ANALYSE D'ARTICLE

Effets de l’exposition aux phtalates sur les performances intellectuelles et attentionnelles à l’âge de 6 ans

Cette étude suggère que l’exposition des enfants aux phtalates nuit à leurs capacités intellectuelles comme attentionnelles, les associations observées étant robustes à l’ajustement mutuel. L’exposition prénatale n’apparaît pas influencer les performances mesurées à l’âge de 6 ans.

This study suggests that children's exposure to phthalates harms their intellectual and attention capacities, as the associations observed were robust after mutual adjustment. Performance levels measured at age six do not seem to be affected by prenatal exposure.

Un nombre croissant de travaux expérimentaux soutient la nocivité des phtalates pour le cerveau en développement, qui pourrait s’expliquer par une perturbation endocrinienne (hormones thyroïdiennes et sexuelles) ou des voies dopaminergiques. L’impact de l’exposition pré- ou postnatale sur les capacités intellectuelles des enfants est toutefois diversement apprécié dans les études épidémiologiques publiées à ce sujet depuis 2010. Leur revue fait émerger plusieurs points qui nécessitent une clarification : quelle est l’influence de l’intelligence maternelle ? De la période d’exposition ? Du sexe ? Par ailleurs, les tests utilisés pour mesurer le quotient intellectuel (QI) nécessitent une bonne capacité attentionnelle, ce qu’aucune étude n’avait pris en compte avant cette investigation au sein d’une cohorte mères-enfants en place à Séoul (Corée).

Population et mesures

L’échantillon analysé inclut les 175 enfants auxquels les tests de QI (échelle d’intelligence de Weschler) et d’attention (Continuous Performance Test – CPT) ont été administrés entre avril et décembre 2015. Les urines recueillies lors de cette évaluation réalisée autour de l’âge de 6 ans (âge moyen : 72,3 ± 1 mois) ont servi à estimer l’exposition aux phtalates durant l’enfance, tandis que l’exposition prénatale était donnée par la mesure des métabolites dans les urines maternelles collectées au deuxième trimestre de la grossesse (entre 14 et 27 semaines d’aménorrhée [SA]). Deux phtalates ont été considérés : le di(2-éthylhexyl)phtalate (DEHP) et le di-n-butylphtalate (DBP), en raison de leur fréquence dans les produits en plastique (incluant sols en vinyle, jouets et sacs), ainsi que dans les peintures et vernis pour le premier, et dans les cosmétiques, parfums et produits de soins corporels et d’hygiène pour le second. Les métabolites urinaires quantifiés étaient le mono(2-éthyl-5-hydroxyhexyl)phtalate (MEHHP) et le mono(2-éthyl-5-oxohexyl)phtalate (MEOHP) pour le DEHP, et le mono-n-butylphtalate (MBP) pour le DBP.

Les trois métabolites étaient détectables dans tous les échantillons analysés, leurs niveaux de concentrations étant corrélés chez les mères comme chez les enfants. Les concentrations maternelles (moyenne géométriques ajustées sur la créatinine : 12,5 μg/g pour le MEHHP ; 13,1 μg/g pour le MEOHP et 30,4 μg/g pour le MBP) étaient nettement plus basses que les concentrations chez l’enfant (respectivement 64,1 ; 47,6 et 81,8 μg/g).

Relations avec les performances aux tests

Sur la base de la littérature existante, plusieurs covariables ont été testées par régression univariée pour leur influence possible sur les performances à l’échelle de Weschler (QI global et ses sous-dimensions QI verbal et QI performance) et au CPT. Ce test d’attention consistait à appuyer sur un « buzzer » aussitôt un cercle identifié parmi diverses formes s’affichant sur un écran à intervalles de deux secondes. Quatre scores étaient établis (omissions, réponses erronées, temps de bonne réponse et sa variabilité) et exprimés sous forme de quotients attentionnels (QA) par comparaison au QI (en référence à une valeur moyenne égale à 100 avec un écart-type de 15 dans une population « normale » de mêmes âge et sexe, un score ≥ 85 indiquait de bonnes performances attentionnelles).

L’âge de l’enfant (en mois), son sexe, le niveau d’études atteint par la mère (scolaire ou supérieur), la prématurité (naissance avant 37 SA) et le poids de naissance étaient significativement corrélés à au moins l’un des QA et ont été inclus dans le modèle d’analyse statistique.

Le niveau des deux métabolites du DEHP dans les urines de l’enfant est significativement associé au score d’omissions et à la variabilité du temps mis pour répondre correctement. Ces associations persistent après ajustement supplémentaire sur le QI global : l’estimation pour une augmentation d’une unité de la concentration log-transformée du MEHHP est une baisse de 20,36 points du QA fondé sur le score d’omission (IC95 : - 34,17 à -6,55) et de 21,07 points du QA fondé sur la variabilité du temps de réponse (IC95 : - 39,04 à -3,10). Les estimations sont d’ampleur comparable pour le MEOHP, tandis qu’une association n’est pas observée avec le MBP ni aucun des trois métabolites dans les urines maternelles.

Le seul déterminant identifié du QI global de l’enfant était le niveau d’études de la mère. L’analyse ajustée sur cette variable montre une relation entre les concentrations de MEHPP et de MEOHP chez l’enfant et le QI global, ainsi que sa composante verbale. L’intégration au modèle des scores CPT et du QI maternel (score global sur l’échelle de Weschler pour adultes) ne change pas les résultats : coefficient ß égal à -9,27 (-17,25 à -1,29) pour l’association entre le MEHHP et le QI global et à -4,28 (-7,24 à -1,33) pour l’association entre le MEHHP et le QI verbal. Les résultats pour le MEOHP sont équivalents (respectivement ß = -9,83 (-17,44 à -2,21) et -4,13 (-6,96 à -1,30). Comme pour les performances attentionnelles, aucune relation n’est mise en évidence avec le MBP ni les concentrations maternelles.

Le nombre d’enfants était insuffisant pour effectuer des analyses stratifiées selon le sexe, ce qui appelle d’autres études dans des populations plus vastes. Parmi les covariables qui n’ont pas pu être prises en compte par manque d’information, les auteurs relèvent la pertinence des séjours en soins intensifs qui peuvent entraîner une forte exposition aux phtalates relargués par les dispositifs médicaux (poches de perfusion, tubulures et cathéters).

Bien que cette analyse ait été effectuée dans le cadre d’une étude longitudinale, son caractère transversal ne permet pas de conclure à un effet des phtalates sur le développement neurocognitif. De larges études prospectives incluant la mesure répétée de différents phtalates auxquels les enfants d’âge scolaire sont exposés amèneraient plus de certitude. Toutefois, l’exposition aux phtalates étant probablement corrélée à l’exposition à d’autres substances susceptible de perturber le développement cérébral, les associations identifiées avec les phtalates peuvent témoigner d’effets individuels comme résulter d’effets combinés.


Publication analysée :

* Kim JI1, Hong YC, Shin CH, Lee YA, Lim YH, Kim BN. The effects of maternal and children phtalate exposure on the neurocognitive function of 6-year-old children. Environ Res 2017; 156: 519-25. doi: 10.1016/j.envres.2017.04.003

1 Department of Public Health Medical Services, Seoul National University Bundang Hospital, Seong-nam, République de Corée.