Milieu de vie

Habitat

YearBook 2023

Fabien Squinazi (1), Marie-France Corre (2)

1. Médecin biologiste, président de la Commission spécialisée « Risques liés à l’environnement » du Haut Conseil de la santé publique, Paris
2. Ingénieur, consultante indépendante, Paris

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Synthèse publiée le : 29/06/2023

SYNTHÈSE :
Polluants chimiques et poussière domestique

La poussière de maison est un mélange complexe de matière particulaire de l’air sédimentée, d’éléments biologiques (squames, spores de champignons, fragments de végétaux, pollen, micro-organismes) et de particules de terre d’origine extérieure. De nombreux polluants chimiques s’adsorbent sur ces particules. Ils se dégradent très lentement et forment un réservoir chimique au sein de la maison. Les voies de transmission de ces polluants, dont certains sont toxiques pour l’homme et les animaux domestiques, sont nombreuses (inhalation, ingestion, absorption cutanée) et justifient les conseils donnés aux occupants pour réduire leur exposition.


La poussière domestique est un milieu hétérogène qui comprend à la fois des éléments importés de l’extérieur avec les vêtements et les chaussures, des polluants atmosphériques provenant des entrées d’air ainsi que des sources internes de l’habitat. Les polluants extérieurs comprennent les composés imbrûlés des véhicules motorisés, les polluants présents dans les fumées de cheminée de chauffage des maisons, les polluants émis par les usines et autres sites de production, ainsi que les métaux, minéraux, fibres, pollens, présents dans l’air, les sols ou la poussière extérieure et des pesticides utilisés en agriculture ou dans les parcs et jardins. Les polluants intérieurs sont les résidus de combustion du tabac et combustibles de chauffage, les résidus d’abrasion des textiles, des matériaux de construction, décoration et ameublement (fibres de papier, de laine de verre, bois et textiles) ou les émissions de ces matériaux (décomposition des polymères, relargage des additifs tels que plastifiants, libération de biocides de traitements, etc.). Les occupants et les animaux domestiques, eux-mêmes, enrichissent la poussière domestique de cheveux, poils, fragments de peau, micro-organismes divers ou allergènes et, par leurs activités d’hygiène et de nettoyage, de différentes substances chimiques (conservateurs, biocides tels qu’insecticides, fongicides, parfums, etc.).

La quantité et la composition de la poussière varient beaucoup selon la saison et la zone géographique, les modalités d’aération et de fonctionnement de la ventilation, le type de chauffage, l’âge du bâtiment, la nature des matériaux et leur état, la quantité de meubles et de tapis ainsi que leur état de conservation, les activités des occupants et leurs habitudes de nettoyage.

L’adsorption des polluants chimiques sur les particules de poussière dépend des propriétés physicochimiques de ces polluants (volatilité, lipophilicité, polarité) et des caractéristiques de la poussière (ex. : granulométrie, fraction de matière organique). Les composés de faible volatilité ou de forte polarité sont plus susceptibles de se concentrer dans la poussière.

De nombreuses publications scientifiques internationales témoignent de l’intérêt porté à la poussière domestique comme vecteur d’exposition des occupants aux polluants chimiques. Toutefois, ces données ne sont pas directement exploitables et transposables aux logements français du fait de réglementations, de modes de construction et d’habitudes de vie différents. Des travaux menés, ces dernières années en France, par l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur, le Centre scientifique et technique du bâtiment, l’École des hautes études de santé publique et le Fonds de dotation de l’UFC-Que Choisir, permettent de décrire la pollution chimique de la poussière des logements français.


Principales familles de substances chimiques identifiées dans la poussière domestique

Il existe de très nombreuses familles de polluants pouvant être présents dans la poussière domestique. D’autres familles n’ont pas été décrites ici, comme les polychlorobiphényles, les alkylphénols, les parabènes ou les paraffines chlorées.

