour l’homme, les animaux et les plantes.
Les pyréthrinoïdes sont présents dans de nombreux insecticides modernes et sont utilisés par le grand public et les professionnels de la lutte antiparasitaire. Leur usage en agriculture ou à l’intérieur du logement, l’utilisation de tapis traités par ces insecticides sont des sources de contamination de la poussière domestique. Des effets cancérogènes sont suspectés pour certaines molécules de cette famille (tétraméthrine, pralléthrine) ainsi que des effets reprotoxiques (cyperméthrine).
Les carbamates sont des insecticides utilisés pour le traitement des pelouses et en agriculture forestière. Ils sont également utilisés dans la lutte antiparasitaire pour les animaux domestiques, contre les moustiques anophèles, les fourmis et d’autres ravageurs agricoles. Certaines molécules (propoxur) sont suspectées d’effets reprotoxiques et mutagènes.
Les triazoles sont principalement utilisés comme fongicides contre les maladies des céréales. Certaines molécules sont reprotoxiques (propiconazole, tébuconazole) ou cancérogènes possibles (tébuconazole).
Plastifiants
Les phtalates sont utilisés dans des centaines de produits tels que les revêtements de sols en vinyle, les adhésifs, les détergents, les huiles lubrifiantes, les plastiques automobiles, les vêtements en plastique et les produits de soins personnels (savons, shampooings, laques pour cheveux et vernis à ongles), de même que dans les articles en PVC souple (films et feuilles d’emballage en plastique, tuyaux d’arrosage, jouets gonflables, conteneurs de stockage de sang, tubes médicaux et certains jouets pour enfants). Plusieurs phtalates sont connus comme reprotoxiques.
Les bisphénols sont utilisés dans de nombreuses applications en plasturgie. Le bisphénol A est la matière première de base utilisée pour la production du polycabonate et des résines époxy. Les bisphénols possèdent tous des propriétés reprotoxiques suspectées ou avérées.
Retardateurs de flamme
Ils sont utilisés pour retarder et limiter la propagation d’un incendie dans toutes sortes d’objets et d’équipements (appareils électriques et électroniques, meubles rembourrés comme les canapés, matelas, revêtements de sol, textiles décoratifs, etc.). Ils sont persistants, bioaccumulables et se dégradent difficilement dans l’environnement. Les composés bromés (PBDE, etc.) ou phosphatés sont pour la plupart d’entre eux très toxiques et sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens.
Hydrocarbures aromatiques polycycliques et nicotine
Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont des constituants naturels du charbon, ou du pétrole, ou sont formés par la combustion incomplète de matières organiques telles que les carburants, le bois, le tabac. Ils sont présents dans l’air, l’eau, les denrées alimentaires et la poussière domestique. Le benzo[a]pyrène est un cancérogène avéré. La présence de nicotine dans la poussière domestique est un marqueur des polluants émis par la combustion du tabac (nitrosamines, benzène, HAP, etc.).
Éléments traces
Les métaux et minéraux sont présents naturellement dans l’environnement. Cependant, pour nombre d’entre eux, l’activité humaine a fortement augmenté leur présence. Ils sont utilisés dans de nombreux matériaux et objets quotidiens, purs ou sous forme d’alliage (aciers inoxydables, matériaux du bâtiment, textiles, bijouterie, etc.). Certains éléments, qui s’accumulent dans l’organisme, sont directement toxiques, comme le mercure, le plomb ou le cadmium, d’autres sont indispensables au fonctionnement de l’organisme, les oligoéléments comme le sélénium ou le fer, mais peuvent se révéler toxiques à certaines doses. Enfin, certains sont neutres et considérés comme compatibles avec l’organisme comme le titane et l’or par exemple, sous réserve qu’ils ne soient pas sous forme nanométrique.
Muscs synthétiques
Ces composés semi-volatils sont principalement utilisés comme fragrances dans divers produits de consommation (savons, parfums, lotions, crèmes, déodorants, détergents, etc.). Les muscs polycycliques (galaxolide, tonalide) sont aujourd’hui les plus utilisés. Ces substances sont suspectées d’être persistantes, bioaccumulables et toxiques ainsi que perturbateurs endocriniens, et responsables d’allergies de contact et d’exacerbations d’asthme.
