ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux espaces verts et mortalité due aux maladies neurodégénératives chez les personnes âgées : étude de cohorte de suivi sur 13 ans

 

La population vieillit au niveau mondial, ce qui entraîne une augmentation spectaculaire du fardeau des maladies neurodégénératives. En Europe, les troubles neurologiques représentent la troisième cause de décès et d’incapacité, après les maladies cardiovasculaires et le cancer. Pourtant, jusqu’à 40 % des cas de démence peuvent être potentiellement évités. L’exposition aux espaces verts pourrait être bénéfique pour les habitants des aires urbaines – ce qui correspond à la grande majorité de la population susceptible d’être touchée par ces maladies – en favorisant un vieillissement en bonne santé et en réduisant la mortalité prématurée. Les hypothèses sousjacentes pour expliquer cet effet bénéfique se réfèrent à des mécanismes relatifs à l’induction de la restauration du stress, l’offre d’opportunités d’activité physique et de cohésion sociale, et l’atténuation des risques environnementaux. Cependant, les preuves disponibles sur l’association entre les espaces verts et les maladies neurodégénératives parmi la population âgée sont peu concluantes et les études se sont jusqu’à présent principalement concentrées sur la démence ou son précurseur, le déclin cognitif. Par ailleurs, parmi les mécanismes suggérés sous-jacents aux effets bénéfiques des espaces verts, l’atténuation de la pollution de l’air ambiant peut être importante pour les maladies neurodégénératives (on estime qu’elle représente 4 % du risque total de démence pour les personnes âgées, mais son effet sur d’autres maladies neurodégénératives reste incertain). Enfin, ces effets bénéfiques pourraient être différentiels selon les couches sociales, et cette dimension a été à peine abordée en ce qui concerne les maladies neurodégénératives.

Dans l’étude que présente cet article, les auteurs ont examiné l’association entre l’exposition à long terme aux espaces verts et la mortalité générale et spécifique due aux maladies neurodégénératives parmi la population âgée (60 ans et plus) résidant dans les cinq plus grandes zones urbaines belges. Ils ont également évalué le rôle potentiel de la pollution de l’air dans les associations étudiées et l’influence des facteurs sociaux (genre et position socio-économique individuelle et celle du quartier). Pour cela, ils ont utilisé un ensemble de données longitudinales basées sur un couplage entre le recensement belge de 2001 et les données du registre sur l’émigration et la mortalité pour la période de 2001 à 2014. En outre, les données environnementales, à savoir celles relatives aux espaces verts et à la pollution de l’air, ont été reliées à ces données de base en utilisant l’adresse résidentielle de chaque personne selon le recensement de 2001. La population d’étude comprenait tous les individus non institutionnalisés âgés de 60 ans et plus et résidant officiellement dans l’une des cinq plus grandes agglomérations belges (Anvers, Gand, Bruxelles, Charleroi et Liège). Les personnes dont les données sur l’adresse de résidence étaient incomplètes en raison d’inexactitudes administratives ont été exclues (n = 11 824 ; 1,03 % d’un total d’individus égal à 1 146 326).

Les données sur la mortalité ont été définies à partir des certificats de décès dus à toutes les maladies neurodégénératives selon les codes de la 10e révision de la Classification internationale des maladies (CIM-10). Les maladies neurodégénératives sont souvent sous-déclarées dans les certificats de décès. L’étude a donc inclus tous les certificats de décès mentionnant ces maladies, que ce soit comme cause de décès sous-jacente, immédiate, intermédiaire ou supplémentaire. Les espaces verts environnants autour de l’adresse résidentielle de l’individu ont été mesurés à l’aide de l’indice de végétation par différence normalisée (NDVI – Normalised Difference Vegetation Index). Cette métrique capture la densité de la végétation et fournit un indice variant de 0 à 1, correspondant respectivement à l’absence de vert et à la densité de vert maximale. L’indice moyen de végétation environnante a été calculé pour trois aires circulaires à des distances de 300 m, 500 m et 1 000 m de la résidence, selon les données de Landsat-5 pour la période de mai à septembre 2006, avec une résolution de 30 m. Les valeurs négatives de NDVI représentant les surfaces d’eau ont été fixées à zéro avant le calcul de l’indicateur. Comme indicateur alternatif de l’exposition aux espaces verts, a été utilisée une mesure agrégée au niveau du secteur de recensement belge de 2001 sur le pourcentage de ménages ayant déclaré une très bonne offre d’espaces verts dans leur quartier. Les données concernant la pollution de l’air ont été obtenues auprès de l’Agence interrégionale belge de l’environnement (IRCEL-CELINE), combinées avec des modèles gaussiens comprenant des sources de trafic et industrielles et des données météorologiques pour estimer les concentrations de polluants atmosphériques à haute résolution spatiale (25 m) sur l’ensemble du territoire belge. Les concentrations moyennes annuelles de 2010 en μg/m3 de particules fines (PM2,5) et de dioxyde d’azote (NO2) ont été utilisées. La position socio-économique (PSE) individuelle a été mesurée par le niveau d’éducation atteint et le mode d’occupation du logement (propriétaire ou locataire). La PSE du quartier a été définie au niveau du secteur de recensement de résidence, c’est-à-dire la plus petite unité géographique disponible sans restriction de confidentialité, en se basant sur des éléments comme le revenu net imposable médian des ménages du secteur et le taux de chômage.

