ANALYSE D'ARTICLE

Impacts sur la santé pour les populations vivant près d’un incinérateur de déchets : revue systématique tenant compte du stade technologique de l’installation concernée

L’incinération des déchets urbains/médicaux/industriels dans des installations spécialement conçues et réalisées à ce sujet est un mode de traitement très répandu dans les pays développés. Il comporte l’avantage de fortement réduire le volume et les propriétés infectieuses ou toxiques de ces déchets, mais présente aussi l’inconvénient de produire de substances polluantes, émises par les cheminées des incinérateurs, telles que du monoxyde et dioxyde de carbone, des oxydes d’azote, des oxydes sulfureux, et des produits de combustion incomplète, tels que les silicates, les cendres inorganiques, la suie, les particules fines, divers composés organiques (polychlorobiphényles [PCB], hydrocarbures poly-aromatiques, dioxines, etc.) et éléments métalliques (par exemple, du mercure) et leurs oxydes et sels. D’autres émissions polluantes, non liées à la cheminée, sont le bruit, les odeurs, les ravageurs, les émissions liées au transport, les poussières et les spores.

Les populations vivant à proximité de ces installations sont potentiellement exposées par inhalation d’air contaminé, par consommation d’aliments contaminés, d’eau ou par contact cutané avec un sol contaminé. Ils sont aussi généralement exposés à un trafic accru, en particulier des poids lourds, transportant les déchets vers l’incinérateur.

Ces dernières années, plusieurs études épidémiologiques ont examiné l’impact sur la santé de l’incinération des déchets urbains ou autres ; elles concernent notamment les cancers, les maladies respiratoires, les maladies cardiovasculaires, les problèmes liés aux grossesses et parfois des concentrations sanguines de produits chimiques mesurées. Toutefois, étant donné le grand nombre d’effets sur la santé considérés et l’hétérogénéité des résultats, le tout compliqué par des problèmes de conception (la plupart des études étant écologiques ou semi-écologiques) et par des difficultés dans la définition de l’exposition, il est ardu d’interpréter l’ensemble des données probantes. Les précédentes revues de la littérature concluaient presque systématiquement que les résultats étaient contradictoires. De plus, elles ne prenaient pas en compte de quelle génération était l’incinérateur en question et le type de processus technologique.

Pourtant, au cours des dernières décennies, des changements technologiques substantiels dans les usines d’incinération se sont produits, avec pour conséquence des réductions massives de leurs émissions. Comme l’indiquait un rapport de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) [1], les études sur l’association entre l’exposition aux incinérateurs et les effets sur la santé se réfèrent principalement à des incinérateurs plus anciens avec des normes d’émission moins strictes ; leurs résultats ne peuvent donc pas être directement généralisés aux incinérateurs modernes. Le but de l’étude relatée ici était, par conséquent, d’analyser et d’évaluer de manière critique les résultats de la littérature épidémiologique disponible sur cette association, avec une attention particulière portée quant au type et à la date de mise en service des incinérateurs impliqués, notamment en les classant en trois générations distinctes, selon les émissions.

Cette revue systématique s’est faite sur PubMed (8 924 articles obtenus) et Embase (18 855 articles obtenus), en incluant les articles parus jusqu’en octobre 2019. Les incinérateurs ont été classés selon les trois générations suivantes :

  • première génération : usines actives jusqu’en 1989 (première directive européenne sur l’incinération des déchets, 89/429/CEE) ;
  • deuxième génération : usines actives entre 1989 et 2006 (période de transition : réaménagement ou fermeture d’anciennes usines et construction de nouvelles usines) ;
  • troisième génération : usines actives après 2006 (publication de BAT REF Incinération des déchets).

Les ratios de concentrations de substances pertinentes entre les années 1990 et les années 2000 ont, en effet, considérablement évolué, notamment pour certains métaux et particules, et encore plus pour les dioxines. Les installations hors Union européenne (UE) ont été classées dans l’une ou l’autre des trois générations ainsi définies en fonction de leurs caractéristiques techniques. Comme la plupart des études en dehors de l’UE ont été menées aux États-Unis, au Japon, à Taïwan et en Australie, des pays à revenu élevé avec des législations suivant de près le sillage de celle de l’UE, il a été possible de définir également la génération de ces incinérateurs. Les études incluant des installations pour lesquelles un tel classement n’était pas possible, ou des installations multiples de générations différentes, ont été classées dans la catégorie « génération non définie ».

Concernant les effets sur la santé, ont été considérés dans les résultats :

  • la mortalité/hospitalisation toutes causes confondues ;
  • l’incidence/mortalité des cancers ;
  • les maladies du système respiratoire ;
  • les maladies cardiovasculaires et cérébrovasculaires ;
  • les complications/conséquences de grossesse ;
  • les malformations génétiques ou congénitales ;
  • autres (par exemple, maladies métaboliques et maladies immunologiques).