Isothiazolinones
Connues pour leurs propriétés antifongiques et antibactériennes, ces substances sont utilisées comme conservateurs d’une large gamme de produits manufacturés (peintures en émulsion, vernis à bois, adhésifs, cosmétiques, produits d’hygiène et d’entretien de la maison, etc.). Ce sont des allergènes de contact très fréquents qui peuvent avoir aussi des effets respiratoires.
Composés perfluorés
Les substances per et polyfluoroalkylées (PFAS), de par leurs propriétés surfactantes et de résistance aux chaleurs intenses ou aux acides, à l’eau et aux graisses, sont utilisées dans nombre de produits de consommation et d’applications industrielles. Conçues pour une stabilité à long terme, les PFAS ne se décomposent pas facilement et sont difficiles à détruire, d’où leur surnom de « substances chimiques éternelles » dans les milieux de l’environnement. Leur présence ubiquitaire et leur toxicité suspectée (cancérogénicité, perturbateur endocrinien, immunotoxicité, métabolisme lipidique ou de la thyroïde, etc.) en font des substances à surveiller.
Comment réduire l’exposition aux polluants chimiques de la poussière domestique
Les composés chimiques adsorbés sur les particules de la poussière domestique peuvent pénétrer le corps humain par inhalation de particules en suspension et remises en suspension dans l’air, par ingestion de particules adhérant aux aliments, aux objets et à la peau, ainsi que par absorption par la peau. Les enfants ont une sensibilité particulière car ils ont tendance à porter leurs doigts et divers objets à la bouche et certains de ces composés peuvent nuire à leur développement.
Les recommandations suivantes peuvent être données aux occupants pour réduire leur exposition : choisir des produits labellisés (Ecolabel européen, NF Environnement, etc.), bien ranger sa maison pour ne pas accumuler de poussière, particulièrement si certains équipements sont traités contre les taches, odeurs, bactéries, acariens, se déchausser pour éviter d’introduire des contaminants de l’extérieur, éliminer régulièrement la poussière des surfaces et objets par un chiffon humide ou un bandeau en microfibre et par aspiration avec filtre HEPA, bien renouveler l’air de sa maison et respecter les mesures d’hygiène individuelles.
Conclusion
La poussière domestique est un véritable réservoir de polluants, qui comprend, outre des micro-organismes et des allergènes, une grande richesse de substances chimiques persistantes, dont certaines sont hautement préoccupantes pour la santé et l’environnement. L’exposition via la poussière sédimentée n’est pas négligeable, notamment l’ingestion pour les jeunes enfants, et justifie l’élaboration de valeurs guides pour la poussière intérieure (VGPI) afin d’interpréter les résultats des mesures.
Pour en savoir plus
- Glorennec P, Mandin C, Mercier F, et al. Expositions et risques sanitaires liés aux composés organiques semi-volatils dans l’habitat. Synthèse du programme de recherche ECOS-Habitat. Environnement, Risque et Santé 2019 ; 18 : 380-91.
- Corre MF, Squinazi F. Analyse de la poussière de maison comme indicateur de la pollution domestique. Projet réalisé pour le Fonds de dotation de UFC-Que Choisir. Congrès Atmos’FAir,21 septembre 2022.
Véronique Ezratty (1), David Ormandy (2)
1. Service des études médicales (SEM), EDF – DRH Groupe – DSSPT – PSS, Smartside, Paris
2. Warwick Medical School, University of Warwick, Coventry CV4 7AL, United Kingdom
Synthèse publiée le : 29/06/2023
SYNTHÈSE :
Précarité énergétique et santé : un enjeu majeur en contexte de crise énergétique et de changement climatique
La hausse importante et rapide des prix de l'énergie a entraîné une augmentation du nombre de personnes en situation de précarité énergétique en Europe, c’est-à-dire présentant des difficultés, voire une incapacité à pouvoir chauffer correctement leur logement. Cette situation génère un risque accru de mortalité et de morbidité, en particulier chez les personnes vulnérables comme les personnes âgées, notamment celles vivant seules, les enfants et les personnes présentant une maladie chronique ou un handicap. Plus récemment, la précarité énergétique a aussi été considérée sous l’angle de la difficulté pour certains ménages de se déplacer. Cette précarité énergétique de « mobilité » a des répercussions négatives importantes sur le bien-être, les chances de réussite dans la vie et même sur la santé. Le changement climatique est également un facteur de précarité énergétique pour les ménages qui ne pourront pas rafraîchir suffisamment leurs logements lors des prochains épisodes caniculaires. La survenue plus fréquente d’événements climatiques extrêmes augmente le risque de coupures d’électricité avec des risques pour la santé. Par ailleurs, les mesures de décarbonation menées dans le cadre de la transition énergétique devront être déployées de façon adaptée afin de limiter les inégalités existantes ou tout au moins ne pas les accroître.