Sur la base de multiples modèles d’ajustement des covariables, les coefficients de corrélation de Spearman ont été calculés entre espaces verts à proximité, PM2,5, NO2 et PSE. Pour évaluer la robustesse des résultats, plusieurs analyses de sensibilité ont été effectuées :

  • en variant la distance de verdure environnante résidentielle (de 500 m à 300 m et à 1000 m) ;
  • en utilisant les résultats de mortalité des maladies neurodégénératives répertoriés comme la cause sous-jacente du décès au lieu d’utiliser toute mention de ces maladies dans les certificats de décès ;
  • en utilisant la verdure perçue du quartier lors du recensement de 2001 comme indicateur alternatif de l’exposition aux espaces verts ;
  • en ajustant les principaux modèles pour le taux de chômage dans le secteur de recensement comme indicateur alternatif du PSE du quartier ;
  • en limitant les analyses à des groupes de population spécifiques :
    • la population complète des cas (c’està-dire les individus sans données manquantes sur les covariables) ;
    • les personnes qui n’ont pas déménagé, c’est-à-dire les personnes qui résidaient dans le même secteur de recensement entre 1991 et 2001 (10 ans avant la référence) ;
    • les individus qui ont eu au moins 4,25 ans de suivi (c’est-à-dire qui ne sont pas décédés ou qui n’ont pas émigré depuis le début de l’étude en 2001 jusqu’à l’année de mesure de l’indicateur d’exposition aux espaces verts en 2006) ;
    • les personnes originaires de Belgique ;
    • les personnes âgées de moins de 80 ans au départ ;
    • et les personnes résidant dans la ville, à l’exclusion des résidents des zones de navettage.

Les résultats de l’étude suggèrent que l’exposition aux espaces verts réduit la mortalité due à toutes les maladies neurodé-génératives, et plus particulièrement à la maladie d’Alzheimer et à la démence. Aucune association significative avec la mortalité par maladie de Parkinson n’a été trouvée. Les associations sont restées robustes pour toutes les mortalités par maladie neurodégénérative en tenant compte de la pollution de l’air, mais pas pour la plupart des résultats de mortalité spécifiques. De plus, il a été constaté que cet effet protecteur était généralement plus fort chez les personnes moins scolarisées. De même, les associations bénéfiques les plus fortes ont été trouvées pour toutes les maladies neurodégénératives et la mortalité par démence non précisée chez les personnes résidant dans les quartiers les plus défavorisés. En revanche, pour la mortalité due à la maladie d’Alzheimer, l’association bénéfique la plus forte a été observée dans les quartiers les plus riches, ce qui contredit les résultats de Brown et al. [1], qui montraient l’association la plus forte dans les quartiers à faible revenu.

Parmi les limitations et potentiels biais de l’étude, il faut mentionner le manque d’informations disponibles sur les facteurs inhérents au mode de vie potentiellement liés à la plupart des maladies neurodé-génératives, tels que l’activité physique, le tabagisme ou la consommation d’alcool. De plus, l’étude n’a pas inclus de variables d’exposition variant dans le temps tout au long de la période de suivi. Il n’y avait qu’une seule mesure d’espaces verts, celle pour l’année 2006, vers le milieu de la période de suivi, ce qui est une autre limite de l’étude. L’hypothèse a été faite que, bien que la quantité d’espaces verts puisse varier dans le temps, leur distribution spatiale reste relativement stable ; cependant, aucune autre information sur l’exposition n’était disponible pour les autres années afin de pouvoir la tester. L’indicateur d’espaces verts a tenu compte de tous les types et toutes les tailles de ces espaces, qu’ils soient privés ou publics. Enfin, les modes d’interaction avec ces espaces n’ont pas été estimés ni en qualité (par exemple, l’accessibilité, le type d’utilisation) ni en quantité (par exemple, la fréquence, la durée). Malgré ces limitations et biais, les conclusions sont robustes et l’étude présente des points forts indéniables : longue période de suivi, grande résolution pour les données environnementales et géoréférencées, analyses de médiation dans les associations étudiées par les concentrations de pollution atmosphérique en utilisant des données d’exposition liées aux individus, utilisation de données administratives bien fournies pour étudier la modification des effets selon le genre et les caractéristiques socio-économiques par stratification pour des sous-groupes représentatifs. Ces conclusions mettent en évidence l’importance du cadre de vie pour favoriser un vieillissement en bonne santé et réduire le fardeau des maladies neurodégénératives, en particulier chez les populations les plus vulnérables.

