Synthèse publiée le : 17/05/2022

SYNTHESE :
Pesticides et santé : que retenir de la nouvelle expertise de l’Inserm de 2021 ?

 

Depuis plusieurs décennies, les pesticides sont suspectés d’exercer des effets néfastes sur la santé des populations et des écosystèmes. Leur utilisation est soumise à une réglementation, et les autorisations sont délivrées par l’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail. En 2013, l’Inserm a été saisi par plusieurs instances pour délivrer une expertise sur les liens entre pesticides et santé [1]. Celle-ci a identifié quatre pathologies (voir ci-après) dont l’incidence augmente en lien avec une exposition aux pesticides en milieu professionnel chez l’adulte et plusieurs pathologies chez l’enfant (en lien avec une exposition à cette population sensible pendant la période périnatale). En 2018, l’Inserm a été à nouveau saisi par cinq directions ministérielles pour mettre à jour l’expertise collective de 2013. Ce sont ces données qui sont présentées ci-après [2]. Cette mise à jour de l’expertise Inserm de 2013, sur le même thème, identifie deux nouvelles pathologies chez l’adulte et plusieurs pathologies chez l’enfant avec une présomption forte de lien avec l’exposition à des pesticides de nature variée.

 

Introduction : définitions et méthodologie

Les pesticides sont des molécules utilisées pour détruire, repousser ou limiter le développement d’organismes jugés nuisibles. Très utilisées dans le domaine agricole, elles présentent d’autres applications (ex. : médecine vétérinaire, nettoyage des voies ferroviaires, etc.). Ce sont des molécules toxiques toujours utilisées sous forme de formulations qui sont vendues aux utilisateurs. Du fait de cette toxicité, elles suscitent des inquiétudes légitimes en cas d’exposition car elles ne sont pas spécifiques d’une espèce, du fait de la conservation, parfois importantes, de nombreux systèmes physiologiques. Par ailleurs, les niveaux de contamination de l’environnement peuvent être importants ; à titre d’exemple, 80 % des eaux souterraines sont contaminées. Ainsi, hormis les milieux professionnels, la population générale est exposée via l’alimentation (les pesticides sont présents dans plus d’un tiers des aliments [3], l’eau du robinet (10 % de la population consomme une eau non conforme à un moment de l’année). En conséquence, 100 % de la population générale a des niveaux d’au moins une famille de pesticides détectables dans l’organisme.

Il est important de rappeler que les pesticides sont utilisés avant le début du XXe siècle avec des molécules depuis interdites, comme l’arsenic, le mercure et la nicotine. Toutefois, le déploiement de leur utilisation massive débute dans les années 1940, avec une diversification des familles de molécules. Le suivi de leur effet sur l’environnement et la santé des populations se développe alors rapidement et conduit à l’interdiction de certaines de ces familles dans certaines régions du monde, comme les organochlorés (dichlorodiphényltrichloroéthane [DDT], chlordécone), utilisés principalement comme insecticides (interdits dans l’Union européenne [UE]), et de nombreux organophosphorés (comme le chlorpyrifos interdit dans l’UE). De nouvelles familles de pesticides sont alors développées et autorisées car considérées comme moins toxiques. L’expertise collective de l’Inserm de 2013 actualisée en 2021 répond au besoin d’analyse exhaustive de la littérature scientifique dans un domaine de forte attente sociétale.

Pour la mise à jour de l’expertise collective publiée en 2021, plus de 5 300 documents ont été analysés par un groupe d‘experts multidisciplinaire (sociologie, expologie, épidémiologie, toxicologie). Cette multidisciplinarité a permis une approche holistique de la question du lien entre pesticides et effets sur la santé, et de poser des présomptions de liens entre exposition aux pesticides (dans certains cas à des familles précises, voire à des molécules) et la survenue de plusieurs pathologies. Trois niveaux ont été retenus : présomption forte, moyenne ou faible. Ces niveaux dépendaient notamment de la puissance des études menées (par exemple, plusieurs études de bonne qualité menées par des études différentes sur des populations différentes et allant toutes globalement vers les mêmes conclusions, c’est-à-dire une association positive).+

Conclusions de l’expertise de 2013 : toutes confirmées [2]

L’expertise de 2013 avait identifié une présomption forte d’un lien entre exposition aux pesticides et quatre pathologies : trois cancers (lymphome non hodgkinien [LNH], myélome multiple, cancer de la prostate) et une maladie neurodégénérative (maladie de Parkinson). Les populations identifiées étaient en grande majorité des professionnels (applicateurs, ouvriers de l’industrie de production), avec toutefois pour la maladie de Parkinson l’inclusion de non-professionnels.

Cette expertise s’était aussi intéressée aux populations sensibles, notamment les enfants du fait de leur plus grande sensibilité (systèmes de détoxication et barrières physiologiques moins matures comme la barrière hématoencéphalique) et de leur exposition potentielle pendant et après la grossesse. Elle concluait à une présomption forte pour des pathologies cancéreuses (leucémies et tumeurs cérébrales) et des maladies du développement (malformations, croissance pondérale et neurodéveloppement), avec des expositions recensées comme étant professionnelles ou résidentielles en fonction des pathologies.

