Synthèse publiée le : 01/04/2016

Pesticides et santé : un nombre de preuves grandissant

L’exposition à des pesticides est ubiquitaire et les effets suggérés sur la santé humaine couvrent aujourd’hui de multiples systèmes et organes.

Parmi les molécules chimiques créées pour les activités humaines, les pesticides ont été conçus pour contrôler les systèmes et organismes vivants. Ils permettent ainsi de lutter chimiquement contre des organismes, tels que les herbes, les champignons, les insectes, les rongeurs. Les pesticides sont majoritairement utilisés dans le secteur de l’agriculture mais aussi par d’autres acteurs (collectivités, industries) ainsi qu’en usage domestique, en médecine humaine et vétérinaire. Des préoccupations pour l’environnement et la santé humaine sont ainsi légitimement exprimées depuis plusieurs décennies.

Un grand nombre d’études, françaises et internationales, fait état d’une contamination ubiquitaire de l’environnement par des résidus de pesticides, incluant les eaux, les sols, l’air ambiant, mais aussi l’environnement intérieur. L’Étude de l'alimentation totale française (EAT2), pilotée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (ANSES), a montré que des résidus de pesticides sont détectés dans un tiers des aliments consommés par les Français (identifiant 73 substances sur 283, avec les outils analytiques aujourd’hui disponibles) [1].

L’exposition humaine est attendue lors des usages professionnels de production ou d’application de ces produits. La population générale est-elle exposée par la contamination des denrées alimentaires, et diverses autres sources telles que la proximité des lieux de vie aux zones agricoles et les phénomènes de déplacement des molécules, les usages réalisés au domicile ou dans les jardins privés pour la lutte contre les insectes nuisibles ou les mauvaises herbes, et certains médicaments antiparasitaires [2]. Les voies d’exposition aux pesticides sont ainsi multiples par ingestion, inhalation ou contact cutané.

Il existe de part le monde une accumulation d’études démontrant la présence et la multiplicité des pesticides dans les prélèvements biologiques de toute la population. Pour la France, il s’agit de la stratégie nationale de biosurveillance prise en charge par l’Institut de veille sanitaire, et d’études épidémiologiques[a] qui incluent des populations potentiellement plus vulnérables face aux agressions exogènes telles que les enfants et les femmes enceintes [3].

Malgré la présence de plus de 500 substances actives autorisées en France, ces données d’imprégnation de la population générale sont actuellement pour l’essentiel orientées vers quelques familles chimiques seulement et la connaissance des déterminants de ces niveaux d’imprégnation est encore insuffisante. Une étude d’intervention[b] récente nord-américaine a permis de mettre en évidence que les concentrations de métabolites urinaires[c] de certains pesticides (2,4-D, insecticides organophosphorés du groupe méthyl) pouvaient diminuer de moitié chez des enfants habitant en zone urbaine ou rurale s’ils consommaient des aliments d’origine biologique, mais pas pour d’autres pesticides (insecticides organophosphorés du groupe éthyl, insecticides pyréthrinoïdes, métolachlore) confirmant la contribution de sources d’exposition autre qu’alimentaires [4].

La littérature scientifique s’intéressant à l’impact des pesticides sur la santé humaine est dense et les atteintes potentielles sur la santé humaine sont de plus en plus variées. Une expertise collective de l’Inserm a récemment réalisé un bilan mettant en évidence des effets possibles sur la survenue de maladies neurodégénératives et de troubles cognitifs et mentaux, de cancer de différents organes et systèmes, et d’anomalies de la reproduction et du système endocrinien [5].Ces éléments épidémiologiques sont pour l’essentiel fournis à partir d’études réalisées sur les professionnels exposés aux pesticides ou leurs familles.

Quant aux études s’intéressant à la population générale, la plupart d’entre elles se concentrent sur les premières années de la vie, en s’appuyant sur l’hypothèse que la santé des individus a une composante développementale. Cette année, un certain nombre d’études ont porté sur la famille des insecticides pyréthrinoïdes, qui sont utilisés en substitution aux insecticides organophosphorés, eux-mêmes remplaçant les insecticides organochlorés (ex : DDT, chlordécone). Elles semblent montrer que les enfants actuellement exposés à ces molécules subiraient des baisses de performance cognitive et/ou des modifications comportementales [6-9]. Ces observations n’excluent pas que ces effets, s’ils existent, soient réversibles, et ponctuels tels que ceux qui sont observés chez l’adulte en lien avec une mauvaise qualité de l’air intérieur ou plus simplement avec un facteur de stress ou de fatigue. Bien que préoccupants, ces résultats ne sont pour l’instant pas aussi alarmants que ceux des études sur les insecticides organophosphorés qui suggèrent des mécanismes d’action différents avec un rôle de l’exposition dès la grossesse sur la santé neuro-développementale, mais aussi la croissance et la santé respiratoire des enfants jusqu’à l’âge de 7 ans [10,11]. Concernant les insecticides organochlorés pour la plupart interdits dans les pays développés, les populations y sont exposées à des niveaux résiduels de contamination passée mais persistante de l’environnement ; un impact sur la santé humaine n’est pas exclu, en particulier compte tenu de leur potentiel de perturbation endocrinienne. Plusieurs travaux publiés dans l’année suggèrent une altération possible de concentrations hormonales, telles que des hormones thyroïdiennes chez le nouveau-né de 3 mois lors d’une exposition prénatale au chlordécone [12], certaines hormones sexuelles mesurées dans le sang de cordon suite à l’exposition à l’heptachlore époxyde et l’alpha-endosulfan [13], l’insuline chez les fillettes de 5 ans en association avec une exposition prénatale au DDE et l’hexachlorobenzène [14]. D’autres travaux observent un retard de l’âge à la survenue de la puberté ou de la maturité sexuelle chez les garçons en association avec certains insecticides organochlorés [15], tandis que d’autres n’observent pas de lien avec le surpoids chez les adolescents [16].

