ANALYSE D'ARTICLE

Utilisation du téléphone portable et cancer du cerveau en Corée

Objectif

Pour rechercher un lien entre cancer et usage du téléphone portable, Choi et al. ont comparé l’évolution au cours du temps du nombre d’abonnés au téléphone mobile par génération de réseau mobile (1G à 4G) et de l’incidence du cancer du cerveau par type de tumeur en Corée. L’incidence est le nombre annuel de nouveaux cas pour 100 000 personnes. À ce jour, une quinzaine d’études d’incidence du cancer en lien avec l’usage de la téléphonie mobile sont parues dans le monde, mais très peu ont pris en compte l’évolution de générations de technologie de communication sans fil au cours du temps.

Sources des données

Les données utilisées proviennent des statistiques sur les technologies de l’information (1984-2017) pour les abonnements téléphoniques, et du Registre central du cancer coréen (KCCR ; 1999-2017). Ce dernier détient les informations sur 98,2 % des cas de cancer diagnostiqués en Corée depuis 1999. Les cancers sont répertoriés selon la Classification internationale des maladies pour l’oncologie (3e édition ; ICD-O-3). Les cancers cérébraux sont classés histologiquement, en tant que gliome (bas ou haut grade), méningiome, autres, et topologiquement, comme frontal, temporal, pariétal, méninges, autres emplacements du cerveau, se chevauchant, sans précision, nerf crânien et autres.

Dans l’article, les auteurs distinguent cinq catégories : les gliomes de bas grade, les gliomes de haut grade et les glioblastomes1, qui représentent la majeure partie des tumeurs cérébrales2, ainsi que les méningiomes, les tumeurs indéterminées car non caractérisées (« unspecified »), et autres.

Méthode

Les auteurs ont considéré un temps de latence de 10 ans pour l’apparition des tumeurs et des valeurs de risque relatif (RR) de 1 ; 1,2 ; 1,5 et 2. Ainsi, le nombre d’abonnements annuels a été répertorié de 1984 à 2017, et l’incidence a été calculée en utilisant la proportion d’abonnements de téléphonie mobile de 1989 à 2007 par rapport à ceux de 1999 à 2017.

Les résultats sont tous standardisés sur l’âge et le sexe. L’incidence a été calculée pour les tranches d’âge de 0 à 19 ans, 20 à 39 ans, 40 à 59 ans, 60 à 69 ans et plus de 70 ans, en fonction du type de tumeur et de sa localisation.

Résultats

Le téléphone mobile 2G a été utilisé pendant plus de 20 ans. Son usage augmente jusqu’en 2006 ; la 2G est ensuite progressivement remplacée par la 3G et la 4G.

Concernant les tumeurs cérébrales, 29 721 cas ont été répertoriés entre 1999 et 2017, avec un taux d’incidence normalisé selon l’âge de 2,89/100 000 personnes par an en moyenne, globalement stable au fil du temps, quelle que soit la génération de téléphonie mobile (figure 1).

Figure 1. Évolution de la proportion d’abonnés à la téléphonie mobile par génération (1984-2017) et des
taux d’incidence du cancer du cerveau (1999-2017) en Corée. Le taux d’incidence standardisé a été calculé
en utilisant la population standard de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Le taux d’incidence est plus élevé chez les hommes que chez les femmes, respectivement de 3,2 et 2,7 pour 100 000. Il est plus élevé chez les plus de 70 ans que chez les jeunes. Pour les deux sexes, il s’agit majoritairement de gliomes et glioblastomes dont l’incidence augmente au cours du temps, en particulier pour les glioblastomes. En revanche, l’incidence des tumeurs de type non spécifié diminue au cours du temps.

Il apparaît aussi une nette augmentation du nombre annuel de gliomes de haut grade au cours du temps, plus marquée chez les hommes. Les méningiomes représentent une très petite proportion de l’ensemble des tumeurs, sans variation notable. L’incidence du gliome (tous grades confondus), du gliome de haut grade et du glioblastome, frontaux ou temporaux, est nettement supérieure chez les sujets de 60 ans et plus tandis qu’il n’apparaît pas de différence selon l’âge pour les tumeurs de type indéterminé. Concernant la localisation, l’atteinte du lobe frontal a augmenté significativement plus que dans les autres lobes, et l’incidence au niveau du lobe temporal n’a augmenté de manière significative que chez les personnes de 70 ans et plus.

Les résultats concernant les taux d’incidence sont semblables à ceux obtenus en Australie (2018) et en Israël (2012). Selon les pays, l’incidence des tumeurs cérébrales et des gliomes n’évolue pas de la même façon selon les groupes d’âge. Elle est parfois plus élevée dans les groupes les plus âgés ou bien dans des groupes plus jeunes, comme dans les pays nordiques (2009) où l’incidence du gliome augmente plus chez les hommes dans la tranche d’âge 20 à 39 ans tandis que les méningiomes augmentent chez les femmes à partir de 60 ans. D’autres exemples issus de la littérature sont fournis par les auteurs.

