Synthèse publiée le : 17/05/2022

SYNTHESE :
Bilan et perspectives du programme
de surveillance des pathologies en lien avec les perturbateurs endocriniens

Le programme de surveillance épidémiologique des pathologies en lien avec l’exposition aux perturbateurs endocriniens a permis de montrer une altération progressive de la santé reproductive en France. La structuration d’une démarche de surveillance intégrée est nécessaire pour la production d’indicateurs de surveillance robustes et mieux caractériser la nature du lien avec l’exposition dans un contexte d'incertitude et de connaissances lacunaires.

 

Perturbateurs endocriniens et santé reproductive

Les perturbateurs endocriniens (PE) sont des substances chimiques d’origine naturelle ou de synthèse retrouvés dans de nombreux objets et produits de la vie courante (produits ménagers, détergents, produits de traitement des cultures, cosmétiques, produits alimentaires, etc.). Ils sont également présents dans l’environnement du fait d’une contamination des différents milieux (eaux, sédiments, sols, air, etc.). Les études de biosurveillance de la population française ont montré une imprégnation ubiquitaire, notamment des enfants, par certains de ces PE (phtalates bisphénols, pesticides, PCB, etc.) [1]. Pour être identifiée PE, une substance doit répondre à la définition de PE telle qu’admise au niveau européen, c’est-à-dire que les données disponibles pour cette substance doivent permettre l’identification d’un effet néfaste sur un organisme intègre, d’un mode d’action PE et d’un lien de plausibilité biologique entre les deux. Il faut aussi démontrer la pertinence pour l’Homme ou sur une population des effets observés sur des modèles animaux ou cellulaires. De nombreuses études décrivent un lien probable entre l’exposition à certains de ces PE et des pathologies, notamment les troubles de la fertilité et de la reproduction (baisse de la qualité du sperme, augmentation de la fréquence d’anomalies du développement des organes ou de la fonction de reproduction, abaissement de l’âge de la puberté, cancers des testicules). Depuis les années 1970, il a été observé de manière parallèle à l’augmentation de l’incidence du cancer germinal testiculaire, une augmentation de l’incidence de la cryptorchidie, de l’hypospadias et de l’hypofertilité masculine. Cela a conduit l’équipe de Niels Skakkebaek à formuler l’hypothèse du syndrome de dysgénésie testiculaire (TDS), syndrome associant chez les hommes ces quatre anomalies du système reproducteur [2], et pour lequel l’exposition aux PE est suspectée. L’hypothèse en miroir de dysgénésie ovarienne (endométriose, puberté précoce, ovaires polykystiques, fibrome utérin) a été ensuite proposée pour les femmes.

Ces effets sanitaires potentiels des PE ont initialement été mis en évidence par le dysfonctionnement de la sphère reproductive, mais s’étendent aujourd’hui à de nombreux autres organes et fonctions de l’organisme (altération du système immunitaire, troubles métaboliques, de la thyroïde ou du neurodéveloppement, cancers hormonodépendants, etc.).

 

Intégration de la surveillance dans les politiques publiques

En France, l'impact potentiel des substances chimiques, et des PE en particulier, sur l'environnement et la santé constitut une source de préoccupation de plus en plus importante. Pour améliorer les connaissances sur les PE en vue de mieux protéger les citoyens et l'environnement contre leurs effets néfastes, soit par le renforcement de la réglementation, soit par l’amélioration de la prévention, la France a lancé en 2014 une première stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens (SNPE). La deuxième stratégie [3], élaborée en associant l’ensemble des parties prenantes, a été lancée en 2019. Partie intégrante du quatrième plan national santé environnement (PNSE 4) et placée sous pilotage interministériel des ministères chargés de l’environnement et de la santé, elle structure la vision et l’action du gouvernement sur les PE.

Inscrit dans la SNPE, Santé publique France développe un programme de surveillance épidémiologique et d’analyse d’indicateurs de santé reproductive, sélectionnés pour leur lien avéré ou suspecté avec l’exposition aux PE.

