Milieu de vie

Pollution atmosphérique

Julien Caudeville

Santé Publique France, Saint-Maurice

Volume 19, numéro 6, Novembre-Décembre 2020

ANALYSE D'ARTICLE

Synthèse des voies d’exposition humaine aux substances poly- et perfluoroalkylées (PFAS) et compréhension actuelle des effets sur la santé

Issue de la chimie de synthèse organique, la famille de substances alkyls per- et polyfluorés, ou PFAS, constitue un vaste groupe de composés largement utilisés depuis les années 1950 dans l’industrie pour traiter les produits manufacturés du quotidien et accroître leur résistance aux processus de dégradation (hydrolyse, photolyse, biodégradation, métabolisation, etc.). Les plus de 4 000 PFAS sont produits selon deux procédés : la fluoration électrochimique et la télomérisation. Les propriétés physicochimiques des PFAS sont très difficiles à généraliser car elles sont étroitement dépendantes de la molécule considérée, mais leur point commun réside dans la très grande stabilité de l’extrémité perfluorée, qui peut résister à la chaleur, aux acides, aux bases, aux agents réducteurs, aux oxydants, aux processus de photolyse et de dégradation microbiologique.

Les préoccupations internationales ont commencé au début des années 2000 lorsque le sulfonate de perfluoro-octane (PFOS) a été détecté dans le sang des ours polaires de l’Arctique et de la faune dans d’autres régions éloignées des zones de production. Les concentrations des PFAS historiques ont globalement baissé durant ces dernières années du fait de leur remplacement par de nouveaux composés pour lesquels la détection est encore difficile.

Selon l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA), la viande et les produits carnés représentent jusqu’à 52 % de l’exposition au PFOS, tandis que les œufs représentent jusqu’à 42 % de l’exposition des nourrissons. Pour l’acide perfluoro-octanoïque (PFOA), l’EFSA suggère que les sources les plus importantes d’exposition chronique sont le lait et les produits laitiers pour les enfants (jusqu’à 86 % de l’exposition), l’eau potable (jusqu’à 60 % pour les nourrissons) et les poissons et autres fruits de mer (jusqu’à 56 % pour les personnes âgées). L’eau potable a été identifiée comme une source importante d’exposition aux PFAS pour de nombreuses populations, en particulier celles qui vivent à proximité de sites contaminés. Des PFAS ont été détectés dans des vêtements, des tissus d’ameublement, des tapis, des papiers, des matériaux de construction, des emballages alimentaires, des nettoyants, des vernis, des peintures, etc.

Les effets sanitaires des PFAS sont très variés. Plusieurs études trouvent des associations significatives entre exposition et effet immunitaire chez les enfants. La dyslipidémie liée au cholestérol est le dysfonctionnement métabolique le plus important associé. Des cancers ont été retrouvés à proximité des sites de fabrication sur des populations fortement exposées. Les données disponibles sont insuffisantes pour caractériser leurs impacts sur le développement neurologique, mais certains résultats suggèrent des effets importants associés à l’exposition à des PFAS émergents.

 

Commentaire

Depuis mai 2009, le PFOS et le PFOA font partie de la liste des substances couvertes par la convention de Stockholm sur les polluants organiques persistants (POP). L’estimation de l’exposition de la population française aux composés perfluorés présents dans l’environnement a été réalisée dans l’étude Esteban menée par Santé publique France. Cette estimation reposait sur le dosage dans le sérum de 17 composés perfluorés dans un sous-échantillon de 249 enfants et de 744 adultes inclus dans l’étude entre avril 2014 et mars 2016. Malgré les restrictions d’utilisation, sept composés étaient quantifiés à plus de 40 % chez les adultes et six chez les enfants. Des différences de niveaux d’imprégnation ont été observées selon le sexe, l’âge, l’indice de masse corporelle, la consommation de poissons et des produits de la mer, de légumes, l’autoconsommation d’œufs et de lait, et l’utilisation des produits ou matériaux pendant les travaux de loisirs ou de bricolage.

En France, une expertise de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) en 2017 a mis en évidence une contamination d’origine anthropique par plusieurs molécules perfluorées de certaines ressources en eau servant à la production d’eau de consommation. L’estimation des risques pour les PFAS ne mettait pas en évidence de niveau d’exposition préoccupant au regard de valeurs sanitaires maximales proposées. Ces valeurs seraient aujourd’hui largement plus contraignantes et les conclusions seraient donc à reprendre. Ce 18 septembre 2020, l’EFSA a rendu son expertise sur les quatre PFAS les plus courants (PFOA, PFOS, acide perfluorononanoïque [PFNA], et sulfonate de perfluorohexane [PFHxS]) et a réévalué les doses d’exposition d’ingestion admissibles à 0,63 ng.kg-1.j-1 pour tenir compte des perturbations endocriniennes suspectées. Dans leur évaluation sur les données alimentaires européennes, les doses d’exposition admissibles sont dépassées : de 0,85 à 6,5 ng.kg-1.j-1 pour l’hypothèse basse et de 38,6 à 112,1 ng.kg-1.j-1 pour l’hypothèse haute (hypothèses posées pour contourner le problème des mesures non quantifiées ou détectées).

Cette famille de composés illustre les difficultés méthodologiques d’évaluation des risques sanitaires a posteriori pour des substances se caractérisant par le besoin de prendre en compte une multiplicité de voies d’exposition au vu de leur présence dans l’ensemble des milieux environnementaux (alimentation, eau, sol, air, objets d’usage quotidien), de fortes variabilités et échelles spatiotemporelles à caractériser, de la complexité des phénomènes de transfert des contaminants, de leur persistance et des différentes voies de transformation des substances ou de leurs précurseurs.

Les leçons tirées des PFAS historiques indiquent que des données limitées ne devraient pas être utilisées comme justification pour retarder les mesures de réduction des risques pour les très nombreux PFAS émergents. Les PFAS ont conduit notamment certains chercheurs à remettre en question l’utilisation des produits chimiques fluorés, à adapter un cadre réglementaire par groupe, et pouvant notamment alimenter le débat actuel des directions générales européennes entre une réglementation basée sur le risque ou sur le danger.


Publication analysée :

* Sunderland EM, Hu XC, Dassuncao C, Tokranov AK, Wagner CC, Allen JG. A review of the pathways of human exposure to poly- and perfluoroalkyl substances (PFASs) and present understanding of health effects. J Expo Sci Environ Epidemiol 2018 ; 29 : 131-47. doi : 10.1038/s41370-018-0094-1

1. Dauchy X, Boiteux V, Bach C, Rosin C, Munoz JF. Devenir des PFAS (alkyls per- et polyfluorés) dans les filières de traitement d’eau potable. Recueil de conférences des Journées information eaux les 11, 12 et 13 octobre 2016 à Poitiers. 22e édition. Conférence n̊ 18. Tome 1. 2016.