 

Les recherches s’orientent actuellement et nécessairement vers l’identification des mélanges de pesticides présents dans nos environnements. L’étude de l’impact de ces expositions multiples, des interactions éventuelles (entre elles et avec d’autres) et de leur cumul tout au long de la vie sur la santé humaine est un défi majeur pour les futures recherches. Afin d’évaluer au mieux l’impact sanitaire global de l’usage et de la présence ubiquitaire des pesticides, les recherches multidisciplinaires incluant par exemple la toxicologie, l’écotoxicologie et l’épidémiologie doivent être encouragées.

 

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Références
  1. Nougadère A, Sirot V, Kadar A, et al. Total diet study on pesticide residues in France: levels in food as consumed and chronic dietary risk to consumers. Environ Int 2012; 45:135-50.
  2. Deziel NC, Friesen MC, Hoppin JA, Hines CJ, Thomas K, Freeman LE. A review of nonoccupational pathways for pesticide exposure in women living in agricultural areas. Environ Health Perspect 2015; 123:515-24.
  3. ANSES. Exposition de la population générale aux résidus de pesticides en France : synthèse et recommandations du comité d'orientation et de prospective scientifique de l'observatoire des résidus de pesticides, ORP. Rapport scientifique, 2010.
  4. Bradman A, Quirós-Alcalá L, Castorina R, et al. Effect of organic diet intervention on pesticide exposures in young children living in low-income urban and agricultural communities. Environ Health Perspect 2015; 123:1086-93.
  5. INSERM. Pesticides. Effets sur la santé. Collection expertise collective, Inserm, Paris, 2013.
  6. Viel JF, Warembourg C, Le Maner-Idrissi G, et al. Pyrethroid insecticide exposure and cognitive developmental disabilities in children: The PELAGIE mother-child cohort. Environ Int 2015; 82:69-75.
  7. Wagner-Schuman M, Richardson JR, Auinger P, et al. Association of pyrethroid pesticide exposure with attention-deficit/hyperactivity disorder in a nationally representative sample of U.S. children. Environ Health 2015; 14:44.
  8. Quirós-Alcalá L, Mehta S, Eskenazi B. Pyrethroid pesticide exposure and parental report of learning disability and attention deficit/hyperactivity disorder in U.S. children: NHANES 1999-2002. Environ Health Perspect 2014; 122:1336-42.
  9. Shelton JF, Geraghty EM, Tancredi DJ, et al. Neurodevelopmental disorders and prenatal residential proximity to agricultural pesticides: the CHARGE study. Environ Health Perspect 2014; 122:1103-9.
  10. Engel SM, Bradman A, Wolff MS, et al. Prenatal organophosphorus pesticide exposure and child neurodevelopment at 24 months: an analysis of four birth cohorts. Environ Health Perspect 2015; Sep 29.
  11. Raanan R, Balmes JR, Harley KG, et al. Decreased lung function in 7-year-old children with early-life organophosphate exposure. Thorax 2015; Dec 3.
  12. Cordier S, Bouquet E, Warembourg C, et al. Perinatal exposure to chlordecone, thyroid hormone status and neurodevelopment in infants: the Timoun cohort study in Guadeloupe (French West Indies). Environ Res 2015; 138:271-8.
  13. Warembourg C, Debost-Legrand A, Bonvallot N, et al. Exposure of pregnant women to persistent organic pollutants and cord sex hormone levels. Hum Reprod 2015; Oct 22.
  14. Tang-Péronard JL, Heitmann BL, Jensen TK, et al. Prenatal exposure to persistent organochlorine pollutants is associated with high insulin levels in 5-year-old girls. Environ Res 2015; 142:407-13.
  15. Lam T, Williams PL, Lee MM, et al. Prepubertal serum concentrations of organochlorine pesticides and age at sexual maturity in Russian boys. Environ Health Perspect 2015; 123:1216-21.
  16. Tang-Péronard JL, Jensen TK, Andersen HR, et al. Associations between exposure to persistent organic pollutants in childhood and overweight up to 12 years later in a low exposed Danish population. Obes Facts 2015; 8:282-92.
Notes

[a] L'épidémiologie est l'étude des facteurs influant sur la santé et les maladies de populations.

[b] Ces études ont pour but d’évaluer l’efficacité d’une intervention.

[c] Composés issus de la dégradation des substances étudiées (ici les pesticides).