ANALYSE D'ARTICLE

Pesticides et autres contaminants présents dans le miel « bio » : première investigation en Italie

Comblant le manque d’information sur la contamination potentielle du miel ß « bio » par des produits chimiques, cette analyse d’échantillons de miels provenant de trois régions italiennes montre que l’origine géographique du produit influence le type et la quantité des résidus de pesticides présents. Ce qui peut éclairer le choix de futures zones d’implantation pour l’apiculture biologique.

Adding to the scarce information about the potential chemical contamination of organic honey, this study of honey samples from three regions in Italy shows that the geographic origin of the product influences the type and quantity of pesticide residues present. This finding can help beekeepers to choose future production areas for organic honey.

L’intérêt des consommateurs pour les produits « bio » augmentant, la législation européenne relative à l’agriculture biologique a été complétée, en 1999, par un texte spécifique aux productions animales (règlement [CE] n̊1804/1999). Concernant le miel et les autres produits apicoles, ce règlement impose en particulier que les sources de nectar et de pollen accessibles aux abeilles dans un rayon de trois kilomètres autour du rucher soient essentiellement constituées d’une flore spontanée et/ou de cultures produites selon le mode de production biologique. De plus, le rucher doit être placé à une distance suffisante de toutes sources potentielles de contamination telles que centres urbains, autoroutes, zones industrielles, décharges ou incinérateurs de déchets. Le règlement interdit par ailleurs l’utilisation de médicaments vétérinaires allopathiques de synthèse à des fins prophylactiques (comme les acaricides habituellement employés contre l’infestation des colonies d’abeilles par le parasite Varroa destructor) et restreint considérablement le recours à des traitements curatifs. Ainsi, l’encadrement des pratiques apicoles vise à prévenir toute contamination directe du miel, tandis que le choix de l’emplacement du rucher vise à minimiser la contamination indirecte, d’origine environnementale.

Néanmoins, les abeilles sont capables de couvrir une vaste zone de prospection et peuvent entrer en contact avec de nombreux contaminants de la végétation, du sol et de l’eau, incluant des pesticides, des métaux lourds, des bactéries et des radionucléides, comme l’indiquent certains travaux suggérant que les matrices de la ruche (abeilles, miel, cire et pelotes de pollen) sont de bons indicateurs de l’état de l’environnement. Différentes études ont en particulier documenté la présence de résidus d’organochlorés, de polychlorobiphényles (PCB), d’organophosphorés et de polybromodiphényléthers (PBDE) dans des échantillons de miel provenant de l’apiculture conventionnelle, en relation directe avec des sources de contamination locales. Ce constat s’applique-t-il également au miel « bio » ?

 

Examen d’échantillons de miels italiens

Les auteurs ont analysé 59 échantillons de miel « bio » fournis par des apiculteurs de trois régions italiennes : la Calabre, au sud du pays (14 échantillons), le Trentin-Haut-Adige, au nord (18 échantillons) et la Lombardie voisine (27 échantillons). Tenant compte des activités agricoles et industrielles actuelles et passées dans ces régions, des pesticides organophosphorés (26 composés) ont été recherchés, ainsi que des pesticides organochlorés (19 composés) et d’autres polluants organiques persistants : sept congénères PBDE et six PCB. Une méthode d’extraction développée pour les matrices solides et semi-solides a été utilisée (extraction accélérée par solvant, à température et pression élevées, avec purification en ligne de l’extrait), et combinée à une méthode de détection par chromatographie en phase gazeuse couplée à la spectrométrie de masse, pour une analyse « multi-résidus ».

Bien que la Lombardie soit la région au passé industriel le plus lourd, les six PCB recherchés étaient présents dans tous les échantillons analysés à des niveaux de concentration comparables, allant de 0,27 ng/g pour le PCB 28 à 0,92 ng/g pour le PCB 138. En revanche, aucun PBDE n’était détectable dans les échantillons des trois régions, ce qui contraste avec les données existantes pour le miel issu de l’apiculture conventionnelle, et suggère que le mode de production biologique permet de réduire significativement la présence de cette classe de polluants.

Les miels produits en Calabre (où les pesticides utilisés dans les vergers d’agrumes représentent la principale source de contamination potentielle) contenaient deux organochlorés, l’endrine et l’aldrine, respectivement détectés dans la totalité et la moitié des échantillons, à des niveaux de concentration médians de 3,95 ng/g (endrine) et 0,58 ng/g (aldrine). La concentration d’endrine approchait la valeur limite autorisée (limite maximale de résidu – LMR) dans deux échantillons et la dépassait dans un troisième. Huit organochlorés étaient présents (avec des taux de détection allant de 5 % pour l’aldrine, l’heptachlor et la dieldrine à 44 % pour l’endrine) dans les miels provenant du Trentin-Haut-Adige, région de production intensive de pommes. Les concentrations étaient toutes inférieures aux LMR, comme pour les miels de Lombardie dans lesquels six organochlorés étaient détectés, avec des fréquences de détection allant de 11 % (heptachlor) à 41 % (dieldrine et pp’DDT).

Les échantillons du Trentin étaient également les plus contaminés par des résidus d’organophosphorés. Onze composés étaient détectés à des fréquences allant de 11 % (pour le parathion, le tétrachlorpyrifos et l’iprodion) à 100 % des échantillons pour le diazinon (concentrations homogènes comprises entre 1,13 et 1,15 ng/g), ainsi que le quinoxyfène (de 3,09 à 4,23 ng/g). Les miels de Lombardie étaient les moins contaminés (quatre composés organophosphorés retrouvés, le plus prévalent étant le fongicide captan, présent dans 37 % des échantillons). Toutes les valeurs étaient inférieures aux LMR. Seul le chlorpyrifos, l’un des insecticides les plus communément utilisés en agriculture, était présent dans certains échantillons de miels des trois régions, avec une prévalence minimale en Lombardie (4 %) et maximale en Calabre (29 %). De manière surprenante, le coumaphos, un insecticide employé pour lutter contre Varroa destructor en apiculture conventionnelle et dont l’usage prophylactique est interdit en apiculture bio, était détectable dans 78 % des échantillons de miels du Trentin et dans 79 % de ceux de Calabre, tandis qu’aucun miel de Lombardie n’en contenait.

 

Enseignements pour l’apiculture

La présence d’un certain nombre de résidus de pesticides dans les échantillons de miels analysés reflète l’impact d’une exposition chronique des colonies d’abeilles des ruchers « bio ». La comparaison des miels des trois régions montre par ailleurs clairement l’influence du type d’activité agricole localement pratiquée sur le profil de contamination du produit. Dans les zones agricoles où l’apiculture est déjà développée, l’analyse d’échantillons de miel suivant la méthode utilisée pour ce travail peut donc fournir des informations utiles aux apiculteurs désireux d’implanter de nouvelles ruches, surtout lorsqu’elles sont destinées à la production de miels et d’autres produits « bio ».

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Chiesa LM1, Labella GF, Giorgi A, et al. The occurrence of pesticides and persistent organic pollutants in Italian organic honeys from different productive areas in relation to potential environmental pollution. Chemosphere 2016; 154: 482-90.

1Department of Veterinary Science and Public Health, University of Milan, Italie.

doi: 10.1016/j.chemosphere.2016.04.004