ANALYSE D'ARTICLE

Exposition non professionnelle des femmes aux pesticides en milieu rural : état des lieux des connaissances

Cette revue de la littérature nord-américaine fait un point des connaissances concernant les sources d’exposition aux pesticides pour les femmes qui vivent en milieu rural mais ne sont pas professionnellement exposées. Vivre avec un conjoint agriculteur et à proximité de zones agricoles conditionne l’exposition des femmes, mais celle-ci reste mal caractérisée et des progrès sont nécessaires.

This review of the North American literature summarizes current knowledge about the sources of non-occupational pesticide exposure of women living in agricultural areas. Living with a farmer or farm-worker and near agricultural zones affects exposure in women, but exposure characterization is limited and additional studies are needed.

Les effets sanitaires des pesticides ont principalement été étudiés dans des populations d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles, majoritairement masculines. D’où une relative méconnaissance des effets chez les femmes (en particulier sur la reproduction et le risque de cancers hormonodépendants), ainsi que des voies d’exposition autres que l’exposition professionnelle proprement dite, lors de la préparation du mélange et de son application. Si ces voies sont probablement annexes pour les travailleurs en contact direct avec les pesticides, elles pourraient expliquer pourquoi certaines études de biosurveillance en population générale montrent que les femmes qui vivent en milieu rural sont exposées à un plus grand nombre de molécules et subissent une exposition plus intense que celles qui vivent en milieu urbain.

 

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Commentaires

L’idée d’étudier l’exposition des femmes vivant en milieu rural aux pesticides se justifie en effet par le fait que la survenue de différentes pathologies spécifiquement liées au sexe féminin ont été associées à ces molécules.

On retrouve ainsi dans la littérature une augmentation du risque de troubles classiques de la reproduction (principalement dysfertilité et anomalies du développement fœtal), mais aussi une augmentation, pour les enfants exposés in utero, des troubles à traduction plus tardive, comme l’atteinte des capacités d’apprentissage ou la sensibilité accrue aux infections virales (survenue d’otites moyennes en particulier). Parmi les pathologies spécifiquement liées au sexe féminin, on a associé les pesticides au risque de cancers hormono-dépendants (sein et ovaire principalement).

Les auteurs de cette revue de la littérature regrettent les insuffisances des études analysées : faiblesse des échantillons, expositions grossièrement caractérisées. La chronologie des publications (cet article a été publié en janvier 2015) aurait pu permettre de citer trois études françaises publiées en 2014 et qui décrivent des aspects méthodologiques à mettre à profit dans les évaluations d’expositions aux pesticides [1-3].

Pour ce qui est de la pauvreté des données relatives à l’exposition par voie alimentaire, les travaux récents d’une équipe du Muséum d’Histoire Naturelle pourraient permettre de progresser, grâce à l’identification de perturbateurs endocriniens par une méthode qui rend fluorescents de petits organismes aquatiques [4].

Elisabeth Gnansia

 

1. Blanchard et al. Semivolatile organic compounds in indoor air and settled dust in 30 French dwellings. Environ Sci Technol 2014; 48: 3959-69.

2. Chevrier et al. Environmental determinants of the urinary concentrations of herbicides during pregnancy: the PELAGIE mother-child cohort (France). Environ Int 2014; 63: 11-8.

3. Jamin et al. Untargeted profi ling of pesticide metabolites by LC-HRMS: an exposomics tool for human exposure evaluation. Anal Bioanal Chem 2014; 406: 1149-61. ).

4. Castillo et al. In vivo endocrine disruption assessment of wastewater treatment plant effl uents with small organisms. Water Sci Technol 2013; 68: 261-8).

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Quelles sont ces voies d’exposition et que sait-on de leur contribution à l’exposition des femmes en milieu rural ? Les auteurs de cette revue de la littérature en ont considéré quatre. La première est l’exposition paraprofessionnelle des conjointes d’agriculteurs et d’ouvriers agricoles qui ramènent des vêtements et des chaussures de travail contaminés à la maison (takehome exposure). La deuxième est la dérive des pesticides, c’est-à-dire leur transport hors de la surface traitée au cours de l’application (dérive primaire de gouttelettes de pesticides par voie aérienne) ou secondairement (volatilisation depuis la surface traitée ou envol de terre et de poussière végétale). Une troisième voie d’exposition possible est la consommation d’aliments contenant des résidus de pesticides (notamment autoproduction de fruits et légumes) ou l’ingestion d’une eau contaminée. Enfin, l’exposition aux pesticides non agricoles, utilisés dans la maison ou à l’extérieur, dans le jardin ou la cour, a été considérée. Par ailleurs, les auteurs ont recherché des informations sur le rôle de facteurs pouvant réduire l’exposition paraprofessionnelle (comme se changer ou ôter ses chaussures avant d’entrer dans la maison), l’exposition par ingestion (laver les fruits et les légumes avant de les consommer), ou influencer d’une manière quelconque l’exposition au foyer (habitudes de ménage, d’hygiène, présence d’un animal à la maison, etc.).