Commentaire

Le fardeau des maladies neurodégénératives, en forte augmentation pour les années à venir, représente des coûts économiques sociétaux énormes, mais aussi un lourd tribut pour la famille et les proches du patient ou de la patiente, par les souffrances et la peur qu’elle engendre [2].

Cette étude belge, focalisée sur la dimension de la mortalité, a apporté de preuves solides et confirmé des études précédentes suggérant une association inverse entre l’exposition aux espaces verts résidentiels et la démence de toutes causes chez les personnes âgées (par exemple [3]). Elle contribue aussi à renforcer nos connaissances sur le lien d’association inverse entre cette même exposition et la mortalité toutes causes pour l’ensemble de la population [4].

Il était également important de mieux appréhender le rôle de la pollution de l’air dans l’augmentation de ces maladies neurodégénératives et leurs conséquences. L’exposition aux particules fines et notamment celles du diesel peut entraîner une perte neuronale, une augmentation des cytokines inflammatoires, une diminution de la fonction cognitive, etc. Les mécanismes conduisant à augmenter le risque de maladie d’Alzheimer semblent être multifactoriels, y compris la réponse immunitaire et inflammatoire, les dommages vasculaires dans le cerveau, les niveaux de cellules gliales altérées, la neurodégénérescence et neurotoxicité, et le processus amyloïde [2]. Tout ceci renforce le sentiment que les coûts sanitaires attribués à la pollution de l’air sont largement sous-estimés.

D’autres mécanismes participent aussi aux effets positifs apportés aux populations âgées par l’exposition aux espaces verts, comme par exemple ceux liés au ressourcement, à la santé mentale et à la cohésion sociale qui en font un facteur protecteur contre le risque d’hypertension [5].

Une dimension importante que cette étude belge aborde est celle des inégalités sociales de santé, un objectif majeur de santé publique et un problème amplifié par la pandémie. Il est notamment établi que [6] :

  • les zones les plus défavorisées disposent de moins d’espaces verts publics de bonne qualité ;
  • la disponibilité inégale d’espaces verts de bonne qualité signifie que ceux qui courent le plus grand risque de mauvaise santé physique et mentale peuvent avoir le moins de chances de profiter des avantages des espaces verts pour la santé ;
  • tous les groupes démographiques en bénéficient, mais les groupes défavorisés semblent tirer le meilleur parti de la santé et les inégalités socio-économiques en matière de santé sont plus faibles dans les communautés plus vertes – fournir des environnements plus verts aux groupes défavorisés pourrait aider à réduire les inégalités en matière de santé ;
  • l’analyse des données sur plusieurs années en Angleterre a révélé que les utilisateurs peu fréquents des espaces verts ont tendance à être : des femmes ; des personnes plus âgées ; en mauvaise santé ; de statut socio-économique inférieur ; avec un handicap physique ; des minorités ethniques ; les personnes vivant dans des quartiers défavorisés.

Les inégalités d’accès aux espaces verts (et bleus) représentent un indicateur à ne pas sous-estimer. Cela est important pour progresser vers les objectifs du développement durable (ODD) (par exemple, l’ODD 11.7), qui mettent également l’accent sur les populations vulnérables. Il convient de promouvoir des interventions qui offrent un meilleur accès aux espaces verts, conçues avec les communautés locales, en mettant l’accent sur les avantages pour la santé et le bien-être [7]. C’est exactement à cet aspect de l’action publique que s’est intéressée la récente recherche GREENH_City avec la collaboration du Réseau français des villes-santé (RFVS). Son but visait à identifier les politiques et modes d’intervention sur les espaces verts permettant d’agir sur les inégalités sociales et territoriales de santé en ville [8]. Une attention particulière a été accordée à l’analyse structurelle et fonctionnelle des espaces verts et de leur insertion dans l’espace urbain, mais aussi aux usages réels, aux conflits potentiels entre usagers et aux représentations par les habitants de ces espaces verts. Les conclusions de cette recherche sur la disponibilité et l’accessibilité des espaces verts publics, leurs usages et leurs mésusages, et même leurs non-usages, ont été présentées dans un guide du RFVS paru en 2020 [9].

