Synthèse publiée le : 17/05/2022

SYNTHESE :
Exposition de la population française
par les métaux et métalloïdes :
résultats de l’étude Esteban 2014-2016

L’exposition de la population aux métaux concerne l’ensemble de la population française : adultes et enfants. Compte tenu des effets néfastes de certains métaux sur la santé et de l’augmentation des niveaux d’imprégnation par plusieurs d’entre eux, il est encore aujourd’hui nécessaire de poursuivre les mesures visant à diminuer les expositions de la population générale à ces substances.

Introduction

La biosurveillance humaine permet de surveiller les expositions chimiques via la présence de substances dans l’organisme. Elle consiste à prélever des matrices biologiques comme le sang, l’urine, les cheveux et à y doser les substances recherchées, ainsi appelées « biomarqueurs ». La mesure qui est faite intègre les contributions de toutes les sources d’exposition, quelles que soient les voies d’entrée des substances dans le corps humain et quels que soient les lieux d’exposition, les activités ou la nature des produits. Elle dépend des caractéristiques physiopathologiques des sujets et n’est pertinente que pour des expositions à des substances qui peuvent pénétrer l’organisme. Menée à l’échelle d’une population, la biosurveillance humaine est un outil permettant d’évaluer le degré d’imprégnation de cette population aux substances chimiques.

En France, la loi Grenelle de l’environnement (n° 2009-967 du 3 août 2009) a conduit à l'élaboration d'un programme national de biosurveillance de la population française, inscrit dans le plan national santé environnement. Il repose sur la mise en place de deux études :

  • le volet périnatal mis en œuvre au sein de la cohorte Elfe (Étude longitudinale française depuis l’enfance, 2011). L’objectif était notamment d’estimer l’exposition des femmes enceintes à certains polluants présents dans l’environnement et les déterminants de ces niveaux d’imprégnation [1] ;
  • l’étude nationale transversale en population générale âgée de 6 à 74 ans, nommée Esteban (Étude de santé sur l’environnement, la biosurveillance, l’activité physique et la nutrition). La phase de collecte des données de l’étude Esteban a eu lieu d’avril 2014 à mars 2016.

Un processus de priorisation des biomarqueurs à analyser a été développé pour ce programme [2]. La famille des métaux et métalloïdes a été retenue car un certain nombre d’entre eux ont des effets sanitaires (cancérogènes, osseux, rénaux, cardiovasculaires, neurotoxiques, etc.), et pour les autres par opportunité grâce à la méthode analytique employée qui permettait de disposer des dosages pour 27 d’entre eux simultanément.

Ainsi les objectifs principaux de l’étude Esteban concernant les métaux étaient notamment les suivants :

  • décrire les niveaux de 28 métaux dans la population française ;
  • étudier les variations temporelles et géographiques des niveaux d’imprégnation par une comparaison avec les résultats d’études antérieures menées en France et à l’étranger, et notamment depuis l’Étude nationale nutrition santé (ENNS) réalisée en 2006-2007 ;
  • analyser les déterminants des niveaux d’imprégnation de la population par les biomarqueurs suivants : arsenic total, Asi + MMA + DMA, mercure, cadmium, chrome, nickel, cuivre urinaire, mercure dans les cheveux et plomb sanguin.

L’objectif de cette synthèse est de résumer la méthode et les principaux résultats pour l’ensemble des métaux analysés dans l’étude Esteban.

Méthode

Les données relatives aux trois grandes thématiques étudiées dans Esteban ont principalement été recueillies par questionnaires (renseignés en face-à-face par un enquêteur au domicile des participants et par autoquestionnaires). Il s’agissait de données démographiques, socioéconomiques, sur l’alimentation, l’activité physique, la sédentarité, les habitudes et modes de vie, l’environnement résidentiel et professionnel, la santé générale et la consommation de soins. Par ailleurs, l’ensemble des mesures et des prélèvements biologiques (sang, premières urines du matin, mèche de cheveux) a été recueilli dans le cadre d’un examen de santé. Tous les laboratoires de dosage des biomarqueurs ont été sélectionnés dans le cadre de marchés publics par appel d’offres, notamment selon des critères d’assurance qualité.