 

Principe et bilan de la surveillance sanitaire

La surveillance épidémiologique des pathologies en lien avec les PE est jusqu’alors axée sur l’analyse des variations spatiotemporelles d’indicateurs sanitaires d’intérêt, sur la discussion des hypothèses causales et la description d’une éventuelle altération globale de la santé reproductive. La finalité de cette surveillance est de fournir des connaissances scientifiques robustes en appui aux politiques publiques de gestion, en particulier pour aider à estimer l’impact sanitaire et guider l’action publique en termes d’actions de prévention, ou émettre des hypothèses sur les déterminants pour orienter des travaux de recherche. La démarche de surveillance passe par plusieurs étapes : de la conception (choix des indicateurs pertinents et des données nécessaires) à la diffusion des résultats, en passant par la collecte des données, leur analyse et leur interprétation.

Un premier bilan a récemment été publié, avec une analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire [4] (tableau 1), présentant une altération progressive de la santé reproductive masculine en France, et ce probablement depuis les années 1970 en ce qui concerne la qualité du sperme.

 

Tableau 1. Chiffres clés de la surveillance santé reproductive.

* Cas et incidences estimés à partir des cas traités ou opérés, enregistrés dans le SNDS (système national des données de santé). Ils ne représentent pas l’exhaustivité des cas rencontrés dans la population générale.

 

La dégradation des indicateurs suivis semble globalement en adéquation avec celle constatée au niveau international. Elle peut être soit le témoin d’une augmentation de l’incidence des pathologies, soit de la sensibilisation des populations voire des médecins à certaines maladies (meilleures connaissances, détections et prises en charge des pathologies), ou une combinaison de ces hypothèses.

Les résultats obtenus en France métropolitaine ne montrent pas de convergence spatiale évidente entre les indicateurs. Les régions affichant une détérioration plus marquée de la qualité du sperme sur la période 1989-2005 sont différentes de celles où l’on observe des surincidences de cancer du testicule, de cryptorchidie et d’hypospadias en 2014.

Les premiers résultats de la surveillance de l’endométriose et des fibromes utérins à partir des données de prise en charge médicale en France ont été publiés en 2022 [5, 6] (tableau 1). Un indicateur reflétant les cas incidents d’endométrioses diagnostiquées à l’hôpital a été construit, permettant d’estimer un taux d’incidence annuel à 9,85/10 000 personnes-années chez les femmes de 10 ans et plus, de 2011 à 2017. Pour les fibromes utérins, un indicateur reflétant les cas incidents traités par médicament et/ou hospitalisés avec un acte chirurgical associé a été construit, permettant d’estimer l’incidence à 11,7/10 000 personnes-années chez les femmes de 10 ans et plus, de 2013 à 2017. À l’international, il existe une grande variabilité de méthodes et d’estimations d’incidence. Les résultats en France sont situés plutôt dans une fourchette basse, les indicateurs de prise en charge médicale sous-estimant les incidences réelles, mais ils sont du même ordre de grandeur que dans les études utilisant des méthodes similaires. Une augmentation du risque est observée sur la période d’étude pour les deux pathologies. Une hétérogénéité géographique a été mise en évidence, avec des zones de surrisque d’endométriose et de fibrome utérin dispersées sur le territoire. Il est prématuré à ce stade de discuter d’éventuelles hypothèses environnementales à partir de ces premiers résultats descriptifs, même si une contribution environnementale au risque de fibrome utérin et d’endométriose est plausible au regard de la littérature de plus en plus fournie, notamment concernant le lien avec les PE.