Enfin, cette étude belge met en avant quelques questions méthodologiques de première importance, notamment celle de comment mesurer l’exposition aux espaces verts, à commencer par la définition même de ce qui est considéré comme un espace vert. C’est un point sur lequel GREENH_City s’est beaucoup penché, et la définition finalement retenue incluait tous les espaces végétalisés à usage collectif, public, gratuit à accès libre (sans fermeture, sans grille, etc.) ou restreint (parc avec grille et horaires de fermeture, jardins de musée), et ce, quelles que soient leurs tailles, en y ajoutant les espaces bleus (berge de rivière/ fleuve, canal, plage), mais en excluant les jardins individuels ou les trottoirs plantés au sein du réseau routier.

La non-distinction, en particulier, entre espace vert privé et espace vert public pose problème par rapport au but poursuivi et notamment par rapport aux questions d’inégalités sociales de santé. Des tentatives récentes ont proposé d’utiliser des données géoréférencées et des analyses spatiales pour modéliser et cartographier la disponibilité des espaces verts, leur accessibilité et leur visibilité par les usagers, en créant un nouvel indice composite d’exposition aux espaces verts [10]. GREENH_City a proposé un indicateur de superficie d’espaces verts publics disponible par habitant à moins de 5 minutes à pied du lieu de résidence qu’il est possible de calculer partout dans l’espace métropolitain français à partir de la base de données participative Open Street Map, de Google street view, de la base des données d’occupation du sol de l’Institut géographique national (BD Topo) et des données cartographiques municipales. Son application dans un échantillon de six villes françaises de taille moyenne a montré qu’il s’agit bien d’un indicateur très discriminant spatialement et socialement. Il a été pris en compte dans les propositions d’indicateurs globaux pour le Plan national santé environnement (PNSE 4) et notamment la recommandation du Haut Conseil de la santé publique (HCSP) pour le développement d’indicateurs d’impacts environnementaux et sanitaires composites, en lien avec le bien-être et la qualité de vie [11].

  • [1.] Brown SC, Perrino T, Lombard J, et al. Health disparities in the relationship of neighborhood greenness to mental health outcomes in 249,405 U.S. Medicare beneficiaries. Int J Environ Res Public Heal 2018 ; 15 : 3.
  • [2.] Simos J. Pollution de l’air, bruit et manque d’espaces verts comme facteurs de risques pour la maladie d’Alzheimer. Analyse d’article. Environ Risque Sante 2021 ; 20(6) : 581-3.
  • [3.] Slawsky ED, Hajat A, Rhew IC, et al. Neighborhood greenspace exposure as a protective factor in dementia risk among U.S. adults 75 years or older: a cohort study. Environmental Health 2022 ; 21 : 14.
  • [4.] Rojas-Rueda D, Nieuwenhuijsen MJ, Gascon M, Perez-Leon D, Mudu P. Green spaces and mortality: a systematic review and meta-analysis of cohort studies. The Lancet Planetary Health 2019 ; 3 : e469-e477.
  • [5.] Wensu Z, Wenjuan W, Fenfen Z, Wen C, Li L. The effects of greenness exposure on hypertension incidence among Chinese oldest-old: a prospective cohort study. Environmental Health 2022 ; 21 : 66.
  • [6.] Public Health England. Improving access to greenspace: A new review for 2020. Technical Report. London, 2020.
  • [7.] World Health Organization. Green and blue spaces and mental health: new evidence and perspectives for action. Copenhagen : WHO Regional Office for Europe, 2021.
  • [8.] Porcherie M, Linn N, Roué Le Gall A, et al. Relationship between urban green spaces and cancer: a scoping review. International Journal of Environmental Research and Public Health 2021 ; 18(4) : 1751.
  • [9.] Réseau français des villes-santé OMS. Éléments de préconisation – Espaces verts urbains – Promouvoir l’équité et la santé. Rennes : RFVS, Rennes, 2020. http://www.villes-sante.com/wp-content/uploads/web_Ouvrage_GreenhCity-2020.pdfx
  • [10.] Labib SM, Lindley S, Huck JJ. Estimating multiple greenspace exposure types and their associations with neighbourhood premature mortality: A socioecological study. Science of the Total Environment 2021 ; 789 : 147919.
  • [11.] Haut Conseil de la Santé Publique. Rapport relatif aux indicateurs composites en santé-environnement. Paris : HCSP, Paris, 2021.

Publication analysée :

Analyse de l’article : Long-term exposure to residential greenness and neurodegenerative disease mortality among older adults: a 13-year follow-up cohort study. Rodriguez-Loureiro L, Gadeyne S, Bauwelinck M, Lefebvre W, Vanpoucke Ch, Casas L. Long-term exposure to residential greenness and neurodegenerative disease mortality among older adults: a 13-year follow-up cohort study. Environmental Health 2022 ; 21 : 49. Doi : 10.1186/s12940-022-00863-x.