ANALYSE D'ARTICLE

Maladies des neurones moteurs et exposition professionnelle au champ magnétique

 

La principale maladie des neurones moteurs (MNM) est la sclérose latérale amyotrophique (SLA) (ou maladie de Charcot) dont l’origine est inconnue. Parmi les facteurs de risque suspectés figurent l’exposition au champ magnétique basse fréquence ainsi que les chocs électriques.

Depuis la fin des années 1980, une vingtaine d’études ont investigué l’exposition au champ magnétique en tant que facteur de risque de SLA et maladies apparentées. Certaines ont trouvé une association, d’autres non, mais aucune relation causale n’a été établie, et aucun mécanisme crédible n’a été démontré.

Méthodologie

Il s’agit d’une étude de cohorte menée chez les travailleurs des compagnies d’électricité de l’Angleterre et du Pays de Galles, employés au moins six mois entre 1973 et 1982, suivis jusqu’en 2018 et dont l’historique de carrière est complet. L’étude porte sur 37 986 personnes, dont 3 060 femmes. Au cours du suivi, 11 642 décès ont été enregistrés, 356 (0,94 %) personnes ont émigré et 436 (1,14 %) ont été perdues de vue.

Les métiers non opérationnels (travail de bureau, en centre de formation, en centre de recherche) ont été considérés comme non-exposés. Les métiers exposés sont reliés au travail dans les postes de transformation et sur les lignes haute tension, et regroupés en 11 catégories. Une procédure publiée en 2003 a permis d’attribuer une exposition à ces catégories afin d’obtenir une estimation de l’exposition quotidienne des travailleurs entre 1952 et 1993. L’exposition cumulée a ensuite été calculée pour chaque sujet.

Les analyses portent sur l’exposition cumulée totale, celle de plus de 10 ans et celle des 10 dernières années d’activité, en comparaison avec la population générale par groupe d’âge (cinq ans) et par tranche de cinq années entre 1987 et 2018.

Résultats

La mortalité toutes causes est statistiquement inférieure dans la cohorte par rapport à la population générale quel que soit le sexe, la période d’étude et le statut socio-professionnel. En revanche, il n’y a pas de différence pour les décès par MNM (69 décès) avec la population générale. Les ratios standardisés de mortalité (SMR) sont en général < 100 mais sans être statistiquement significatifs, probablement du fait du faible nombre de ces décès.

Il n’y a pas de différence de mortalité et pas de tendance à son augmentation, que l’exposition prise en compte soit totale, proche ou ancienne et quel que soit le niveau d’exposition (tableaux 1 et 2).

Pour la mortalité par MNM et les expositions anciennes, il n’y a pas de résultats statistiquement significatifs et les risques relatifs (RR) sont proches de 1. Pour les expositions récentes, il y a des risques significativement élevés pour les deux premières catégories d’exposition, mais la tendance globale est négative (RR de 0,91 par 10 μT.an).

Pour la mortalité toutes causes et les expositions anciennes, il y a des RR significativement élevés, mais un ajustement sur toutes les variables réduit les risques et la tendance finale est négative (RR de 0,99 pour 10 μT.an).

Conclusion

Au total, cette étude ne trouve aucune relation entre l’exposition professionnelle au champ magnétique 50 Hz et la mortalité par MNM (SLA et maladies apparentées), que l’on considère l’exposition cumulée totale, ancienne ou récente ; aucune relation dose-effet n’est mise en évidence.

Commentaire

Cette étude est interessante du fait de son excellente méthodologie. D’une part, il s’agit d’une cohorte importante, voire imposante, de travailleurs des compagnies d’électricité, suivis plus de 35 ans avec peu de perdus de vue (1,14 %) et un historique de carrière complet et détaillé. D’autre part, cette equipe travaille depuis longtemps sur les effets éventuels de l’exposition professionnelle au champ magnétique sur la santé [1] et connaît bien les difficultés à retracer les expositions lors des différents métiers exercés au cours de la carrière. L’évaluation de l’exposition est bien plus détaillée que dans de nombreuses autres cohortes publiées : elle a éteé validée par comparaison entre la matrice emploi-exposition et des mesures réelles réalisées chez 215 travailleurs dans trois centrales électriques pendant une semaine, avec une bonne corrélation entre l’exposition prédite et l’exposition mesurée [2].

L’étude basée sur les certificats de décès dans le cas précis des MNM n’est pas un problème comme pour d’autres pathologies du fait de l’évolution de cette maladie qui est malheureusement rapidement fatale. Grâce aux registres de décès qui existent au Royaume-Uni, le nombre de perdus de vue est très faible par rapport aux autres cohortes. Cette étude, incluse dans une nouvelle méta-analyse, devrait faire baisser le niveau de risque, déjà faible dans les dernières publiées : RR = 1,26 (1,07-1,5) en 2019 dans la méta-analyse de Gunarsson [3] ; RR = 1,20 (1,05-1,38) globalement et RR = 0,97 (0,80-1,17) en ajustant sur le risque de chocs électriques dans celle de Jalilian en 2020 [4].

Cependant, comme le signalent les auteurs, « il est peu probable que des méta-analyses supplémentaires jettent beaucoup plus de lumière sur le sujet des champs magnétiques et des MNM. Ce qui serait beaucoup plus utile serait une analyse groupée des données originales, permettant l’harmonisation desévaluations de l’exposition, des paramètres d’exposition, des catégories d’exposition et des techniques analytiques ». C’est l’objet de la publication de Baaken [5], bien que la tâche d’harmonisation des évaluations de l’exposition soit loin d’être facile.

  • [1.] Harrington JM, Nichols L, Sorahan T, van Tongeren M. Leukaemia mortality in relation to magnetic field exposure: findings from a study of United Kingdom electricity generation and transmission workers, 1973-97. Occup Environ Med 2001 ; 58 : 307-14
  • [2.] Renew DC, Cook RF, Ball MC. A procedure for assessing occupational exposure to power frequency magnetic fields for electricity generation and transmission workers. J Rad Prot 2003 ; 23 : 279-303
  • [3.] Gunnarsson LG, Bodin L. Occupational exposures and neurodegenerative diseases-a systematic literature review and meta-analyses. Int J Environ Res Public Health 2019 ; 16 (3) : 337
  • [4.] Jalilian H, Najafi K, Khosravi Y, Röösli M. Amyotrophic lateral sclerosis, occupational exposure to extremely low frequency magnetic fields and electric shocks: a systematic review and metaanalysis. Rev Environ Health 2020 ; 36 (1) : 129-42
  • [5.] Baaken D, Dechent D, Blettner M, Drießen S, Merzenich H. Occupational exposure to extremely low-frequency magnetic fields and risk of amyotrophic lateral sclerosis: results of a feasibility study for a pooled analysis of original data. Bioelectromagnetics 2021 ; 42 : 271-83

Publication analysée :

* Sorahan T, Nichols L. Motor neuron disease risk and magnetic field exposures. Occupational Medicine 2022 ; 72 (3) : 184-90. Doi : 10.1093/occmed/kqab180.