Le programme de surveillance a pu montrer l’augmentation de l’incidence des maladies chroniques (tableau 1) plausiblement attribuées, au moins en partie, aux PE (même si l’état actuel des connaissances de telles études descriptives ne peut être évidemment que générateur d’hypothèses). À ce stade, attribuer une part des incidences à une exposition aux PE par ces approches, même qualitativement, reste compliqué. Hormis pour la qualité du sperme, les indicateurs sont construits à partir des données disponibles dans la base de données du système national des données de santé (SNDS), seules données produites en continu et couvrant tout le territoire. Ces indicateurs ne reflètent que les cas pris en charge, en sous-estimant de façon importante le problème de santé publique car le nombre de patients souffrant de ces pathologies est bien plus important. Plusieurs limites liées à la méthode de repérage des cas via le SNDS peuvent également être listées : variations de codage, diversité des pratiques médicales, de diagnostic ou de prise en charge, etc. Les analyses spatiotemporelles à une résolution infra-départementale (commune, code postal, canton) facilitent l’identification d’hypothèses sur les potentiels facteurs de risque, ou sur l’impact des disparités territoriales de prise en charge médicale. L’intégration d’autres sources de données complémentaires (cohortes, registres, données locales de terrain, etc.) permettra d’améliorer la robustesse des indicateurs et de compléter les données en population générale.

 

Vers une démarche intégrée de la surveillance

Santé publique France a été initialement saisie par le ministre en charge de la santé sur les indicateurs de santé reproductive du TDS. La collaboration avec le réseau européen Hurgent en 2016, piloté par Santé publique France, a permis d’effectuer une première priorisation des indicateurs clés pour la santé reproductive, basée sur le poids des preuves. Néanmoins, les nouvelles connaissances scientifiques mettent en lumière de possibles nouveaux effets des PE sur la santé. Des atteintes neurologiques, comme l’autisme, la baisse de quotient intellectuel ou des troubles métaboliques, comme le diabète ou l’obésité, sont également suspectés d’être associés à une exposition aux PE pendant les périodes de vulnérabilité. Afin d’intégrer les nouvelles connaissances scientifiques, l’agence souhaite définir une nouvelle stratégie de surveillance des effets des PE (élargir la surveillance à d’autres pathologies en lien avec les PE : action 46 de la SNPE 2) en se basant sur des effets préalablement priorisés.

Le projet de priorisation des effets sanitaires dans le cadre du programme de surveillance en lien avec les perturbateurs endocriniens de Santé publique France (projet PEPS’PE) est basé sur une consultation large d’experts et de parties prenantes du champ des PE via la méthode de consensus Delphi, qui tient compte à la fois de critères scientifiques, épidémiologiques et également sociétaux [7]. Une cinquantaine d’effets sanitaires ont été pris en compte dans cette étude afin d’être priorisés. La consultation s’organise autour de deux questionnaires, un questionnaire interrogeant le volet scientifique et un autre le volet sociétal. Pour participer à cette consultation, Santé publique France a sollicité un large panel d’acteurs. Conformément au processus itératif de la méthode Delphi, plusieurs tours du questionnaire sont nécessaires pour mettre en évidence des consensus d’opinion ou des divergences. Les effets identifiés comme prioritaires à l’issue de cette consultation seront ensuite analysés au regard de la faisabilité de surveillance par l’agence. À l’issue de la consultation, commencée en 2021, les nouveaux indicateurs sanitaires devant faire l’objet d’une surveillance pour leur lien suspecté avec une exposition aux PE seront priorisés d’ici fin 2022.

L’estimation des effets des PE sur la santé humaine est rendue très difficile en raison de nombreuses interrogations sur leurs mécanismes d’action, la multiplicité des substances concernées et des voies d’exposition, et sur les fenêtres d’exposition critiques. Ces produits chimiques interagissent les uns avec les autres via différents mécanismes, ce qui peut entraîner des effets toxiques synergiques, additifs ou antagonistes à de faibles doses dans l'environnement. Les PE, comme les hormones, peuvent exercer leurs effets physiologiques plus à faible dose qu'à forte dose (relation dose-réponse non monotone).

