ANALYSE D'ARTICLE

Covid-19 : quelle est l’efficacité de la distance physique,
des masques faciaux et de la protection oculaire
pour prévenir la transmission ?

Méthodes

Les auteurs ont recherché dans les principales bases de données toutes les études incluant des patients atteints de Covid-19, SRAS ou MERS confirmé ou probable défini par l’OMS, et des personnes en contact étroit avec eux, en comparant les distances entre les patients infectés et les personnes exposées, avec ou sans masque facial sur le patient, ou avec ou sans masque facial, protection oculaire ou les deux sur l’individu exposé. La définition des masques faciaux comprenait, entre autres, les masques chirurgicaux et les respirateurs N951 ; la protection oculaire comprenait des visières, des écrans faciaux et des lunettes, entre autres.

Les objectifs initiaux étaient d’évaluer la protection offerte par les différentes mesures barrières contre le risque de transmission aérienne (c’est-à-dire, Covid-19, SRAS ou MERS confirmé ou probable défini par l’OMS), d’hospitalisation, d’admission en unité de soins intensifs, de décès, mais également sur le temps de récupération, les éventuels effets négatifs, ainsi que des éléments contextuels tels que l’acceptabilité, la faisabilité, l’effet sur l’équité et les ressources nécessaires aux interventions. Cependant, les données collectées n’ont permis d’analyser que l’effet protecteur vis-à-vis du risque de transmission et certains éléments contextuels. Les études analysées définissaient généralement les cas confirmés comme ceux disposant d’une confirmation en laboratoire (avec ou sans symptômes) et les cas probables comme ceux avec des preuves cliniques de l’infection mais pour lesquels les tests de confirmation n’avaient pas encore été effectués ou n’étaient pas concluants.

Les risques de biais ont été estimés. Des méta-analyses fréquentistes et bayésiennes et des métarégressions à effets aléatoires ont été réalisées. Le niveau de certitude des preuves a été évalué selon les méthodes Cochrane et l’approche GRADE.

Résultats

Un total de 172 études dans 16 pays sur six continents a été identifié. Elles étaient toutes de nature observationnelle ; aucun essai randomisé n’a été identifié. Sur les 172 études, 66 se sont concentrées sur la distance parcourue par un virus en comparant l’association de différentes distances sur la transmission du virus aux personnes. Sur ces 66 études, cinq étaient mécanistiques, évaluant l’ARN viral, les virions ou les deux cultivés à partir de l’environnement d’un patient infecté.

Un total de 44 études étaient comparatives et remplissaient les critères de la méta-analyse. Elles ont donc été utilisées. Parmi elles, 30 études portaient sur l’association entre l’utilisation de divers types de masques faciaux et de respirateurs par les personnels de santé, les patients, ou les deux avec la transmission de virus. Treize études portaient sur l’association de la protection oculaire à la transmission du virus. La majorité des études portaient sur le SRAS (n = 55) ou le MERS (n = 25). Sur les 44 études comparatives, 40 incluaient des cas confirmés définis par l’OMS, une incluait à la fois des cas confirmés et probables, et les trois autres études incluaient des cas probables. Il n’y a pas eu de modification de l’effet par la définition de cas. La plupart des études faisaient état d’interventions groupées, y compris différentes composantes de l’équipement de protection individuel et de la distanciation, qui étaient généralement traitées par un ajustement statistique. Les études incluses ont toutes eu lieu lors de situations d’épidémie récurrente ou nouvelle de Covid-19, SRAS ou MERS.

Dans 29 études non ajustées et neuf études ajustées, une forte association a été trouvée entre la proximité de l’individu exposé et le risque d’infection (n non ajusté : 10 736 ; risque relatif [RR]: 0,30 ; intervalle de confiance [IC] à 95 % : 0,20-0,44 ; n ajusté : 7 782 ; odds ratio ajusté [ORa] : 0,18 ; IC 95 % : 0,09-0,38 ; risque absolu [RA] : 12,8 % avec une distance plus courte contre 2,6 % avec une plus grande distance ; différence de risque [DR] : -10,2% ; IC 95 % : -11,5 à -7,5). Bien qu’il n’y ait eu que six études sur la Covid-19, l’association a été observée quels que soient le virus causal, le milieu de soins par rapport au milieu non médical et le type de masque. Cependant, différentes études ont utilisé des distances différentes pour l’intervention. Par métarégression, la force de l’association était plus grande avec l’augmentation de la distance (changement du RR par mètre : 2,02 ; IC 95 % : 1,08-3,76).

Sur 29 études non ajustées et dix études ajustées, l’utilisation de respirateurs N95 ou similaires ou de masques faciaux (par exemple, des masques chirurgicaux jetables ou des masques en coton réutilisables similaires de 12 à 16 couches) par les personnes exposées à des personnes infectées ont été associés à une forte réduction du risque d’infection (n non ajusté : 10 170 ; RR : 0,34 ; IC 95 % : 0,26-0,45 ; n ajusté : 2 647 ; ORa : 0,15 ; IC 95 % : 0,07-0,34 ; RA : 3,1 % avec masque facial contre 17,4 % sans masque facial ; DR : -14,3 % ; IC 95 % : -15,9 à -10,7) avec des associations plus fortes dans les milieux de soins (RR : 0,30 ; IC 95 % : 0,22-0,41) par rapport aux établissements hors soins de santé (RR : 0,56 ; IC 95 % : 0,40-0,79). L’association avec la protection contre l’infection était plus prononcée avec les respirateurs N95 ou similaires (ORa : 0,04 ; IC 95 % : 0,004-0,30) par rapport aux autres masques (ORa : 0,33 ; IC 95 % : 0,17-0,61) ; les masques N95 et chirurgicaux avaient également une association plus forte avec la protection que les masques monocouches.