Crise de la précarité énergétique et conséquences sur la santé
La précarité énergétique est liée à trois principaux facteurs : l'inefficacité énergétique des logements, le coût élevé de l'énergie et des ressources financières disponibles insuffisantes pour les ménages.
En France, la loi du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2, en donne la définition suivante : « Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». Il s'agit d'un phénomène complexe difficile à quantifier, caractérisé par plusieurs indicateurs et répondant à différentes définitions en Europe. Un ménage ayant de faibles revenus n’est pas forcément en situation de précarité énergétique. Il le sera en revanche s’il habite dans un logement inefficace sur le plan énergétique, familièrement appelé « passoire thermique ». La consommation d’énergie était déjà considérée comme un sujet de préoccupation majeur par 84 % des Français en 2021.
En 2022, la hausse importante des coûts de l’énergie observée dans le contexte de guerre en Ukraine, atténuée ou non en fonction des politiques nationales, a exacerbé la précarité énergétique dans toute l'Europe, une situation qui toucherait aujourd’hui jusqu’à 125 millions de personnes avec des taux qui seraient plus élevés en Europe du Sud et de l'Est.
Malgré le bouclier tarifaire mis en place en France pour limiter les effets de la hausse des prix et protéger au mieux les catégories de ménages les plus exposées, il est rapporté qu'un quart des consommateurs rencontrent des difficultés pour payer leurs factures d'énergie, les 18-34 ans étant les plus touchés. D'après le médiateur national de l'énergie, en 2022, 69 % des Français ont restreint leur chauffage pour limiter le montant des factures (ils étaient 60 % en 2021 et 53 % en 2020). Il en va de même au Royaume-Uni, où plus d'un quart des ménages à faibles revenus n'ont pas eu les moyens de chauffer correctement leur logement pendant l'hiver 2022-2023. Pour réduire la précarité énergétique en France, la rénovation énergétique des 5 millions de passoires thermiques est considérée comme essentielle, mais ce processus est coûteux et encore trop lent.
Les personnes en situation de précarité énergétique peuvent rationner le chauffage (ne chauffer qu'une seule pièce) ou faire des compromis sur d'autres nécessités (réduire l’utilisation d’eau chaude ou des moyens de cuisson des aliments). La précarité énergétique est souvent associée à une insécurité pour se nourrir, se loger, conserver une hygiène corporelle, se soigner, s’éduquer, situations qui exacerbent le stress et les risques pour la santé.
La précarité énergétique est associée à une morbidité et une mortalité cardiovasculaire et respiratoire, ainsi qu'à une altération de la santé mentale. Le fait de moins chauffer un logement favorise les phénomènes de condensation et de développement de moisissures, ce qui augmente le risque d'asthme et d'allergies, en particulier chez les enfants. Une étude récente, utilisant des données britanniques, a montré que le fait d'emménager dans un logement insuffisamment chauffé était associé à une probabilité presque doublée de souffrir de détresse psychologique grave chez des personnes sans détresse psychologique initiale, et à une probabilité trois fois plus élevée de souffrir de détresse psychologique sévère pour les personnes ayant déjà souffert de détresse psychologique « borderline » [1].
La crise énergétique augmente la pollution de l'air extérieur, en raison de la combustion accrue de charbon et de bois ou même de déchets pour le chauffage domestique, comme cela avait déjà été observé lors de la crise économique grecque de 2012 où un smog hivernal avait enveloppé Athènes. Une mauvaise combustion de biomasse, au moyen d’appareils de chauffage vétustes ou de cheminées à foyer ouvert, contribue à dégrader la qualité de l'air intérieur avec un impact sur la santé.
Les ménages en situation de précarité énergétique sont plus à risque d'intoxication au monoxyde de carbone (CO) pouvant entraîner des effets graves sur la santé allant jusqu’au décès, car ils sont davantage susceptibles d’utiliser des appareils de chauffage d’appoint à combustible fossile sans ventilation adaptée. En France, depuis septembre 2022, les centres antipoison ont signalé une augmentation des intoxications au CO dues à l'utilisation d’appareils non conçus pour le chauffage intérieur comme les braseros et les barbecues. Les effets de la précarité énergétique sur la santé ont des conséquences économiques néfastes à court et à long terme avec un absentéisme augmenté et une baisse du niveau d'éducation des populations touchées, en particulier les enfants. Ceux-ci ont du mal à faire leurs devoirs et, plus globalement, souffrent des conditions délétères dans le logement pour leur développement physique et mental.
