ANALYSE D'ARTICLE

Améliorer la compréhension du risque radiologique et de la radioprotection

L’inflation et la complexification du système de radioprotection l’ont peu à peu rendu incompréhensible pour la population selon l’auteur de cet article qui plaide pour des efforts de communication afin que ce système protecteur ne devienne pas une source de menace.

According to the author of this editorial, the system of radiation protection has escalated and become more complex, making it difficult for most people to understand. He calls for better communication to prevent this protective system from becoming a threat.

L’expérience de l’accident de Fukushima a mis en lumière un certain nombre de faiblesses du système de radioprotection. Après un article rapportant les principaux problèmes identifiés par un groupe de travail de la Commission internationale de protection radiologique, le Journal of Radiological Protection a publié un éditorial du secrétaire scientifique de l’organisation appelant à examiner chaque problème pour voir si la difficulté première tenait au système de radioprotection lui-même ou à un défaut de communication et de compréhension. L’auteur de ce nouvel éditorial estime pour sa part que l’élargissement du champ de la protection radiologique (des préoccupations médicales initiales aux questions du développement de l’énergie nucléaire, des situations d’urgence et des legs aux générations futures) l’a progressivement détaché du sens commun. Les événements de Fukushima et précédemment de Tchernobyl indiquent que la peur des radiations – et plus particulièrement des émissions des centrales nucléaires – doit être prise en compte pour la révision du système de radioprotection. La question qui se pose n’est plus seulement de protéger les personnes contre le risque radiologique mais aussi de les protéger contre les effets délétères potentiels du système de radioprotection.

 

Revoir la présentation du risque

Le risque associé à une exposition à de faibles doses de rayonnements ionisants est difficile à appréhender pour le public, d’autant plus qu’il est exprimé sous forme de détriment, qui véhicule une notion plus large du dommage que le risque de décès. Le principe de précaution suppose l’absence de seuil en-dessous duquel le risque d’effets stochastiques est nul, conformément à l’hypothèse du modèle linéaire sans seuil. Le risque de cancer mortel est néanmoins classiquement estimé à 5 % par Sievert (Sv) absorbé, et la limite de dose annuelle pour l’exposition du public (1 mSv/an) dérive de l’application rigide de ce facteur de risque de décès de 5 %/Sv. Elle coexiste avec d’autres valeurs limites qui s’appliquent aux milieux de travail et à l’industrie.

La complexité qui découle de cet ensemble peut conduire à percevoir les sources contrôlées de rayonnements ionisants comme plus dangereuses qu’elles ne le sont en réalité, sachant que nous vivons dans un monde naturellement radioactif où l’exposition de fond est d’au moins 2 à 3 mSv/an. L’auteur de cet article propose donc de resituer le risque lié à une irradiation dans le contexte de la vie de tous les jours, qui s’accompagne de variations inévitables de l’exposition de l’ordre de quelques millisievert par an ou d’ampleur supérieure en fonction de décisions individuelles telles que le lieu de résidence ou le choix d’une destination de vacances. Le risque pourrait ainsi être présenté de façon concrète sur une échelle d’acceptabilité à trois niveaux : largement acceptable pour une exposition de quelques mSv/an, acceptable en fonction du bénéfice en regard pour une exposition de quelques dizaines de mSv/an, et acceptable au-delà (jusqu’à quelques centaines de mSv/an) uniquement en de rares circonstances critiques telles que sauver des vies. Sans déroger au principe protecteur de base d’une exposition aussi basse que raisonnablement possible (principe ALARA pour as low as reasonably achievable), cette approche permettrait de nuancer la notion de « raisonnable » et de la rendre plus pragmatique.

 

Améliorer les connaissances

Inculquer au public les notions qui permettent de mieux comprendre ce que sont les radiations ionisantes et les problèmes qu’elles posent est une aspiration de longue date et un programme à long terme. Il nécessite un travail avec les enseignants des écoles, différents groupes de citoyens intéressés à plusieurs niveaux par le sujet, des politiciens, etc. Ce travail implique un engagement des communautés qui œuvrent pour la radioprotection et la volonté d’aller à la rencontre des individus, ce que la mise à disposition d’informations pour un large public par voie écrite ou électronique ne peut remplacer.