Le laboratoire Chemtox a réalisé le dosage de la créatinine par la méthode de Jaffé, du plomb sanguin et de 27 éléments métalliques urinaires par spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (ICP-MS) : aluminium, antimoine, arsenic total, baryum, béryllium, bore, cadmium, césium, chrome, cobalt, cuivre, étain, iridium, lithium, manganèse, mercure, molybdène, nickel, or, palladium, platine, sélénium, thallium, tungstène, uranium, vanadium et zinc. Le laboratoire LEA Vendée a réalisé le dosage de la spéciation de l’arsenic : l’arsenic inorganique et ses deux métabolites (Asi + MMA + DMA) par chromatographie liquide haute performance couplée à une spectrométrie de masse à plasma à couplage inductif (HPLC - ICP/MS). Le Centre national de toxicologie du Québec a réalisé l’analyse du mercure dans les cheveux par ICP-MS.

Le plan de sondage de l’étude Esteban était stratifié à trois degrés. Au premier degré, un échantillon de communes ou de regroupements de communes (unité primaire) a été tiré au sort. Au deuxième degré, dans chaque unité primaire, des ménages ont été tirés au sort par échantillonnage téléphonique. Au troisième degré, un seul individu (adulte ou enfant) a été tiré au sort parmi les membres éligibles du ménage (méthode Kish).

Les données manquantes des variables issues des différents questionnaires et les valeurs censurées à gauche des biomarqueurs (niveaux biologiques inférieurs à la limite de détection) ont été imputées en utilisant la méthode d’imputation multiple par équations chaînées. L’étude des déterminants liés aux niveaux d’imprégnation par les métaux a été réalisée à partir d’un modèle linéaire généralisé (GLM) prenant en compte le plan de sondage sur 7 biomarqueurs urinaires, capillaires ou sanguins : arsenic total, Asi + MMA + DMA, cadmium, chrome, cuivre, mercure, nickel et plomb.

Résultats

Sur les 30 biomarqueurs, seuls 4 étaient quantifiés à moins de 90 % dans la population des adultes : béryllium (4,2 %), iridium (42 %), palladium (83,8 %) et platine (62,3 %), et 3, dans la population des enfants : béryllium (10,9 %), iridium (51,8 %) et platine (88,1 %).

Les niveaux mesurés chez les adultes étaient similaires en mercure dans les cheveux, étain urinaire et nickel urinaire par rapport à ceux mesurés dans l’étude ENNS (2006-2007). En revanche, les niveaux mesurés chez les adultes étaient plus élevés en antimoine, Asi + MMA + DMA, cadmium, chrome, cobalt et uranium que ceux mesurés en 2006-2007. Cette évolution était cohérente pour le cadmium et le chrome avec d’autres observations qui montraient également des évolutions à la hausse de concentrations, telles que celles montrées par l’Anses dans les études de l’alimentation totale (EAT) [3]. Seuls les niveaux mesurés pour le vanadium et le plomb avaient diminué depuis 2006-2007.

Si on s’intéresse plus particulièrement à la plombémie en population générale chez les adultes, on observe une diminution de 27 % de la moyenne géométrique (MG) et de 31 % du percentile 95 des concentrations en plomb entre 2006-2007 (ENNS) et 2014-2016 (Esteban) (figure 1). Ces résultats indiquent un progrès important dans la réduction de l’exposition au plomb de la population, dont les explications pourraient être :

  • la prise de différentes mesures réglementaires d’utilisation du plomb : le décret du 5 avril 1995 a interdit la mise en place de canalisations en plomb dans les installations de distribution d’eau (publics et intérieurs) et l’arrêté du 10 juin 1996 celui de l’emploi de soudures contenant du plomb ;
  • une diminution importante des émissions de plomb dans l’air liée à l’abandon de l’essence plombée, puis à la suppression de l’utilisation de plomb tétraéthyle dans les essences depuis le 1er janvier 2000 ;
  • la mise en place du diagnostic plomb pour la location ou la vente des logements construits avant le 1er janvier 1949 ;
  • un cadre réglementaire concernant les mesures préventives des risques professionnels d’exposition au plomb (décret du 5 novembre 2001).

Figure 1. Distribution de la plombémie de la population adulte française en 2006-2007 (ENNS) et en 2014-2016 (Esteban).

 

Si l’on compare les résultats de l’étude Esteban avec les études à l’étranger, les niveaux mesurés en France pour l’arsenic total, l’Asi + MMA + DMA, le cadmium, le chrome, le cuivre, le mercure et le nickel étaient plus élevés que ceux retrouvés dans la plupart des pays étrangers (Europe et Amérique du Nord), sauf pour le nickel et le cuivre.

