Contaminants

Phytosanitaires

Yorghos Remvikos

Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Versailles

Volume 19, numéro 4, Juillet-Août 2020

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ANALYSE D'ARTICLE

L’exposition aux pesticides des riverains des terres agricoles : une revue de la littérature

La crise sanitaire que nous venons de vivre et qui n’est pas finie a éclipsé le sujet des zones de non-traitement par des pesticides (ZNT) à proximité des habitations et établissements recevant un public potentiellement vulnérable, instaurées par arrêté pris par plus d’une centaine de maires. La littérature sur l’exposition et les effets des pesticides sur la santé humaine est pléthorique. Comme dans d’autres domaines, les divergences et les controverses ne manquent pas. L’article de Dereumeaux et al. offre l’avantage de se focaliser sur les risques pour les résidents à proximité des terres agricoles. L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) affirmait, dans son avis du 14 juin 2019, que nous ne disposions pas de données pour permettre la fixation des ZNT, tout en préconisant des distances de 3 à 10 mètres1. Qu’en est-il ?

Cette revue de la littérature a porté sur 27 études et 29 publications correspondantes, sélectionnées soigneusement dans les 549 résultats ressortis d’une recherche large par mots-clés dans les bases de données PubMed et Scopus, sur la période de 2003 à 2018. Sans surprise, les auteurs pointent le fait de la diversité des approches et méthodologies mises en œuvre, chaque publication n’apportant que certains éclairages mais présentant aussi des manques, ce qui les conduit à demander encore plus d’études, avant de pouvoir espérer une bonne évaluation des risques et l’élaboration de stratégies de prévention (voir aussi ma conclusion). Pourtant, le nombre de publications rapportant divers effets significatifs sur la santé, de la naissance aux premières années de la vie, pour ne prendre que cette population vulnérable comme exemple, est considérable. Comme toujours, il y a aussi des publications rapportant des liaisons faibles ou non conclusives, ce qui induit les auteurs à la prudence.

Les auteurs insistent sur les limitations et faiblesses de l’ensemble des études, mais on pourrait alors s’interroger sur le fait que des journaux avec comité de lecture les aient jugées dignes d’être publiées. En réalité, la question elle-même est très complexe (nombre de produits, diversité des doses et plus généralement des pratiques agricoles à travers les continents), sachant que le seul problème de la volatilisation des produits pendant et après les épandages n’est toujours pas pris en compte, un tout petit nombre d’études signalant jusqu’à 90 % de perte du produit actif (par dérive, volatilisation ou ruissellement). La revue rapporte aussi des résultats sur les mesures en lien avec l’exposition des riverains (concentrations aériennes, extérieures ou intérieures, présence dans les poussières des domiciles et mesures de biomarqueurs – produits et leurs métabolites ou inhibition d’activités enzymatiques, comme la cholinestérase). En somme, le tableau est volontiers sombre, mais resterait incomplet.

Pour bien caractériser la diversité des études, plusieurs clés de répartition ont été utilisées : la zone géographique, avec 10 études conduites en Amérique du Nord, contre seulement cinq en Europe, où la législation sur les pesticides est pourtant la plus exigeante ! Il y a aussi des différences en matière de substances et produits, des études se focalisant sur les pesticides organophosphorés, mais aussi des herbicides et d’autres insecticides ou des combinaisons. Enfin, notons les différences dans les populations cibles : parfois les enfants (12 études), parfois les femmes enceintes (quatre études). Par rapport aux expositions, des mesures ont été réalisées au domicile, pour des distances des champs jusqu’à plus de un kilomètre2, avec, dans un petit nombre de cas (n = 4), des groupes témoins internes ou externes (population agricole). Une conclusion intéressante, à portée méthodologique, concerne l’amélioration des prédictions des mesures au domicile, si on ne tient pas seulement compte de la distance mais aussi de l’étendue des surfaces traitées. Ceci ne fait que renforcer le caractère non artéfactuel des mesures.

Commentaire

« Results from the studies confirm that residents living closer to pesticide-treated agricultural lands tend to have higher levels of pesticide residues/metabolites in their households and/or biological samples, higher levels of oxidative stress markers, greater DNA damage and decreased activity of cholinesterase than residents living farther away. »Extrait de Dereumeaux et al., page 11.

On ne peut, dans une brève, qu’apporter des éléments d’intérêt sélectionnés, incitant le lecteur à se plonger dans les résultats pour se faire un avis à propos de la contribution à nos connaissances sur les expositions aux pesticides, du fait d’habiter au contact des terres agricoles, ainsi que de leurs impacts potentiels sur la santé. En revanche, une autre question émerge entre les lignes : si nous ne sommes pas capables d’apporter des certitudes sur les expositions et effets des pesticides pour les riverains des champs, qu’est-ce que cette somme de données soulevant des inquiétudes (cf. encadré) nous dit sur la certitude symétrique, soit de ne pas affecter la santé et l’environnement par l’usage des pesticides, telle qu’exigée par la réglementation de l’Union européenne et plus précisément le règlement 1107/2009, expressément placé sous le principe de précaution ? Seules les substances, dont le promoteur a démontré l’innocuité peuvent recevoir une autorisation.

Si l’on écoute les conclusions des auteurs, la science se donne comme objectif d’atteindre la certitude sur l’existence du risque, alors que de pareilles exigences ne sont pas opposées aux fabricants et vendeurs, au moment où les dossiers d’homologation sont déposés. Finalement, allons-nous attendre que les tribunaux viennent corriger les pratiques en évaluation des risques3, en particulier face à l’obligation de tenir compte du principe de précaution ? La charte constitutionnelle a été adoptée en 2005 et le nouveau règlement 1107 en 2009, mais les règles en vigueur de l’expertise institutionnelle ont-elles évolué ? En tiendraient-elles compte ? Sans mentionner le problème des multi-expositions et des cocktails.


Publication analysée :

* Dereumeaux C, Fillol C, Quénel P, Denys S. Pesticide exposures for residents living close to agricultural lands: A review. Environment International 2020 ; 134 : 105210. Doi : 10.1016/j.envint.2019.105210

1 Que le lecteur sache que la distance de protection des cours d’eau est de 5 mètres, alors que seulement pour les produits les plus dangereux l’Anses préconisait une distance de 10 mètres des habitations. D’ailleurs, le ministère de l’Agriculture les a encore réduites, en catimini, pendant la période de confinement.

2 Distance à laquelle des concentrations de pesticides sont toujours détectables. Voir Deziel et al., 2017, méta-analyse publiée dans Env Health Perspect.

3 Je conseille vivement la lecture de l’arrêt du tribunal administratif de Lyon du 15 janvier 2019, car elle est très éclairante.