Les taux d’incidence obtenus sont comparés avec les incidences prédites calculées avec différentes valeurs de risque relatif. Seule l’augmentation d’incidence pour les gliomes et glioblastomes observée avec le groupe des plus âgés coïncide (à peu près) avec la courbe théorique obtenue pour un RR de 1,5.

Limites de l’étude pointées par les auteurs

Les auteurs font état des limites de l’étude, notamment les incertitudes sur les expositions, car le nombre d’abonnements n’est qu’un indicateur approximatif bien qu’il soit largement utilisé dans les études d’incidences disponibles. Des personnes peuvent aussi avoir plusieurs abonnements, notamment professionnel et privé. Par ailleurs, le temps de latence de 10 ans permettait de faire l’analyse avec les dernières données du registre de cancer, dont les plus anciennes remontent à 20 ans, mais le temps de latence des cancers cérébraux peut dépasser 30 ans et l’usage du portable s’est généralisé à partir des années 2000. Les auteurs en déduisent que d’autres études seront nécessaires pour valider leurs résultats.

Conclusion

En tenant compte des temps de latence, il n’apparaît globalement pas de variation d’incidence du cancer cohérente avec l’usage du portable 2G dans l’étude coréenne. Les auteurs ne peuvent pas conclure à une association avec l’usage du portable pour le groupe le plus âgé. Toutefois, l’augmentation d’incidence des gliomes au cours du temps pourrait être due à l’amélioration des techniques de dépistage et de diagnostic, comme relevé aussi dans d’autres publications. Concernant les autres générations de communication mobile, il n’y avait pas assez d’utilisateurs d’appareils 1G (analogique) pour avoir des données fiables. Quant au système 3G, apparu en 2006, la plage des données collectées n’est pas suffisante en prenant un temps de latence de 10 ans.

La conclusion générale de l’article est : « Cette étude n’a trouvé aucune preuve d’une augmentation de l’incidence du cancer du cerveau associée au nombre croissant d’abonnés à la téléphonie mobile en Corée. Des recherches supplémentaires sont justifiées en utilisant des informations détaillées sur les abonnements de téléphonie mobile, avec des recherches menées sur des durées plus longues compte tenu de la période de latence du cancer du cerveau* ».

Commentaires

L’étude est rigoureuse. Son intérêt est indéniable s’agissant d’un pays très en avance concernant le déploiement des technologies de communication sans fil et leur adoption par la population [1]. Elle appelle cependant quelques remarques complémentaires.

Dans la discussion, diverses hypothèses sur des mécanismes pouvant expliquer des effets cancérigènes des radiofréquences (RF) sont évoquées. Or, ceux-ci sont peu plausibles compte tenu de l’état des connaissances, comme la possibilité de cassures d’ADN ou de stress cellulaire dont l’existence n’a jamais pu être démontrée malgré de nombreuses recherches, ou l’ouverture de la barrière hémato-encéphalique, réfutée à maintes reprises, ou encore l’augmentation de la température intracrânienne alors qu’il est connu que la quantité d’énergie pouvant être absorbée par la tête exposée à un téléphone mobile est trop faible pour engendrer un effet thermique. Ces aspects semblent dépasser le domaine de compétence des auteurs, vu la faiblesse de la bibliographie citée qui contraste avec l’analyse robuste produite sur les études d’incidence.

Notons aussi que, d’après les données actuelles sur les effets des RF de téléphonie mobile, un effet d’initiation tumorale est considéré comme très peu probable. En effet, cela supposerait un effet délétère des RF sur l’ADN qui d’une part n’est pas attendu s’agissant de rayonnements non ionisants, et d’autre part n’a jamais été prouvé comme indiqué précédemment. Un effet cancérigène, s’il existe, proviendrait alors d’un effet de promotion (cellules déjà initiées), pour lequel le temps de latence long ne s’applique plus. Par ailleurs, compte tenu du nombre très important de personnes exposées dans la population, et du fait que quel que soit le temps de latence la cancérisation suit une courbe gaussienne, un effet cancérigène causé par l’usage du portable devrait être décelable avec les plages temporelles utilisées par Choi et al., notamment pour les gliomes dont la croissance est plus rapide que celle des méningiomes.

  • [1] OCDE. Examens de l’OCDE de la réforme de la réglementation : Corée 2007 : Progrès dans la mise en œuvre de la reforme de la réglementation. Paris: Éditions OCDE; 2007. 10.1787/9789264032088-fr

Publication analysée :

* Choi KH, Johyun Ha J, Bae S, et al. Mobile phone use and time trend of brain cancer incidence rate in Korea. Bioelectromagnetics 2021 ; 42(8) : 629-48. Doi : 10.1002/bem.22373.

1 Cancer cérébral le plus fréquent chez l’adulte (plus de 2 000 nouveaux cas par an en France), causé par la prolifération anormale de cellules gliales nommées astrocytes.

2 De façon générale, le gliome est plus fréquent chez les hommes que les femmes.