En éliminant les doublons trouvés dans les deux bases de données consultées, un total de 24 033 articles a été examiné. Après lecture du titre et de leur résumé, le texte complet de 944 articles a été parcouru. En utilisant les critères pré-définis d’inclusion et d’exclusion, ce sont au final 63 études qui ont été sélectionnées pour cette revue de littérature ; 19 concernent des installations de première génération, 32 de deuxième génération, 7 de troisième génération et 5 ont été classées comme « non définies ». La majorité des études (47) provenait d’Europe, 10 d’Asie-Australie et 6 des États-Unis. Les auteurs ont ensuite analysé en détail les spécificités de chaque étude (nombre et types d’incinérateurs, types de déchets, types d’études et année de publication, populations concernées, faiblesses et biais introduits, types de résultats obtenus, etc.), en regroupant ensuite leurs résultats et caractéristiques propres selon les catégories d’impact susmentionnées.

Les auteurs admettent que leur revue systématique comporte certaines limites inhérentes au matériel disponible, à savoir le fait que la plupart des données étaient basées sur des études écologiques ou semi-écologiques, ainsi qu’aux difficultés de mesure de l’exposition et la latence différente des diverses maladies qui ont été considérées. De plus, la recherche a été limitée aux articles publiés en anglais.

Cet examen complet des preuves épidémiologiques conclut que les données disponibles sur un grand nombre d’effets sur la santé dans la population générale vivant à proximité des incinérateurs, et les quelques données disponibles sur les travailleurs, n’ont révélé aucun excès de risque important, même si des faiblesses méthodologiques importantes entravent l’interprétation des résultats. Les données sur les installations plus anciennes montrent que s’il y avait des excès, ceux-ci étaient tout au plus modestes. Les données probantes directes des installations de troisième génération sont rares et ne sont liées qu’à certains résultats à court terme. Ainsi, leur effet sur les maladies chroniques, et en particulier les cancers, reste une question ouverte, également en raison d’un éventuel biais de latence. D’un côté, les limites méthodologiques des données disponibles ne permettent pas de conclure de manière fiable à une absence d’effet sanitaire des incinérateurs modernes ; de l’autre, aucun signal fort et consistant n’est ressorti de la littérature disponible. Si une surveillance supplémentaire des effets sur la santé devait être effectuée, il est nécessaire de surmonter les faiblesses de conception des études précédentes. En fait, des études plus récentes avaient tendance à fournir des mesures plus précises de l’exposition, y compris l’utilisation de modèles de dispersion et le géocodage des adresses. Par ailleurs, les nouvelles bases de données sur la santé tendent à incorporer davantage d’informations sur les facteurs de confusion potentiels. En outre, la biosurveillance des populations ou des travailleurs exposés et les évaluations d’impact sur la santé (EIS) basées sur des estimations quantitatives des polluants peuvent fournir des informations supplémentaires très utiles.

Commentaire

Cet article met le doigt sur une problématique qui est récurrente également dans d’autres thématiques environnement et santé : la non-prise en compte de l’évolution technologique dans les études épidémiologiques qui s’intéressent à l’association entre les effets sur la santé de la population de certains dispositifs ou installations fabriqués par l’homme. À part les usines en général et celles qui incinèrent les déchets en particulier, où cette dimension avait été évoquée – mais pas traitée – il y a déjà longtemps [2], on peut penser au domaine des télécommunications (téléphones mobiles et antennes-relais, par exemple la problématique déjà posée en 2012 par Rowley & Joyner [3]) ou à celui de l’énergie, par exemple les champs d’éoliennes [4].

Il est important de considérer ce phénomène lors des méta-analyses : sans tenir compte de cette évolution, parfois fort importante selon les secteurs et les technologies mises en œuvre, un biais systématique est introduit dans les analyses. Cette remise en perspective permet aussi de concevoir les prochaines études épidémiologiques de façon plus robuste et propre à améliorer leur qualité et leur utilité pour l’aide à la décision en santé publique.

  • [1] World Health Organization. Waste and Human Health: Evidence and Needs. WHO Meeting Report. Bonn, Germany : WHO, 2015 : 1-33.
  • [2] Zmirou-Navier D. L’incinération sur le gril... (éditorial). Bulletin Épidémiologique Hebdomadaire (BEH) 2009 ; 7-8. Numéro thématique « Incinération des ordures ménagères en France : effets sur la santé ».
  • [3] Rowley J.T., Joyner K.H. Comparative international analysis of radiofrequency exposure surveys of mobile communication radio base stations. Journal of Exposure Science and Environmental Epidemiology. 2012;22:304-315. 3
  • [4] Simos J., Cantoreggi N., Christie D., Forbat J. Wind turbines and health: a review with suggested recommendations. Environ Risque Sante. 2019;18:149-159. 10.1684/ers.2019.1281

Publication analysée :

* Negri E, Bravi F, Catalani S, et al. Health effects of living near an incinerator: A systematic review of epidemiological studies, with focus on last generation plants Journal of Environmental Research 2020 ; 184 : 109305. Doi : 10.1016/j.envres.2020.109305