Contaminants

Perturbateurs endocriniens

Elisabeth Robert-Gnansia

Engie
Pôle Santé-Environnement, Paris

Volume 19, numéro 4, Juillet-Août 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale aux perturbateurs de la fonction thyroïdienne et effets indésirables sur le développement du cerveau

L’hormone thyroïdienne est essentielle à la régulation des processus vitaux du fœtus, et surtout du développement du cerveau. Or, on a observé depuis 20 ans une augmentation de l’incidence des maladies neurodéveloppementales, et il semble que le QI moyen des populations a diminué, modérément, mais avec des conséquences socio-économiques non négligeables. Parallèlement, le volume de production des produits chimiques a été multiplié par 300, et une corrélation entre ces deux phénomènes est scientifiquement étayée.

Dès 1999, a été énoncé le concept selon lequel des niveaux d’hormone thyroïdienne maternelle réduits en début de grossesse pourraient avoir des effets indésirables sur le développement du cerveau de l’enfant. L’hormone thyroïdienne est essentielle au développement du cerveau, qui passe par la multiplication des cellules souches neuronales, la migration neuronale et la myélinisation. La thyroïde fœtale n’est pas pleinement fonctionnelle avant le milieu de la grossesse (18-20 semaines), et le transfert placentaire des hormones thyroïdiennes maternelles en début de grossesse est crucial. Il est donc important que le statut en iode (indispensable pour la synthèse endogène de l’hormone thyroïdienne) de la femme enceinte soit correct.

Le volume de production des produits chimiques a fortement augmenté depuis les années 1970 et l’exposition des populations à ces produits est ubiquitaire. On peut doser dans le sang de chaque enfant à la naissance des dizaines de composés xénobiotiques d’origine anthropique.

L’article de Demeneix émet l’hypothèse que l’exposition prénatale aux mélanges de produits chimiques perturbant la production et l’utilisation des hormones thyroïdiennes, combinée à la carence en iode qui risque d’aggraver la situation, a une forte probabilité de contribuer à l’augmentation observée depuis 30 ans de l’incidence des maladies neurodéveloppementales, mais pourrait également induire une diminution modérée, mais socio-économiquement non négligeable, du QI moyen. Les récepteurs de l’hormone thyroïdienne agissent par le biais de mécanismes épigénétiques, qui se définissent comme des modifications de l’expression des gènes à la suite de changements de structure de la chromatine ou de méthylation de l’ADN. Il en résulte une modulation de la transcription de l’ADN, sans modification des gènes eux-mêmes. Ainsi, le lien probable entre les maladies du développement neurologique et la perte de QI, d’une part, et la perturbation des hormones thyroïdiennes, d’autre part, pourrait passer par une perturbation des régulations épigénétiques. Les changements dans la disponibilité des hormones thyroïdiennes – en raison de la modification du taux de méthylation de l’ADN – pendant l’organogenèse et le développement peuvent augmenter les risques non seulement de diminution du QI et de retards du neurodéveloppement, mais aussi les risques de maladies cardiovasculaires et métaboliques ou de cancer. Chacun de ces types de maladies concerne différents gènes impliqués dans le métabolisme des hormones thyroïdiennes.

La fonction thyroïdienne est complexe : la sécrétion hormonale commence par un signal de l’hypothalamus, transmis à l’hypophyse, qui elle-même sécrète une hormone qui stimule la thyroïde. C’est dire que les polluants, dits perturbateurs endocriniens, peuvent agir à tous les niveaux de ce processus. Ainsi, les perchlorates inhibent l’utilisation de l’iode pour la synthèse d’hormone thyroïdienne. Certains pesticides interfèrent avec la distribution des hormones, en empêchant par exemple leur liaison avec des protéines. D’autres polluants empêchent l’entrée d’hormone dans la cellule, d’autres encore agissent sur la boucle de rétroaction qui permet l’homéostasie thyroïdienne.

L’exposition multiple aux perturbateurs endocriniens est démontrée et elle constitue une préoccupation majeure, non seulement en termes de prise de décision réglementaire, mais également en termes de compréhension des mécanismes impliqués. L’exposition peut avoir lieu par voie aérienne, par l’alimentation, y compris par l’eau, et par contact avec la peau. L’effet dit « cocktail » résulte de l’exposition de l’individu à de multiples produits chimiques par diverses voies, et les mélanges peuvent agir de manière additive ou synergique à un temps donné. On a montré aussi la possibilité d’une « mémoire » de l’exposition, même si l’exposition est transitoire. Des mécanismes épigénétiques pourraient alors expliquer l’apparition retardée d’une maladie à la suite d’expositions survenues tôt dans la vie, combinées à des expositions plus tardives. Par exemple, des filles exposées in utero au dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT) ont un risque augmenté de présenter un cancer du sein 50 ans plus tard.

Au-delà du coût de ces maladies en termes humains, la diminution du QI moyen d’une population et l’augmentation des troubles du développement neurologique dans une population ont un coût considérable en termes économiques. Même si le dépistage de l’hypothyroïdie à la naissance a fait considérablement baisser ce qu’il était convenu d’appeler le « crétinisme » par carence en iode, l’exposition prénatale à des produits chimiques susceptibles d’agir sur la biodisponibilité de l’iode a considérablement augmenté au cours des dernières décennies, et les conséquences doivent être prises au sérieux par les décideurs de santé publique.


Publication analysée :

* Demeneix B. Evidence for prenatal exposure to thyroid disruptors and adverse effects on brain development. Eur Thyroid J 2019 ; 8 : 283-92. Doi : 10.1159/000504668