Synthèse publiée le : 29/06/2023

SYNTHÈSE :
Précarité énergétique et santé : un enjeu majeur en contexte de crise énergétique et de changement climatique

La hausse importante et rapide des prix de l'énergie a entraîné une augmentation du nombre de personnes en situation de précarité énergétique en Europe, c’est-à-dire présentant des difficultés, voire une incapacité à pouvoir chauffer correctement leur logement. Cette situation génère un risque accru de mortalité et de morbidité, en particulier chez les personnes vulnérables comme les personnes âgées, notamment celles vivant seules, les enfants et les personnes présentant une maladie chronique ou un handicap. Plus récemment, la précarité énergétique a aussi été considérée sous l’angle de la difficulté pour certains ménages de se déplacer. Cette précarité énergétique de « mobilité » a des répercussions négatives importantes sur le bien-être, les chances de réussite dans la vie et même sur la santé. Le changement climatique est également un facteur de précarité énergétique pour les ménages qui ne pourront pas rafraîchir suffisamment leurs logements lors des prochains épisodes caniculaires. La survenue plus fréquente d’événements climatiques extrêmes augmente le risque de coupures d’électricité avec des risques pour la santé. Par ailleurs, les mesures de décarbonation menées dans le cadre de la transition énergétique devront être déployées de façon adaptée afin de limiter les inégalités existantes ou tout au moins ne pas les accroître.


Crise de la précarité énergétique et conséquences sur la santé

La précarité énergétique est liée à trois principaux facteurs : l'inefficacité énergétique des logements, le coût élevé de l'énergie et des ressources financières disponibles insuffisantes pour les ménages.

En France, la loi du 12 juillet 2010, dite loi Grenelle 2, en donne la définition suivante : « Est en situation de précarité énergétique une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat ». Il s'agit d'un phénomène complexe difficile à quantifier, caractérisé par plusieurs indicateurs et répondant à différentes définitions en Europe. Un ménage ayant de faibles revenus n’est pas forcément en situation de précarité énergétique. Il le sera en revanche s’il habite dans un logement inefficace sur le plan énergétique, familièrement appelé « passoire thermique ». La consommation d’énergie était déjà considérée comme un sujet de préoccupation majeur par 84 % des Français en 2021.

En 2022, la hausse importante des coûts de l’énergie observée dans le contexte de guerre en Ukraine, atténuée ou non en fonction des politiques nationales, a exacerbé la précarité énergétique dans toute l'Europe, une situation qui toucherait aujourd’hui jusqu’à 125 millions de personnes avec des taux qui seraient plus élevés en Europe du Sud et de l'Est.

Malgré le bouclier tarifaire mis en place en France pour limiter les effets de la hausse des prix et protéger au mieux les catégories de ménages les plus exposées, il est rapporté qu'un quart des consommateurs rencontrent des difficultés pour payer leurs factures d'énergie, les 18-34 ans étant les plus touchés. D'après le médiateur national de l'énergie, en 2022, 69 % des Français ont restreint leur chauffage pour limiter le montant des factures (ils étaient 60 % en 2021 et 53 % en 2020). Il en va de même au Royaume-Uni, où plus d'un quart des ménages à faibles revenus n'ont pas eu les moyens de chauffer correctement leur logement pendant l'hiver 2022-2023. Pour réduire la précarité énergétique en France, la rénovation énergétique des 5 millions de passoires thermiques est considérée comme essentielle, mais ce processus est coûteux et encore trop lent.

Les personnes en situation de précarité énergétique peuvent rationner le chauffage (ne chauffer qu'une seule pièce) ou faire des compromis sur d'autres nécessités (réduire l’utilisation d’eau chaude ou des moyens de cuisson des aliments). La précarité énergétique est souvent associée à une insécurité pour se nourrir, se loger, conserver une hygiène corporelle, se soigner, s’éduquer, situations qui exacerbent le stress et les risques pour la santé.

La précarité énergétique est associée à une morbidité et une mortalité cardiovasculaire et respiratoire, ainsi qu'à une altération de la santé mentale. Le fait de moins chauffer un logement favorise les phénomènes de condensation et de développement de moisissures, ce qui augmente le risque d'asthme et d'allergies, en particulier chez les enfants. Une étude récente, utilisant des données britanniques, a montré que le fait d'emménager dans un logement insuffisamment chauffé était associé à une probabilité presque doublée de souffrir de détresse psychologique grave chez des personnes sans détresse psychologique initiale, et à une probabilité trois fois plus élevée de souffrir de détresse psychologique sévère pour les personnes ayant déjà souffert de détresse psychologique « borderline » [1].