Dans 13 études non ajustées et deux études ajustées, la protection oculaire était associée à un risque plus faible d’infection (n non ajusté : 3 713 ; RR : 0,34 ; IC 95 % : 0,22-0,52 ; RA : 5,5 % avec protection oculaire contre 16,0 % sans protection oculaire ; DR : -10,6 % ; IC 95 % : -12,5 à -7,7 ; n ajusté : 701 ; ORa : 0,22 ; IC 95 % : 0,12-0,39).

À travers 24 études dans les établissements de soins de santé, autres établissements et en population générale, la plupart des parties prenantes ont constaté qu’une distanciation physique et l’utilisation de masques faciaux et de protection oculaire sont des mesures acceptables, faisables et rassurantes. Cependant, étaient aussi rapportés un inconfort fréquent, une utilisation élevée mais inégale des ressources, une communication moins claire et, en établissement de soins, une perception réduite de l’empathie envers les personnels de la part de ceux dont ils s’occupaient.

Les résultats de cette revue fournissent les meilleures preuves disponibles sur le fait que les recommandations actuelles de maintenir au moins 1 m de distance physique sont associées à une forte réduction du risque de transmission, et que des distances de 2 m pourraient être plus efficaces. Ces données suggèrent également que le port de masques faciaux protège les personnes (à la fois les professionnels de santé et le grand public) contre l’infection par les coronavirus, et que la protection des yeux pourrait conférer des avantages supplémentaires. Cependant, aucune de ces interventions n’offrait une protection complète contre l’infection.

Les analyses non ajustées pourraient, à première vue, suggérer que l’utilisation de masques faciaux par le grand public est moins efficace que dans le milieu de soins, mais après avoir tenu compte de l’utilisation plus fréquente de masques N95 ou similaires dans les établissements de soins de santé, il n’a pas été pas observé de différences notables d’efficacité de l’utilisation du masque facial. Le port de masques faciaux était également tout aussi acceptable et faisable par le grand public que par les professionnels de soins.

Commentaire

Cette étude a été publiée le 1er juin 2020. Cela peut paraître récent, mais certaines formulations de l’article nous font réaliser à quel point cette pandémie va vite mais aussi combien l’humanité est allée vite pour la combattre. Ainsi, il est indiqué qu’au 28 mai 2020, le SARS-CoV-2 avait infecté, d’après le « Worldometer », plus de 5,85 millions d’individus dans le monde et causé plus de 359 000 décès. La même source donne aujourd’hui (3 mars 2021) plus de 115,5 millions de personnes infectées et plus de 2,5 millions de morts.

Mais l’article déplore aussi, pour insister sur l’importance de la prévention, l’absence de médicaments efficaces ou de vaccin disponible dans un avenir imminent, ce qui est heureusement moins vrai aujourd’hui, particulièrement pour ce qui est des vaccins, même si les mesures barrières restent essentielles.

L’article indique « l’utilisation optimale des masques faciaux dans les établissements de soins de santé, qui sont utilisés depuis des décennies pour la prévention des infections, est confrontée à des défis en raison des pénuries d’équipements de protection individuelle (EPI) », ce qui n’est également et fort heureusement plus vrai aujourd’hui.

Enfin, à l’époque où l’article a été écrit, il existait un consensus sur le fait que le SARS-CoV-2 puisse se propager par de grosses gouttelettes, mais il n’était alors pas encore universellement accepté qu’il puisse également le faire par les aérosols respiratoires. Le dissensus des experts à ce sujet, au niveau mondial comme en France, a conduit à ne pas recommander le port systématique des masques type N95/FFP2 en milieu hospitalier contaminé plutôt que celui des masques chirurgicaux. Or cette méta-analyse fournit des preuves sur le fait que les respirateurs type N95/FFP2 peuvent avoir un effet protecteur plus fort que les masques chirurgicaux. Elle fournit d’ailleurs également des arguments directs en faveur de la transmission par les aérosols, puisque le maintien de distances plus importantes que celles où se diffusent les grosses gouttelettes offre un effet protecteur supérieur.

De même, il a (trop) longtemps été avancé par un certain nombre d’experts que le grand public ne saurait pas utiliser correctement les masques, induisant même des risques plus élevés de transmission par contact avec les muqueuses buccales ou oculaires, ce qui justifiait de ne pas recommander le port du masque hors du milieu de soin. Comme on le sait, cet argument, qui permettait au passage de ne pas trop regretter les pénuries, a été répété par un certain nombre de responsables politiques dans les premiers mois de la pandémie. Or, cette méta-analyse montre qu’il n’a pas été pas observé de différences notables d’efficacité selon que le masque facial est utilisé par le grand public ou par les professionnels.


Publication analysée :

* Chu DK, Akl EA, Duda S, Solo K, Yaacoub S, Schünemann HJ. Covid-19 Systematic Urgent Review Group Effort (SURGE) study authors. Physical distancing, face masks, and eye protection to prevent person-to-person transmission of SARS-CoV-2 and Covid-19: a systematic review and meta-analysis. Lancet 2020 ; 395 : 1973-87. Doi : 10.1016/S0140-6736(20)31142-9

1 Les masques FFP2, FFP1 et FFP3 sont régis par la directive européenne EN 149 : 2001, mise à jour en 2009, qui définit les normes utilisées pour certifier l’efficacité des « dispositifs de protection respiratoire ». Les masques N95 sont couverts par la norme américaine NIOSH-42CFR84, élaborée par le NIOSH (National Institute for Occupational Safety and Health), l’organisme américain chargé de certifier l’efficacité réelle des dispositifs filtrants pour le visage.