Pathologies

Maladies infectieuses

Francelyne Marano

Professeure émérite de biologie cellulaire et toxicologie
Université Paris Diderot, Paris

Volume 20, numéro 1, Janvier-Février 2021

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ANALYSE D'ARTICLE

Transmission de la Covid-19 par aérosol :
quelles conséquences pour la santé publique ?

Les approches d’évaluation et de gestion des risques ont été adoptées pour la première fois en 1976 afin de répondre à la nécessité de prendre des décisions en matière de santé publique face à l’incertitude scientifique. Dans la démarche classique d’évaluation des risques, les éléments pris en considération reposent sur les données probantes disponibles pour évaluer le danger, la réponse à la dose, l’évaluation de l’exposition et le risque global. Des lacunes dans les connaissances sont identifiées afin de développer la recherche nécessaire pour un meilleur niveau de protection de la santé publique. L’article utilise cette démarche pour la prise en compte de la transmission par aérosol du SRAS-CoV-2 dans la gestion du risque de la pandémie de Covid-19. Pour la Covid-19, le danger est connu mais la réponse à la dose infectante, c’est-à-dire la charge virale nécessaire, est inconnue et des incertitudes existent toujours sur les voies d’exposition et de transmission.

Conformément à l’Organisation mondiale de la santé (OMS), aux Centers for Disease Control and Prevention (CDC) et à la littérature scientifique, tout au long de cet article, le terme « aérosol » s’applique aux petites particules respirables de 5-10 μm qui peuvent rester en suspension dans l’air et qui sont capables d’être transportées à courte et à longue distances. Les gouttelettes plus grosses (>20 μm) se déposent sous l’influence de la gravité à une distance de l’ordre de 1 à 2 mètres. Les gouttelettes intermédiaires entre 10 et 20 μm peuvent également rester en suspension ou se déposer.

L’article reprend les publications qui montrent que des personnes asymptomatiques peuvent propager le virus. Elles suggèrent que la toux et les éternuements pourraient ne pas être le seul moyen de propager le virus. Les chercheurs ont estimé qu’en Chine, une grande proportion des cas de transmission, soit 79 %, proviennent de personnes qui n’avaient pas été testées ; une grande partie était probablement asymptomatique. Ces observations ont été étayées par d’autres cas de transmission en groupe, par exemple lors de la répétition d’une chorale à Mount Vernon, Washington, États-Unis, dont les participants n’étaient pas symptomatiques, limitaient leur contact physique et maintenaient leur distance les uns des autres et où, après une répétition de deux heures, 60 membres se sont retrouvés positifs, dont trois ont été hospitalisés et deux sont morts. En l’absence de symptômes évidents, comme la toux et les éternuements, ces observations soulèvent la question de savoir comment la transmission infectieuse se produit. Or, toutes les études sur les aérosols montrent que la respiration normale et la conversation ont comme conséquence des distributions de taille des gouttelettes de l’ordre de 80-90 % < 1 μm.

En milieu hospitalier, l’ARN viral a été détecté dans l’air à l’intérieur des chambres des patients atteints de la Covid-19 et dans les couloirs avoisinants. Les auteurs notent que « les données suggèrent que les particules virales d’aérosol sont produites par des individus qui ont la maladie Covid-19, même en l’absence de toux ».

Une étude en laboratoire sur le SRAS-CoV-2 mesurant sa viabilité sur diverses surfaces et dans les aérosols concluait que « le virus peut rester viable et infectieux dans les aérosols pendant des heures et sur les surfaces jusqu’à des jours » [1]. Les résultats sont similaires à ceux du SRAS-CoV-1. Leur demi-vie sous forme infectante était similaire dans les aérosols, avec des estimations médianes d’environ 1,1 à 1,2 heures avec 95 % d’intervalle de confiance de 0,64 à 2,64 pour le SRAS-CoV-2 et de 0,78 à 2,43 pour le SRAS-CoV-1.

L’importance de la distribution en taille des gouttelettes et leur pénétration dans les voies respiratoires est à prendre en considération dans la causalité de la maladie. Les petites gouttelettes < 5 μm peuvent pénétrer dans les voies respiratoires jusqu’à l’espace alvéolaire où les virus sont capables de réplication et d’infections potentiellement plus graves ; les particules < 10 μm peuvent pénétrer au-delà de la glotte ; tandis que de grandes gouttelettes de diamètre >20 μm tombent principalement sous l’influence de la gravité et peuvent former des « fomites » sur les surfaces en se desséchant.

