Contaminants

Phytosanitaires

Julien Caudeville

Santé Publique France, Saint-Maurice

Volume 19, numéro 5, Septembre-Octobre 2020

Télécharger le PDF de l'analyse

ANALYSE D'ARTICLE

Exposition alimentaire aux résidus de pesticides et risques pour la santé des nourrissons et des jeunes enfants

La caractérisation de la contamination en pesticides des aliments de provenance commerciale est indispensable pour l’évaluation des risques sanitaires, dans un cadre de priorisation des mesures de prévention de santé et de rationalisation des actions de réduction de l’exposition des populations. Les enfants de moins de 3 ans, considérés comme population vulnérable, sont généralement plus sensibles que les autres classes d’âge du fait, d’une part, du rapport entre la dose et la masse corporelle et, d’autre part, de l’immaturité du système immunitaire face aux stresseurs chimiques.

En France, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) a mis en place une méthode standardisée et recommandée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour estimer l’exposition aux résidus de pesticides par l’alimentation. Deux approches complémentaires sont considérées :

  • une approche quantitative des risques basée sur des programmes de surveillance, régulièrement mise à jour ;
  • les études d’alimentation totale (EAT).

En 2011, l’Anses a lancé une nouvelle EAT ciblée sur la population des nourrissons et enfants en bas âge (0-3 ans) : l’EAT infantile. Publiée en 2016, cette étude a permis d’évaluer les risques liés à l’exposition des enfants via leur alimentation à 670 substances, dont 516 pesticides et métabolites associés.

Un total de 309 échantillons composites alimentaires ont été analysés dont 219 aliments manufacturés et 90 aliments couramment consommés, couvrant 97 % du régime alimentaire des nourrissons et des jeunes enfants. Ces échantillons composites ont été préparés à partir de 5 484 produits alimentaires achetés de 2011 à 2012 et préparés tels que consommés. Au moins un résidu de pesticides a été détecté dans 67 % des échantillons, quantifié dans 27 % des échantillons d’aliments pour bébé et dans 60 % des aliments courants. Soixante-dix-huit (78) pesticides différents ont été détectés au moins une fois et 37 d’entre eux ont été quantifiés à des concentrations comprises entre 0,02 et 594 μg.kg-1. Les pesticides les plus fréquemment détectés (plus de 5 % des échantillons) sont (1) les fongicides (2-phénylphénol, azoxystrobine, boscalid, captane, tétrahydrophtalimide, carbendazime, cyprodinil, difénoconazole, dodine, imazalil, métalaxyl, tébuconazole et thiabendazole), (2) les insecticides (acétamipride, pirimiphos-méthyl et thiaclopride), (3) un herbicide (métribuzine) et (4) un synergisant (pipéronyl butoxyde).Les doses externes associées à l’ingestion alimentaire ont été estimées pour chacun des 705 individus étudiés et pour 431 pesticides, dont 281 pour lesquels existe une valeur toxicologique de référence (VTR). Deux scénarios ont été construits pour pallier aux problèmes des valeurs censurées. L’hypothèse basse, ou lowerbound (LB), correspond à un scénario pour lequel les valeurs non détectées sont estimées égales à 0 et les valeurs détectées mais non quantifiées sont estimées égales à la limite de détection. L’hypothèse haute, ou upperbound (UB), correspond à un scénario pour lequel les valeurs non détectées sont estimées égales à la limite de détection et les valeurs détectées mais non quantifiées sont estimées égales à la limite de quantification. Dans le scénario de l’hypothèse basse, la VTR n’a jamais été dépassée. Dans le scénario de l’hypothèse haute, les doses estimées dépassent la VTR pour la dieldrine, le lindane et le propylène thiourée (métabolite du propinèbe). Pour 17 autres pesticides initialement priorisés, le risque n’a pas pu être caractérisé en raison de l’absence de VTR valide ou de l’absence de protocoles analytiques pour leurs métabolites.

Commentaire

À première vue, ces résultats confirmeraient le bon niveau de maîtrise sanitaire mis en évidence dans les EAT précédentes, en précisant toutefois les substances qui nécessitent une surveillance particulière. En analogie à cet article vient juste d’être publié un premier travail d’interprétation sanitaire des résultats de la première campagne nationale exploratoire des pesticides dans l’air en France. Au-delà du partage des mêmes problèmes de représentativité et métrologiques, il est encore plus compliqué pour l’air, du fait de l’absence globale de valeurs toxicologiques adaptées, d’estimer un risque acceptable pour la population générale. La comparaison de ces deux campagnes de mesure permet d’identifier des pesticides pour lesquels on observe des fréquences de détection plus élevées et des caractéristiques de danger fortes (lindane, boscalid, tébuconazole par exemple). Ce constat implique d’aborder la caractérisation des populations à travers la description de la multiplicité des voies par lesquelles elles peuvent être exposées.

L’étude des contributions à partir des données de mesures seules est très dépendante des hypothèses de départ utilisées pour calculer les doses d’exposition de chaque voie : les valeurs classiquement utilisées en substitution des valeurs inférieures aux limites de détection ou aux limites de quantification pour estimer des moyennes dans le cas des campagnes de mesures peuvent impacter significativement l’analyse des contributions des voies d’exposition en sous-estimant ou sur-estimant les concentrations moyennes. Bien que les limites de détection et de quantification tendent à diminuer au vu des avancées technologiques (et notamment pour les différentes campagnes d’EAT), la difficulté d’accéder à des moyennes robustes empêche aujourd’hui l’agrégation directe et l’analyse des contributions des différentes voies d’exposition. Il devient indispensable aujourd’hui de coupler les approches mesure/modèle et des méthodes statistiques avancées pour reconstruire les données censurées et améliorer la représentativité spatio-temporelle des données de campagnes de mesure.

La difficulté d’évaluer un risque consiste également à prendre en compte l’ensemble des substances du mélange. Soulevée dans cette étude, l’évaluation des risques réalisée individuellement pour chaque substance ne permet pas de prédire les effets cocktails des mélanges. La caractérisation des risques nécessite à la fois d’accéder à des données relatives aux mélanges et d’élaborer des méthodologies entièrement nouvelles dans le cas de cumuls d’exposition. Les travaux récents de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) ont permis de regrouper les expositions de substances partageant des mécanismes d’action communs (hypothèse d’additivité des doses). L’un des principaux défis dans l’évaluation toxicologique des mélanges est la nécessité de combler les lacunes en matière de données.


Publication analysée :

* Nougadère A, Sirot V, Cravedi JP, et al. Dietary exposure to pesticide residues and associated health risks in infants and young children - Results of the French infant total diet study. Environ Int 2020 ; 137 : 105529. Doi : 10.1016/j.envint.2020.105529