Pesticides

Les organochlorés altèrent la transmission de l’influx nerveux des êtres vivants. Ce sont des substances bioaccumulables et particulièrement stables dans l’environnement, même des décennies après l’arrêt de leur utilisation, comme pour le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) et le lindane (longtemps utilisé pour traiter les charpentes et des productions agricoles). Ils agissent comme des perturbateurs endocriniens vis-à-vis de la faune et de l’espèce humaine. La plupart des organochlorés et leurs métabolites sont suspectés d’être cancérogènes.

Les organophosphorés sont les principaux composants d’herbicides et d’insecticides. Ils sont également utilisés dans la production de plastiques et de solvants. Ils sont toxiques pour l’homme, les animaux et les plantes.

Les pyréthrinoïdes sont présents dans de nombreux insecticides modernes et sont utilisés par le grand public et les professionnels de la lutte antiparasitaire. Leur usage en agriculture ou à l’intérieur du logement, l’utilisation de tapis traités par ces insecticides sont des sources de contamination de la poussière domestique. Des effets cancérogènes sont suspectés pour certaines molécules de cette famille (tétraméthrine, pralléthrine) ainsi que des effets reprotoxiques (cyperméthrine).

Les carbamates sont des insecticides utilisés pour le traitement des pelouses et en agriculture forestière. Ils sont également utilisés dans la lutte antiparasitaire pour les animaux domestiques, contre les moustiques anophèles, les fourmis et d’autres ravageurs agricoles. Certaines molécules (propoxur) sont suspectées d’effets reprotoxiques et mutagènes.

Les triazoles sont principalement utilisés comme fongicides contre les maladies des céréales. Certaines molécules sont reprotoxiques (propiconazole, tébuconazole) ou cancérogènes possibles (tébuconazole).

Plastifiants

Les phtalates sont utilisés dans des centaines de produits tels que les revêtements de sols en vinyle, les adhésifs, les détergents, les huiles lubrifiantes, les plastiques automobiles, les vêtements en plastique et les produits de soins personnels (savons, shampooings, laques pour cheveux et vernis à ongles), de même que dans les articles en PVC souple (films et feuilles d’emballage en plastique, tuyaux d’arrosage, jouets gonflables, conteneurs de stockage de sang, tubes médicaux et certains jouets pour enfants). Plusieurs phtalates sont connus comme reprotoxiques.

Les bisphénols sont utilisés dans de nombreuses applications en plasturgie. Le bisphénol A est la matière première de base utilisée pour la production du polycabonate et des résines époxy. Les bisphénols possèdent tous des propriétés reprotoxiques suspectées ou avérées.

Retardateurs de flamme

Ils sont utilisés pour retarder et limiter la propagation d’un incendie dans toutes sortes d’objets et d’équipements (appareils électriques et électroniques, meubles rembourrés comme les canapés, matelas, revêtements de sol, textiles décoratifs, etc.). Ils sont persistants, bioaccumulables et se dégradent difficilement dans l’environnement. Les composés bromés (PBDE, etc.) ou phosphatés sont pour la plupart d’entre eux très toxiques et sont suspectés d’être des perturbateurs endocriniens.

Hydrocarbures aromatiques polycycliques et nicotine

Les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) sont des constituants naturels du charbon, ou du pétrole, ou sont formés par la combustion incomplète de matières organiques telles que les carburants, le bois, le tabac. Ils sont présents dans l’air, l’eau, les denrées alimentaires et la poussière domestique. Le benzo[a]pyrène est un cancérogène avéré. La présence de nicotine dans la poussière domestique est un marqueur des polluants émis par la combustion du tabac (nitrosamines, benzène, HAP, etc.).

Éléments traces

Les métaux et minéraux sont présents naturellement dans l’environnement. Cependant, pour nombre d’entre eux, l’activité humaine a fortement augmenté leur présence. Ils sont utilisés dans de nombreux matériaux et objets quotidiens, purs ou sous forme d’alliage (aciers inoxydables, matériaux du bâtiment, textiles, bijouterie, etc.). Certains éléments, qui s’accumulent dans l’organisme, sont directement toxiques, comme le mercure, le plomb ou le cadmium, d’autres sont indispensables au fonctionnement de l’organisme, les oligoéléments comme le sélénium ou le fer, mais peuvent se révéler toxiques à certaines doses. Enfin, certains sont neutres et considérés comme compatibles avec l’organisme comme le titane et l’or par exemple, sous réserve qu’ils ne soient pas sous forme nanométrique.