Couplé au concept de l’exposome, le concept de perturbation endocrinienne a conduit au développement de design d’analyse plus intégré combinant épidémiologie, expologie et toxicologie, transdisciplinarité notamment promut dans le cadre des programmes de recherche européens (FP7, H2020, Greendeal). La déclinaison du concept d’exposome à la surveillance implique de combiner l’ensemble des données disponibles et différentes approches méthodologiques. L’émergence de nouvelles bases de données environnementales et toxicologiques permettra de mieux spatialiser la multi-exposition des populations, mais nécessite au préalable une réflexion sur les besoins techniques pour l’exploitation de données massives, la construction d’indicateurs composites d’exposition et la mise en interopérabilité des outils et des données de sources et de types différents.

Enfin, les méthodes d’évaluation du fardeau environnemental quantifiant l’impact sanitaire permettent d’utiliser conjointement les données d’incidence et des relations épidémiologiques pour traduire en coût économique les cas attribuables d’une pathologie aux différents facteurs de risque. Cette approche nécessite de décrire la prévalence d’exposition à un certain nombre de substances PE (plus ou moins avéré) à travers l’intégration de données d’imprégnation biologique que Santé publique France collecte et analyse au niveau national dans le cadre des programmes de biosurveillance.

Au sein de l’agence, les démarches d’évaluation de l’exposition et d’impact constituent deux approches complémentaires, avec leurs limites propres, pour l’appui aux politiques publiques. L’articulation de ces différentes méthodologies et outils dans une démarche globale offre des perspectives intéressantes pour identifier in fine des stratégies et des actions de prévention efficaces dans un contexte d'incertitude et de connaissances lacunaires.

Références

[1] FitzGerald RE. Perspective on health effects of endocrine disruptors with a focus on data gaps. Chem Res Toxicol 2020 ; 33 : 1284-91.

[2] Skakkebaek NE, Rajpert-De Meyts E, Main KM. Testicular dysgenesis syndrome: An increasingly common developmental disorder with environmental aspects. Hum Reprod 2001 ; 16 : 972-8.

[3] Le Moal J, Rigou A, de Crouy-Chanel P, et al. Analyse combinée des quatre indicateurs du syndrome de dysgénésie testiculaire en France, dans le contexte de l'exposition aux perturbateurs endocriniens : cryptorchidies, hypospadias, cancer du testicule et qualité du sperme. Bulletin Epidémiologique Hebdomadaire 2018 ; 22-23 : 452-63. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/perturbateurs-endocriniens/documents/article/analyse-combinee-des-quatre-indicateurs-du-syndrome-de-dysgenesie-testiculaire-en-france-dans-le-contexte-de-l-exposition-aux-perturbateurs-endocr

[4] Deuxième stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens 2019-2022. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/SNPE%202%20-%20Document%20de%20r%C3%A9f%C3%A9rence.pdf

[5] Le Moal J, Goria S, Chesneau J, et al. Surveillance nationale des pathologies en lien possible avec les perturbateurs endocriniens : Épidémiologie de l’endométriose prise en charge à l’hôpital en France de 2011 à 2017. Saint-Maurice : Santé publique France, 2022 : 42 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/perturbateurs-endocriniens/documents/enquetes-etudes/epidemiologie-de-l-endometriose-prise-en-charge-a-l-hopital-en-france-etude-de-2011-a-2017

[6] Peyronnet A, Goria S, Chesneau J, et al. Surveillance nationale des pathologies en lien possible avec les perturbateurs endocriniens : Épidémiologie du fibrome utérin pris en charge médicalement en France de 2013 à 2017. Saint-Maurice : Santé publique France, 2022 : 56 p. https://www.santepubliquefrance.fr/determinants-de-sante/exposition-a-des-substances-chimiques/perturbateurs-endocriniens/documents/enquetes-etudes/epidemiologie-du-fibrome-uterin-pris-en-charge-medicalement-en-france-de-2013-a-2017

[7] Le Barbier M, Ménard C, Peyronnet A. Etude PEPS’PE : priorisation des effets sanitaires à surveiller dans le cadre du programme de surveillance en lien avec les perturbateurs endocriniens de Santé publique France – Rapport méthodologique. Saint-Maurice : Santé publique France, 2021 : 29 p. https://www.santepubliquefrance.fr/content/download/379523/3178919