 

Littérature examinée

Étant donné la diversité des pratiques agricoles et domestiques, la littérature passée en revue a été restreinte aux études réalisées en Amérique du Nord, pour plus de cohérence. Trente-cinq publications (dont 29 relatives à de « grandes » études) ont été sélectionnées, parmi lesquelles 28 rapportaient les résultats d’analyses d’échantillons de poussière domestique (n = 24), d’eau (n = 2) ou des deux (n = 2). Des échantillons biologiques (urine ou sang) avaient été analysés dans 11 études, dont quatre avaient également utilisé des échantillons environnementaux. Le rôle de l’exposition paraprofessionnelle et celui de la dérive des pesticides avaient été investigués dans 22 études, alors que les données sur l’utilisation de pesticides à usage domestique et l’exposition par ingestion étaient limitées (respectivement 9 et 4 études). Dix-huit études fournissaient des données relatives à l’effet de différents facteurs susceptibles d’influencer l’exposition.

 

Synthèse et limites des connaissances

La littérature fournit des preuves d’associations entre le niveau de contamination de la poussière domestique ou le niveau des biomarqueurs urinaires ou sanguins et l’exposition paraprofessionnelle (associations significatives dans 19 études sur 22), ainsi qu’à un moindre degré entre le niveau de contamination de la poussière et la dérive des pesticides agricoles (dans 10 études sur 22) ou l’utilisation de pesticides non agricoles (3 études sur 9).

Les preuves d’un rôle de la voie paraprofessionnelle dans l’exposition des femmes proviennent essentiellement de la comparaison d’échantillons de poussière prélevés dans des maisons habitées par un agriculteur à des échantillons collectés dans d’autres logements. Une association significative est ainsi mise en évidence dans 15 études sur 16. Les résultats issus d’études ayant spécifiquement évalué l’exposition individuelle des femmes par la mesure de biomarqueurs sont moins probants. En particulier, les analyses d’échantillons d’urine prélevés pendant la période d’application des pesticides ne montrent pas d’augmentation des niveaux de biomarqueurs. L’augmentation de l’exposition du conjoint ne semble donc pas déterminante et d’autres facteurs pourraient jouer, comme le fait d’être dehors ou de rester à l’intérieur pendant l’application, ce qui est suggéré par les résultats de deux études. Toutefois, les précisions manquent quant à la quantité de pesticides appliqués et la durée de l’application. Par ailleurs, la fréquence de détection des molécules recherchées dans les échantillons d’urine est souvent faible.

L’exposition résidentielle à une dérive des pesticides était généralement grossièrement évaluée par la proximité de terres agricoles. Les preuves de sa contribution à l’exposition des femmes s’appuient uniquement sur les résultats d’analyses d’échantillons de poussière, qui sont applicables à tous les membres de la famille et reflètent l’exposition chronique. Une élévation des biomarqueurs qui témoignerait d’un épisode récent d’exposition aiguë n’est pas mise en évidence. Néanmoins, comme pour l’impact d’une application de pesticides par le conjoint, celui d’une dérive primaire de pesticides nécessite d’être mieux étudié. Plusieurs paramètres doivent être pris en compte, tels que la quantité de produit appliquée, la surface traitée, la méthode d’application, les conditions météorologiques, les propriétés physicochimiques de la molécule et le moment du recueil des échantillons biologiques. Une meilleure connaissance de l’influence respective des phénomènes de dérives primaire et secondaire est également requise. La relation entre l’usage domestique de pesticides et le niveau de contamination de la poussière mérite plus ample exploration, même si l’exposition mixte à des pesticides agricoles et non agricoles en zone rurale complique l’évaluation de leurs contributions respectives. Les données disponibles proviennent d’études réalisées dans des petites populations, qui avaient un autre objectif ; en conséquence, les questions posées étaient peu précises et peu informatives.

Pour la même raison, l’influence de différents facteurs (hygiène, habitudes de vie, etc.) susceptibles de modifier l’exposition ne peut pas être correctement examinée. Les auteurs soulignent aussi la pauvreté des données relatives à l’exposition alimentaire, alors que cette voie pourrait ne pas être négligeable si les femmes consomment des aliments qui contiennent des résidus de pesticides en quantités plus importantes que les produits commercialisés.

Des progrès dans la caractérisation de l’exposition aux pesticides des femmes qui vivent en zone agricole serviraient à la fois la recherche en épidémiologie et la santé publique.

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée ;

Deziel N1, Friesen M, Hoppin J, Hines C, Thomas K, Beane Freeman L. A review of nonoccupational pathways for pesticide exposure in women living in agricultural areas. Environ Health Perspect 2015; 123: 515-24.

doi: 10.1289/ehp.1408273

 

1 Division of Cancer Epidemiology and Genetics, National Cancer Institute, National Institutes of Health, Department of Health and Human Services, Bethesda, États-Unis.

 

Laurence Nicolle-Mir