Muscs synthétiques

Ces composés semi-volatils sont principalement utilisés comme fragrances dans divers produits de consommation (savons, parfums, lotions, crèmes, déodorants, détergents, etc.). Les muscs polycycliques (galaxolide, tonalide) sont aujourd’hui les plus utilisés. Ces substances sont suspectées d’être persistantes, bioaccumulables et toxiques ainsi que perturbateurs endocriniens, et responsables d’allergies de contact et d’exacerbations d’asthme.

Isothiazolinones

Connues pour leurs propriétés antifongiques et antibactériennes, ces substances sont utilisées comme conservateurs d’une large gamme de produits manufacturés (peintures en émulsion, vernis à bois, adhésifs, cosmétiques, produits d’hygiène et d’entretien de la maison, etc.). Ce sont des allergènes de contact très fréquents qui peuvent avoir aussi des effets respiratoires.

Composés perfluorés

Les substances per et polyfluoroalkylées (PFAS), de par leurs propriétés surfactantes et de résistance aux chaleurs intenses ou aux acides, à l’eau et aux graisses, sont utilisées dans nombre de produits de consommation et d’applications industrielles. Conçues pour une stabilité à long terme, les PFAS ne se décomposent pas facilement et sont difficiles à détruire, d’où leur surnom de « substances chimiques éternelles » dans les milieux de l’environnement. Leur présence ubiquitaire et leur toxicité suspectée (cancérogénicité, perturbateur endocrinien, immunotoxicité, métabolisme lipidique ou de la thyroïde, etc.) en font des substances à surveiller.


Comment réduire l’exposition aux polluants chimiques de la poussière domestique

Les composés chimiques adsorbés sur les particules de la poussière domestique peuvent pénétrer le corps humain par inhalation de particules en suspension et remises en suspension dans l’air, par ingestion de particules adhérant aux aliments, aux objets et à la peau, ainsi que par absorption par la peau. Les enfants ont une sensibilité particulière car ils ont tendance à porter leurs doigts et divers objets à la bouche et certains de ces composés peuvent nuire à leur développement.

Les recommandations suivantes peuvent être données aux occupants pour réduire leur exposition : choisir des produits labellisés (Ecolabel européen, NF Environnement, etc.), bien ranger sa maison pour ne pas accumuler de poussière, particulièrement si certains équipements sont traités contre les taches, odeurs, bactéries, acariens, se déchausser pour éviter d’introduire des contaminants de l’extérieur, éliminer régulièrement la poussière des surfaces et objets par un chiffon humide ou un bandeau en microfibre et par aspiration avec filtre HEPA, bien renouveler l’air de sa maison et respecter les mesures d’hygiène individuelles.


Conclusion

La poussière domestique est un véritable réservoir de polluants, qui comprend, outre des micro-organismes et des allergènes, une grande richesse de substances chimiques persistantes, dont certaines sont hautement préoccupantes pour la santé et l’environnement. L’exposition via la poussière sédimentée n’est pas négligeable, notamment l’ingestion pour les jeunes enfants, et justifie l’élaboration de valeurs guides pour la poussière intérieure (VGPI) afin d’interpréter les résultats des mesures.


Pour en savoir plus

  • Glorennec P, Mandin C, Mercier F, et al. Expositions et risques sanitaires liés aux composés organiques semi-volatils dans l’habitat. Synthèse du programme de recherche ECOS-Habitat. Environnement, Risque et Santé 2019 ; 18 : 380-91.
  • Corre MF, Squinazi F. Analyse de la poussière de maison comme indicateur de la pollution domestique. Projet réalisé pour le Fonds de dotation de UFC-Que Choisir. Congrès Atmos’FAir,21 septembre 2022.