Fondements scientifiques

Mécanismes d'action - Epigénétique et environnement

Elisabeth Gnansia

Présidente de la Société francophone de santé environnement (SFSE)
Retraitée de l'Anses
(Agence nationale de sécurité sanitaire, de l'alimentation et du travail)
Paris

Volume 20, numéro 6, Novembre-Décembre 2021

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ANALYSE D'ARTICLE

Polluants de l’environnement
et toxicité pour la reproduction masculine :
rôle des modifications épigénétiques

Les études épidémiologiques montrent qu’environ 20 à 30 % des difficultés du couple à concevoir sont dues à une infertilité masculine, et que l’incidence des anomalies de l’appareil reproducteur masculin a augmenté au cours des dernières décennies. Simultanément, la qualité et la quantité des spermatozoïdes ont montré une tendance à la baisse. Le rôle des polluants environnementaux dans ces modifications ne peut plus être écarté.

Les mécanismes sous-jacents ne sont pas encore bien compris, mais de façon générale la majorité des polluants environnementaux modifient l’épigénome plutôt que directement l’ADN, c’est-à-dire qu’ils agissent sur la régulation du génome, à savoir notamment sur la méthylation de l’ADN, sur les histones et sur les ARN non codants. Cette revue de la littérature a pour but d’évaluer le rôle des modifications épigénétiques dans les atteintes de la fertilité masculine liées aux polluants environnementaux.

Les principales bases de données en ligne ont été consultées : PubMed, Web of Science, Google Scholar et Science Direct. En croisant les mots-clés « modification épigénétique », « polluants environnementaux » et « toxicité pour la reproduction masculine », on obtient 143 articles, revues ou articles expérimentaux publiés en anglais au cours des dix dernières années. Si on se limite aux quatre principaux types de polluants environnementaux corrélés aux effets étudiés – métaux lourds, fumée de cigarette, pesticides et polluants organiques persistants, tels que phtalates, bisphénols et autres – il ne reste que 57 articles. Dans un deuxième temps, les mots-clés « mécanismes épigénétiques » et « toxicité reproductive masculine » ont été croisés, et 34 articles ont été obtenus, qui évoquent les trois principaux mécanismes épigénétiques : méthylation de l’ADN, modifications des histones et ARN non codants.

Expérimentalement, l’exposition aux polluants environnementaux peut modifier l’expression des gènes et induire des troubles endocriniens susceptibles de contribuer à la toxicité pour la reproduction masculine. Par exemple, si on expose des souris mâles à un pesticide comme l’imidaclopride, on supprime l’expression des gènes de synthèse du cholestérol et on provoque des troubles endocriniens. En outre, l’ajout de nicotine à une culture de cellules de Leydig testiculaires de rat inhibe la différenciation et la maturation cellulaire. Enfin, il a été montré que les cellules germinales en méiose sont plus sensibles aux facteurs environnementaux, tels que l’acide perfluoro-octane-sulfonique (PFOS), l’acide perfluoro-octanoïque (PFOA) et l’acide perfluorononanoïque (PFNA), que les spermatozoïdes matures.

Les métaux lourds, tels que le cadmium, peuvent affecter la reproduction masculine par l’hyperméthylation de l’ADN dans les spermatozoïdes humains. Par ailleurs, une exposition courte et à faible dose à l’arsenic induit une hypométhylation de l’ADN des cellules de Leydig, argument en faveur du potentiel cancérogène de l’arsenic pour l’appareil reproducteur masculin. L’exposition à la nicotine provoque l’hypométhylation du gène suppresseur de tumeur p16 dans les spermatozoïdes humains, et pourrait être l’une des causes de la baisse de qualité du sperme et de perturbations hormonales.

Il a aussi été montré que le bisphénol A (BPA) pouvait induire des troubles endocriniens en interférant avec les niveaux d’hormones, associés aux troubles de la reproduction masculine. Ces effets passent par le niveau de méthylation de l’ADN des spermatozoïdes humains : hypométhylation globale. Le BPA induit aussi une hyperméthylation du récepteur des œstrogènes alpha (Erα) dans les testicules de ratons mâles, ce qui entraîne une diminution de la distance anogénitale et une réduction des testicules, signes pouvant être rapprochés de l’ambiguïté sexuelle.

Ainsi, cette revue de la littérature montre que les polluants environnementaux peuvent directement ou indirectement provoquer un stress oxydant et des dommages à l’ADN, et induire diverses modifications épigénétiques, qui conduisent à une dysrégulation des gènes, un dysfonctionnement mitochondrial et, à terme, une toxicité pour la reproduction masculine.

Les auteurs concluent sur la nécessité d’études portant sur d’autres types de modifications épigénétiques et leur interaction, ainsi que de données épidémiologiques, pour combler les lacunes actuelles de la connaissance. En outre, les liens intrinsèques entre les modifications épigénétiques induites par des polluants et les réponses physiologiques impliquant la reproduction masculine doivent être explorés plus avant.

Commentaire

Cette revue de la littérature a permis d’extraire plusieurs dizaines d’articles, mais sept d’entre eux seulement portent sur l’espèce humaine, qu’il s’agisse d’une étude de cas d’infertilité ou d’études in vitro sur les spermatozoïdes.

Étudier le sujet en tentant de mettre en regard d’un côté les différents types de mécanismes d’action épigénétiques et les effets sur la fertilité masculine, et d’un autre côté les catégories de polluants choisis et ces mêmes effets avec les différents mécanismes de l’épigénèse nécessite une vision multi-dimensionnelle qui ne rend pas aisée la présentation des résultats.

Le lien entre toxiques de l’environnement et infertilité masculine n’y est pas mis clairement en évidence, et les mécanismes épigénétiques évoqués ne sont étayés que par des études expérimentales, in vivo ou in vitro. Par ailleurs, les anomalies de la méthylation de l’ADN sont presque les seuls mécanismes étudiés. Les autres modes d’action épigénétiques (anomalies induites des histones et des ARN non codants) ne représentent que quelques études, alors que les progrès dans la compréhension des mécanismes ont de grandes chances de venir de l’étude des interactions entre les différents modes d’action épigénétiques.


Publication analysée :

* Han X, Huang Q. Environmental pollutants exposure and male reproductive toxicity: the role of epigenetic modifications. Toxicology 2021 : 456 : 152780. Doi : 10.1016/j.tox.2021.152780