La crise énergétique augmente la pollution de l'air extérieur, en raison de la combustion accrue de charbon et de bois ou même de déchets pour le chauffage domestique, comme cela avait déjà été observé lors de la crise économique grecque de 2012 où un smog hivernal avait enveloppé Athènes. Une mauvaise combustion de biomasse, au moyen d’appareils de chauffage vétustes ou de cheminées à foyer ouvert, contribue à dégrader la qualité de l'air intérieur avec un impact sur la santé.

Les ménages en situation de précarité énergétique sont plus à risque d'intoxication au monoxyde de carbone (CO) pouvant entraîner des effets graves sur la santé allant jusqu’au décès, car ils sont davantage susceptibles d’utiliser des appareils de chauffage d’appoint à combustible fossile sans ventilation adaptée. En France, depuis septembre 2022, les centres antipoison ont signalé une augmentation des intoxications au CO dues à l'utilisation d’appareils non conçus pour le chauffage intérieur comme les braseros et les barbecues. Les effets de la précarité énergétique sur la santé ont des conséquences économiques néfastes à court et à long terme avec un absentéisme augmenté et une baisse du niveau d'éducation des populations touchées, en particulier les enfants. Ceux-ci ont du mal à faire leurs devoirs et, plus globalement, souffrent des conditions délétères dans le logement pour leur développement physique et mental.


Élargissement de la définition de précarité énergétique à la « mobilité »

La définition de la précarité énergétique a été récemment élargie pour inclure les difficultés de déplacement, notamment pour les personnes vivant loin des zones urbaines. Le fait de ne pas pouvoir s'offrir ou accéder à des moyens de transport limite la satisfaction des besoins essentiels, tels que l'approvisionnement en nourriture, l'emploi, l'éducation et les soins de santé. De plus, des coûts élevés de transport réduisent le financement disponible pour l'énergie domestique, et vice versa. En France, l’Observatoire national de la précarité énergétique (ONPE) considère qu’un ménage est en précarité énergétique « mobilité » lorsqu'il fait partie des 30 % les plus pauvres de la population et qu'il consacre plus de 4,5 % de ses ressources à l'énergie nécessaire à ses déplacements pour satisfaire ses besoins essentiels. La crise énergétique accentue ce problème avec des effets directs et indirects sur la santé. Cette situation pourrait encore s’aggraver lorsque les véhicules routiers les plus anciens ne seront plus autorisés à rouleret, à partir de 2035, lorsque les voitures thermiques neuves seront interdites à la vente dans l’Union européenne, à moins que des infrastructures de transports, accessibles à tous tant en termes de praticité que de coûts et équitablement réparties sur le territoire, soient mises en place. La stratégie de transition écologique vers la neutralité carbone en cours de développement devrait prendre en compte de façon intégrée les deux types de précarité énergétique afin d'éviter, par exemple, que les habitants de nouveaux logements consommant moins d'énergie ne soient obligés de recourir à des transports privés énergivores pour obtenir des services vitaux en raison d'un accès insuffisant aux transports publics.


Précarité énergétique et changement climatique

L’augmentation de la fréquence, de l'intensité et de la durée des vagues de chaleur, y compris dans des pays au climat tempéré comme la France, implique qu'un nombre croissant de ménages auront du mal à rafraîchir leur logement une partie de l’année, en particulier dans les zones urbaines denses par l'effet d'îlot de chaleur, avec des conséquences délétères pour leur santé, leur bien-être mais aussi leur performance, par exemple en cas de télétravail.

La recherche sur les liens entre la précarité énergétique, la santé et le changement climatique n'en est qu'à ses débuts en Europe, mais des enseignements peuvent être tirés de pays comme l'Australie et le Japon [2].

Les personnes vulnérables à la chaleur sont les mêmes que celles qui sont vulnérables au froid. La mortalité due aux vagues de chaleur touche principalement les personnes âgées et les personnes à faible revenu qui sont moins bien équipées socialement, économiquement et physiologiquement pour supporter des températures élevées. L'isolation bien conçue des habitations associée à une ventilation adaptée, en plus de protéger du froid, protège des températures excessives sans altérer la qualité de l’air intérieur. En France, le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) a émis des recommandations visant à améliorer la préparation et la gestion des vagues de chaleur et des canicules extrêmes pour différents environnements, y compris les habitats précaires collectifs[1].