Toutes ces conclusions étaient soutenues et appuyées par des mécanismes toxicologiques. Elles ont été confirmées par l’expertise de 2021 qui a apporté des éléments nouveaux.

Nombreuses nouvelles données pour l’expertise de 2021 [2]

 L’expertise de 2021 a :

  • pour les adultes :

- précisé certains liens ; ainsi, pour le LNH, des familles de pesticides (organophosphorés) ou des [GC1] substances actives de diverses familles (malathion, diazinon, lindane, DDT, etc.) ont été clairement associées à la pathologie. Pour la maladie de Parkinson, ces associations ont été précisées pour les insecticides organochlorés ;

- identifié de nouvelles pathologies : deux dans le domaine respiratoire (la bronchopneumopathie chronique obstructive [BPCO], pathologie irréversible, et la bronchite chronique) et une dans le domaine neurologique (troubles cognitifs, en cas d’exposition avec les organophosphorés) ;

  • pour les enfants : deux familles d’insecticides (les organophosphorés, de plus en plus interdits, et les pyréthrinoïdes, les substituants des organophosphorés) ont été identifiées en lien avec de nombreuses pathologies, grâce notamment aux études de cohortes mères-enfants. Ainsi, en plus des tumeurs du système nerveux central (pesticides sans distinction) et des leucémies aiguës myéloïdes (pesticides sans distinction mais en cas d’exposition résidentielle), les organophosphorés sont présumés altérer les capacités motrices, sensorielles et cognitives, tandis que les pyréthrinoïdes impacteraient le comportement (notamment en lien avec des troubles internalisés, dont l’anxiété). L’utilisation domestique de pesticides dans les lieux de vie (bombes insecticides…) serait à surveiller.

Par ailleurs, des présomptions moyennes (cohérence des études moins forte ou moins d’études convergentes) ont pu être posées. Elles portent essentiellement sur des expositions professionnelles : maladie d’Alzheimer, troubles anxiodépressifs, pathologies thyroïdiennes et respiratoires (asthme), et autres cancers (leucémie, système nerveux central, vessie, rein, sarcomes des tissus mous).

Les résultats pour les présomptions fortes, sont résumés dans le tableau ci-dessous.

Un focus sur quelques molécules ou familles de molécules [2] :

  • chlordécone :une présomption forte d’un lien entre l’exposition à cet insecticide organochloré, utilisé en Martinique et Guadeloupe pour lutter contre le charançon du bananier, et la survenue de cancers de la prostate a été posée ;
  • glyphosate :l’expertise 2021 a pu conclure à une présomption moyenne d’un lien entre l’exposition à cet herbicide et un risque accru de LNH. Les autres associations ont été considérées comme moins solides (présomption faible). L’expertise a souligné l’importance d’étudier d’autres mécanismes de toxicité, notamment la perturbation des microbiotes (êtres humains et écosystèmes) ;
  • SDHI (inhibiteurs de la succinate déshydrogénase) :pources inhibiteurs de la respiration utilisés comme antifongiques, s’il n’existe à ce jour pratiquement aucune donnée épidémiologique, les premiers résultats toxicologiques indiquent un manque de spécificité pouvant entraîner un ciblage d’autres espèces, la SDHI étant ubiquitaire d’un point de vue évolutif. L’expertise a recommandé d’améliorer l'évaluation de leurs potentiels effets sur la santé en lien avec leur cible cellulaire, la mitochondrie.

 Conclusion

De nombreuses présomptions de lien entre expositions à des pesticides et pathologies ont été confirmées et identifiées par l’expertise Inserm 2021. Les expositions professionnelles ont été privilégiées du fait des données de la littérature scientifique. Toutefois, la population générale et les populations riveraines des zones agricoles sont aussi concernées par certains des effets identifiés. Bien que moins exposées que les professionnels, ces populations sont soumises à une variété d’expositions (alimentation, zones riveraines, etc.) qui devraient faire l’objet d’investigations plus poussées quant à leurs effets potentiels.

Une préoccupation de plus en plus forte concerne les écosystèmes. L’impact des pesticides sur ces derniers peut agir indirectement sur la santé humaine (baisse des pollinisateurs -> baisse des récoltes -> problèmes d’alimentation). Le concept intégratif « One Health » (santés des écosystèmes, des plantes, des animaux et des êtres humains) devra permettre le développement d’approches de recherches plus holistiques et ainsi aider les prises de décisions en matière de santé globale.

Références

[1] Inserm (dir.). Pesticides : Effets sur la santé. Rapport. Paris : Inserm, 2013, XII-1001 p. - (Expertise collective). http://hdl.handle.net/10608/4820

[2] Inserm. Pesticides et effets sur la santé : Nouvelles données. Collection Expertise collective. Montrouge : EDP Sciences, 2021. https://www.inserm.fr/wp-content/uploads/2021-07/inserm-expertisecollective-pesticides2021-rapportcomplet-0.pdf

[3] ANSES. Étude de l’alimentation totale française 2 (EAT2), 2011. Tome 1 (https://www.anses.fr/fr/system/files/PASER2006sa0361Ra1.pdf) et Tome 2 (https://www.anses.fr/fr/system/files/PASER2006sa0361Ra2.pdf). Avis de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail du 21 juin 2011. https://www.anses.fr/fr/system/files/PASER2006sa0361.pdf