En conclusion, dans l’intérêt de freiner la propagation de la Covid-19, les données actuellement disponibles suggèrent fortement la nécessité de s’attaquer à l’importance de la transmission par aérosol du SRAS-CoV-2. Les auteurs font les recommandations suivantes.

  • Recueillir des données pour explorer la concentration, la durée de la survie et les distances de transport du SRAS-CoV-2 sous forme d’aérosol dans des conditions différentes de température et d’humidité.
  • Si les aérosols sont confirmés comme une voie de transmission importante pour le SRAS-CoV-2, explorer davantage les concentrations aéroportées et le rôle de la dose dans diverses parties des voies respiratoires dans la progression et la gravité de la maladie.
  • Étudier le risque de contamination par les aérosols des bâtiments, des pièces et des surfaces afin de fournir une base pour la décontamination en matière de protection de la santé publique.
  • Explorer et enregistrer les données afin de déterminer le rôle que jouent les activités humaines dans la production d’aérosols capables de transmettre le SRAS CoV-2 dans les espaces clos et ouverts. Des débits d’air plus élevés dans ces espaces auraient un effet de dilution important en fonction de la vitesse du courant d’air, l’humidité et la température.
  • Réduire l’exposition par inhalation aux aérosols de 5 μm ou moins dans les bâtiments où ils pourraient se former et se concentrer.

Les auteurs considèrent qu’au fur et à mesure que des données plus détaillées seront disponibles, des stratégies de protection à plus long terme pour freiner la transmission du SRAS-CoV-2 et l’incidence de la Covid-19 peuvent être élaborées. Le poids des éléments de preuve actuellement disponibles doit conduire à une prise en compte immédiate de l’importance des aérosols afin de mieux protéger la santé publique.

Commentaire

La question de la transmission du coronavirus SRAS-CoV-2 s’est posée dès le début de la pandémie. Les infectiologues considéraient alors, qu’étant un virus respiratoire, la transmission s’effectuait par contact direct entre un individu symptomatique et des individus sains, par la toux et les éternuements. Les grosses gouttelettes émises ont alors été considérées comme jouant un rôle prépondérant dans l’infection. Ceci a conduit aux premiers protocoles proposés à la population générale : les gestes « barrières » comprenant la distance minimum d’1 à 2 mètres entre individus selon les pays (distanciation sociale ou physique), l’hygiène des mains, la désinfection des surfaces. Ce protocole proposé par l’OMS, le CDC aux États-Unis, et le Haut Conseil de la santé publique (HCSP) en France, ne tenait pas compte de la possible implication d’aérosols viraux et de l’intérêt du port de masque et de l’aération sauf pour les milieux de soins. C’est à travers les publications reprises dans cet article de revue qu’une prise de conscience internationale a émergé tout en faisant l’objet de fortes controverses parmi les experts sur la part de l’aérosol dans la pandémie : tout d’abord, le rôle des porteurs asymptomatiques a été démontré ; ensuite, la possibilité d’une contamination par les aérosols, en particulier dans les milieux clos, mal aérés, publics ou privés, les foules. Malgré les controverses, tous les pays dont la France ont alors modifié les protocoles sanitaires pour introduire l’usage du masque dit « grand public » et l’importance de l’aération des locaux en attente d’un traitement et d’une campagne de vaccination. En particulier, l’usage du masque est devenu progressivement obligatoire non seulement à l’intérieur des bâtiments mais aussi à l’extérieur dans les villes. Cette obligation ne concernait pas, jusqu’à très récemment en France, les enfants de moins de 11 ans en prenant en compte les données épidémiologiques nationales et internationales qui vont majoritairement vers une moindre susceptibilité de développer et de propager la Covid-19 chez les enfants. Cependant, avec la seconde vague épidémique, il a été décidé, sans éléments de preuves supplémentaires, de faire porter un masque dès 6 ans à l’école. On peut s’interroger, en l’absence d’une véritable évaluation bénéfice/risque, sur la priorité ainsi donnée à la possibilité hypothétique d’éviter ainsi des transmissions du virus par rapport à l’éventuel impact d’une telle mesure dans l’apprentissage de la lecture et de la socialisation des plus jeunes. De la difficulté de décider en situation d’incertitude...

  • [1] van Doremalen N., Bushmaker T., Morris D.H. Aerosol and surface stability of SARS-CoV-2 as compared with SARS-CoV-1. New England Journal of Medicine. 2020;382:1564-1567.

Publication analysée :

* Anderson EL, Turnham P, Griffin JR, Clarke CC. Consideration of the aerosol transmission for COVID-19 and Public Health. Risk Analysis 2020 ; 40(5) : 902-7. Doi : 10.1111/risa.13500