Élargissement de la définition de précarité énergétique à la « mobilité »
La définition de la précarité énergétique a été récemment élargie pour inclure les difficultés de déplacement, notamment pour les personnes vivant loin des zones urbaines. Le fait de ne pas pouvoir s'offrir ou accéder à des moyens de transport limite la satisfaction des besoins essentiels, tels que l'approvisionnement en nourriture, l'emploi, l'éducation et les soins de santé. De plus, des coûts élevés de transport réduisent le financement disponible pour l'énergie domestique, et vice versa. En France, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) considère qu’un ménage est en précarité énergétique « mobilité » lorsqu'il fait partie des 30 % les plus pauvres de la population et qu'il consacre plus de 4,5 % de ses ressources à l'énergie nécessaire à ses déplacements pour satisfaire ses besoins essentiels. La crise énergétique accentue ce problème avec des effets directs et indirects sur la santé. Cette situation pourrait encore s’aggraver lorsque les véhicules routiers les plus anciens ne seront plus autorisés à rouleret, à partir de 2035, lorsque les voitures thermiques neuves seront interdites à la vente dans l’Union européenne, à moins que des infrastructures de transports, accessibles à tous tant en termes de praticité que de coûts et équitablement réparties sur le territoire, soient mises en place. La stratégie de transition écologique vers la neutralité carbone en cours de développement devrait prendre en compte de façon intégrée les deux types de précarité énergétique afin d'éviter, par exemple, que les habitants de nouveaux logements consommant moins d'énergie ne soient obligés de recourir à des transports privés énergivores pour obtenir des services vitaux en raison d'un accès insuffisant aux transports publics.
Précarité énergétique et changement climatique
L’augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des vagues de chaleur, y compris dans des pays au climat tempéré comme la France, implique qu'un nombre croissant de ménages auront du mal à rafraîchir leur logement une partie de l’année, en particulier dans les zones urbaines denses par l'effet d'îlot de chaleur, avec des conséquences délétères pour leur santé, leur bien-être mais aussi leur performance, par exemple en cas de télétravail.
La recherche sur les liens entre la précarité énergétique, la santé et le changement climatique n'en est qu'à ses débuts en Europe, mais des enseignements peuvent être tirés de pays comme l'Australie et le Japon [2].
Les personnes vulnérables à la chaleur sont les mêmes que celles qui sont vulnérables au froid. La mortalité due aux vagues de chaleur touche principalement les personnes âgées et les personnes à faible revenu qui sont moins bien équipées socialement, économiquement et physiologiquement pour supporter des températures élevées. L'isolation bien conçue des habitations associée à une ventilation adaptée, en plus de protéger du froid, protège des températures excessives sans altérer la qualité de l’air intérieur. En France, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a émis des recommandations visant à améliorer la préparation et la gestion des vagues de chaleur et des canicules extrêmes pour différents environnements, y compris les habitats précaires collectifs[1].
Une étude récente menée dans huit pays industrialisés et au climat tempéré, dont la France, a montré une augmentation de l'utilisation de la climatisation associée à une hausse de 42 % des dépenses énergétiques des ménages en cas de fortes chaleurs. Ces coûts supplémentaires contribueront à accroître l’exposition des ménages à faibles revenus aux situations de précarité énergétique. Ces ménages auront du mal à s'équiper des appareils les plus efficaces, ce qui accentuera le phénomène et pourrait les amener à détourner des fonds destinés à l'alimentation ou au transport [3].
Les phénomènes météorologiques extrêmes (ouragans, vagues de chaleur, tempêtes de neige, etc.) seront plus fréquents et intenses et augmenteront le risque d’insécurité énergétique aiguë avec des coupures d’électricité plus fréquentes et parfois prolongées [4]. Les conséquences de ces ruptures d’approvisionnement sur la santé dépendent de multiples facteurs dont la durée de la coupure, mais aussi de la vulnérabilité des individus et de leur comportement. Lorsque les coupures ont lieu pendant les périodes de froid, il existe un risque accru d'incendie et d'intoxication au CO lié à l'utilisation inappropriée de chauffages d'appoint ou de groupes électrogènes. Les coupures d’électricité peuvent aussi accroître le risque d'intoxication alimentaire lié à la mauvaise conservation des aliments dans les réfrigérateurs et les congélateurs, ainsi que la libération de micro-organismes (légionelles, endotoxines, etc.) lors de la remise en service des systèmes de climatisation/ventilation ou d'eau chaude (en particulier si les systèmes ont été mal entretenus). Les taux de mortalité, toutes causes confondues, sont plus élevés pendant les coupures de courant. Les ménages confrontés à des coupures signalent aussi davantage de problèmes de santé mentale à long terme liés au stress financier, physique et environnemental, ainsi que des craintes et de l'anxiété quant à d'éventuelles futures coupures.