Les déterminants de l’exposition analysés pour les biomarqueurs d’exposition cités précédemment étaient principalement alimentaires et similaires à ceux observés dans la littérature :

  • la consommation de poissons et de produits de la mer augmentait les concentrations en arsenic, cadmium, mercure et plomb ;
  • la consommation de céréales, celles en cadmium, et lorsqu’elles provenaient de l’agriculture biologique, celles en cuivre ;
  • la consommation de légumes issus de l’agriculture biologique, celles en cuivre ;
  • la consommation d’eau du robinet, de boissons alcoolisées, de pain et de produits de la panification, l’autoconsommation de produits d’élevage, celles en plomb.

D’autres déterminants connus ont également été observés :

  • la consommation de tabac augmentait les concentrations en cadmium, cuivre et plomb ;
  • les implants médicaux, celles en chrome ;
  • les amalgames dentaires, celles en mercure urinaire ;
  • l’année de construction du logement, celles en plomb ;
  • l’activité professionnelle des parents, celles en plomb chez les enfants.

Des dépassements de valeurs-guide sanitaires ont été observés au sein de la population pour l’arsenic, le mercure capillaire, le plomb et plus particulièrement le cadmium, avec un peu moins de la moitié de la population adulte française qui présentait une cadmiurie supérieure à la valeur recommandée par l’Anses [4]. Pour les autres métaux, il serait souhaitable de pouvoir disposer de valeurs-guide sanitaires.

Une analyse de corrélation a été menée en considérant les mesures d’imprégnation urinaire obtenues pour les différents biomarqueurs. Contrairement aux constats effectués lors des analyses de déterminants, les concentrations en métaux qui ont certaines sources d’exposition communes, comme la consommation de poissons ou de produits de la mer (arsenic, mercure, cadmium, chrome), ne sont pas corrélées. En revanche, les corrélations obtenues semblaient le reflet de l’exposition aux métaux sous forme d’alliages comme le cobalt et le nickel, le zinc et le cuivre ou le molybdène et le tungstène, le vanadium et le chrome.

Conclusion

Les résultats sur les métaux s’ajoutent à ceux déjà publiés concernant les substances issues des produits du quotidien [5]. Concernant l’exposition de la population générale française aux métaux, l’étude Esteban a permis pour la première fois de décrire l’exposition à 28 métaux chez les enfants vivant en France métropolitaine en 2014-2016. L’exposition de la population à ces métaux concerne l’ensemble des participants adultes et enfants. Compte tenu des effets néfastes des métaux sur la santé, de l’augmentation des niveaux d’imprégnation par l’arsenic, le cadmium et le chrome entre ENNS et Esteban, il est encore aujourd’hui nécessaire de poursuivre les mesures visant à diminuer les expositions de la population générale à ces substances, en agissant en particulier sur les sources d’exposition. Ces résultats montrent avec l’exemple du plomb que la mise en place de différentes mesures de gestion même antérieures à ENNS et Esteban, ont permis de réduire les expositions de presque 30 % entre ces deux études.

Références

[1] Dereumeaux C, Saoudi A, Pecheux M, et al. Biomarkers of exposure to environmental contaminants in French pregnant women from the Elfe cohort in 2011. Environ Int 2016 ; 97 : 56-67.

[2] Fillol C, Garnier R, Mullot JU, et al. Prioritization of the biomarkers to be analyzed in the French biomonitoring program. Biomonitoring 2014 ; 1 : 95-104.

[3] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail (Anses). Étude de l'alimentation totale française 2 (EAT 2), 2011. Tome 1 : Contaminants inorganiques, minéraux, polluants organiques persistants, mycotoxines, phyto-œstrogènes. https://www.anses.fr/fr/system/files/PASER2006sa0361Ra1.pdf

[4] Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation de l’environnement et du travail (Anses). AVIS de l’Anses relatif à l’Exposition au cadmium – Propositions de valeurs toxicologiques de référence (VTR) par ingestion, de valeurs sanitaires repères dans les milieux biologiques et de niveaux en cadmium dans les matières fertilisantes et supports de culture permettant de maîtriser la pollution des sols agricoles et la contamination des productions végétales. Anses, 2019 : 44 p. https://www.anses.fr/fr/system/files/VSR2015SA0140.pdf

[5] Fillol C, Oleko A, Saoudi A, et al. Exposure of the French population to bisphenols, phthalates, parabens, glycol ethers, brominated flame retardants, and perfluorinated compounds in 2014-2016: Results from the Esteban study.Environ Int 2021 ; 147 : 106340.