Une étude récente menée dans huit pays industrialisés et au climat tempéré, dont la France, a montré une augmentation de l'utilisation de la climatisation associée à une hausse de 42 % des dépenses énergétiques des ménages en cas de fortes chaleurs. Ces coûts supplémentaires contribueront à accroître l’exposition des ménages à faibles revenus aux situations de précarité énergétique. Ces ménages auront du mal à s'équiper des appareils les plus efficaces, ce qui accentuera le phénomène et pourrait les amener à détourner des fonds destinés à l'alimentation ou au transport [3].

Les phénomènes météorologiques extrêmes (ouragans, vagues de chaleur, tempêtes de neige, etc.) seront plus fréquents et intenses et augmenteront le risque d’insécurité énergétique aiguë avec des coupures d’électricité plus fréquentes et parfois prolongées [4]. Les conséquences de ces ruptures d’approvisionnement sur la santé dépendent de multiples facteurs dont la durée de la coupure, mais aussi de la vulnérabilité des individus et de leur comportement. Lorsque les coupures ont lieu pendant les périodes de froid, il existe un risque accru d'incendie et d'intoxication au CO lié à l'utilisation inappropriée de chauffages d'appoint ou de groupes électrogènes. Les coupures d’électricité peuvent aussi accroître le risque d'intoxication alimentaire lié à la mauvaise conservation des aliments dans les réfrigérateurs et les congélateurs, ainsi que la libération de micro-organismes (légionelles, endotoxines, etc.) lors de la remise en service des systèmes de climatisation/ventilation ou d'eau chaude (en particulier si les systèmes ont été mal entretenus). Les taux de mortalité, toutes causes confondues, sont plus élevés pendant les coupures de courant. Les ménages confrontés à des coupures signalent aussi davantage de problèmes de santé mentale à long terme liés au stress financier, physique et environnemental, ainsi que des craintes et de l'anxiété quant à d'éventuelles futures coupures.


Précarité énergétique et transition énergétique

L’objectif de neutralité carbone à l’horizon 2050 nécessite de réduire drastiquement la consommation d’énergie et de développer les énergies renouvelables dans tous les secteurs, en particulier ceux du bâtiment et du transport. Cependant, dans le contexte de la crise énergétique actuelle, les décideurs politiques ont encore parfois recours à des solutions à court terme et à une recherche renforcée de nouvelles sources de combustibles fossiles. Par ailleurs, les efforts de décarbonation pourraient, à court terme, creuser les inégalités et accroître la précarité énergétique en l’absence de politiques volontaristes dédiées aux populations défavorisées ne disposant ni des moyens matériels ni même de l’accès à l’information pour réaliser les adaptations nécessaires. En effet, si la transition peut apporter des avantages sociaux significatifs, elle peut aussi accroître les vulnérabilités [5]. Une approche multidimensionnelle de ce phénomène complexe est nécessaire.


Conclusion

Rendre accessible l’énergie nécessaire aux besoins des ménages dans leurs logements et pour les transports est essentiel pour la santé et le bien-être de chacun, mais aussi pour l'économie et la société. La capacité à lutter à la fois contre le changement climatique et contre la précarité énergétique dépendra de la rapidité d’amélioration massive de l’efficacité énergétique des logements, de l’accessibilité des moyens de transport et de la manière dont nous faisons face aux crises énergétiques.

Remerciements

Merci à Gaëlle Guillossou, Mireille Gary, Alice Rigor et Stéphanie Billot-Bonef pour leur aide lors de la rédaction de cet article.


Références

[1] Clair A, Baker E. Cold homes and mental health harm: Evidence from the UK Household Longitudinal Study. Social Science & Medicine2022 ; 314 : 115461.

[2] Churchill SA, Smyth R, Trinh TA. Energy poverty, temperature and climate change. Energy Economics 2022 ; 114 : 106306.

[3] Randazzo T, De Cian E, Mistry MN. Air conditioning and electricity expenditure: The role of climate in temperate countries. Economic Modelling 2020 ; 90 : 273-87.

[4] Jessel S, Sawyer S, Hernandez D. Energy, poverty, and health in climate change: A comprehensive review of an emerging literature. Front Public Health 2019 ; 7 : 357.

[5] Sherriff G, Butler D, Brown P. The reduction of fuel poverty may be lost in the rush to decarbonise: Six research risks at the intersection of fuel poverty, climate change and decarbonization. People, Place and Policy 2022 ; 16 : 116-35.

 

 

[1] http://www.hcsp.fr/Explore.cgi/avisrapportsdomaine?clefr=1263