Précarité énergétique et transition énergétique
L’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 nécessite de réduire drastiquement la consommation d’énergie et de développer les énergies renouvelables dans tous les secteurs, en particulier ceux du bâtiment et du transport. Cependant, dans le contexte de la crise énergétique actuelle, les décideurs politiques ont encore parfois recours à des solutions à court terme et à une recherche renforcée de nouvelles sources de combustibles fossiles. Par ailleurs, les efforts de décarbonation pourraient, à court terme, creuser les inégalités et accroître la précarité énergétique en l’absence de politiques volontaristes dédiées aux populations défavorisées ne disposant ni des moyens matériels ni même de l’accès à l’information pour réaliser les adaptations nécessaires. En effet, si la transition peut apporter des avantages sociaux significatifs, elle peut aussi accroître les vulnérabilités [5]. Une approche multidimensionnelle de ce phénomène complexe est nécessaire.
Conclusion
Rendre accessible l’énergie nécessaire aux besoins des ménages dans leurs logements et pour les transports est essentiel pour la santé et le bien-être de chacun, mais aussi pour l'économie et la société. La capacité à lutter à la fois contre le changement climatique et contre la précarité énergétique dépendra de la rapidité d’amélioration massive de l’efficacité énergétique des logements, de l’accessibilité des moyens de transport et de la manière dont nous faisons face aux crises énergétiques.
Remerciements
Merci à Gaëlle Guillossou, Mireille Gary, Alice Rigor et Stéphanie Billot-Bonef pour leur aide lors de la rédaction de cet article.
Références
[1] Clair A, Baker E. Cold homes and mental health harm: Evidence from the UK Household Longitudinal Study. Social Science & Medicine2022 ; 314 : 115461.
[2] Churchill SA, Smyth R, Trinh TA. Energy poverty, temperature and climate change. Energy Economics 2022 ; 114 : 106306.
[3] Randazzo T, De Cian E, Mistry MN. Air conditioning and electricity expenditure: The role of climate in temperate countries. Economic Modelling 2020 ; 90 : 273-87.
[4] Jessel S, Sawyer S, Hernandez D. Energy, poverty, and health in climate change: A comprehensive review of an emerging literature. Front Public Health 2019 ; 7 : 357.
[5] Sherriff G, Butler D, Brown P. The reduction of fuel poverty may be lost in the rush to decarbonise: Six research risks at the intersection of fuel poverty, climate change and decarbonization. People, Place and Policy 2022 ; 16 : 116-35.
[1] http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=1263
Synthèses publiées le : 17/05/2022
SYNTHESE :
La ventilation des bâtiments en France
Fabien Squinazi (1),
Christian Feldmann (2)
1. Médecin biologiste,
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique, Paris
2. Ingénieur du Conservatoire national des arts et métiers,
Consultant-REHVA Fellow
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SYNTHESE :
Domiscore : une grille multicritѐres
pour mesurer l’impact de l’habitat sur la santé
Fabien Squinazi
Médecin biologiste,
Membre du Haut Conseil de la Santé Publique, Paris
Synthèse publiée le : 13/05/2019
Synthèse : Efficacité énergétique et qualité de l'air intérieur
Corinne Mandin
Université Paris-Est
Centre Scientifique et Technique du Bâtiment (CSTB),
Champs-sur-Marne
Synthèse publiée le : 01/04/2017
Moisissures et habitat
Fabien Squinazi*
* Ancien Directeur du Laboratoire d’hygiène de la ville de Paris
Synthèse publiée le : 01/04/2016
Qualité de l'air intérieur
Corinne Mandin
Université Paris-Est
Centre scientifique et technique du bâtiment (CSTB)
84, avenue Jean Jaurès
77447 Champs-sur-Marne Cedex 02
France
corinne.mandin@cstb.fr