 

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Commentaires

Cet éditorial est intéressant à plusieurs titres : il témoigne d’une reconnaissance de l’imperfection du système de sécurité nucléaire, et donc d’une forte attente de ceux qui en perçoivent les risques, professionnels ou grand public, souvent de manière passive.

Il est moins explicite dans l’attribution des rôles des instances internationales chargées d’élaborer les normes d’exposition et les modalités de leur contrôle. La plus efficace et la plus courageuse d’entre elles est sans doute la CIPR (Commission internationale de protection radiologique), organisme à but non lucratif indépendant qui publie des rapports dont s’inspirent ensuite les États et la Commission européenne dans l’élaboration des textes de réglementation.

Le travail de la CIPR mériterait dans cet éditorial un éclairage, même critique. Il est vrai que pour quelques-uns, notamment aux États-Unis, les normes d’exposition proposées par la CIPR sont considérées comme trop contraignantes et ne sont pas adoptées. Il faut ajouter, pour interpréter le sens politique de cet éditorial, que Fukushima n’a pas eu le même retentissement en Amérique que Tchernobyl, qui avait en son temps, stoppé net le programme nucléaire civil américain en 1986.

Jean-François Lacronique


Quand une centrale nucléaire est implantée sur un site donné, elle respecte de manière évidente la réglementation en vigueur, tient compte de facteurs d’environnement, de maintenance, etc. de manière à atteindre son but : fournir de l’énergie au public. La durée de vie des centrales tend à augmenter avec, pour le public, deux événements importants, Tchernobyl (où la transparence sur les risques a été assez médiocre) et Fukushima (avec, cette fois, un travail, en particulier de l’IRSN, d’information très satisfaisant du public).

Plusieurs éléments doivent naturellement être pris en considération :

- l’amélioration des connaissances sur les risques induits par les radiations ionisantes ; celles-ci restent encore à améliorer dans le cas des faibles doses et des relations doses-effet ;

- la faible attractivité par le public du nucléaire, avec un effet d’amplifi cation des risques dans l’esprit du public, probablement plus important que dans le domaine du risque chimique ;

- l’obligation de réaliser des installations encore plus sûres et une meilleure gestion de la protection des opérateurs et des citoyens ;

- la nécessité d’une relation confi ante entre les producteurs d’énergie nucléaire, les instituts chargés de la radioprotection et le public.

Ces items se retrouvent pour la plupart dans l’éditorial faisant l’objet des commentaires présents. Cependant, malgré son aspect synthétique et utile, il pèche sur une prise en compte modeste du contexte social dans les débats sur les risques : un risque acceptable ne peut être défi ni par la seule onction des ingénieurs honnêtes et de bonne foi... L’émergence d’opposants farouches au nucléaire disposant d’une caisse de résonance médiatique importante ne peut pas être mise de côté (cf. le récent débat public sur Cigéo - Centre industriel de stockage géologique). C’est vrai que la volonté d’une meilleure connaissance par le public des risques permet d’avancer sur ce chemin plein d’embûches, mais les solutions proposées dans ce document sont-elles à la hauteur des espoirs de l’auteur ? Du besoin ?

Il existe de vrais verrous reliés au hiatus qui s’élargit entre technologie et société qu’il faudra bien un jour prendre à bras le corps. Le cas du nucléaire est emblématique, car sa survie dans les choix énergétiques futurs en dépend, et ce n’est pas uniquement avec une approche de type top-down menée par des sachants honnêtes qu’on fera avancer sereinement le sujet. Il va nous falloir trouver le courage nécessaire pour une interaction constructive avec le public, mais c’est le prix à payer pour restaurer une confiance bien écornée de la part des citoyens (même quand il fait froid, on est bien content de disposer d’électricité chez soi, sans trop se préoccuper de son origine...).

Jean-Claude André

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Les objectifs seront d’autant mieux atteints que le travail sera fourni en dehors de la pression exercée par un événement particulier et reposera sur des personnes dénuées d’intérêt partisan.

Si les leçons de Fukushima conduisent principalement à redoubler d’efforts pour éviter tout accident – dans le secteur du nucléaire comme dans les autres secteurs utilisant des sources radioactives – et améliorer la préparation et la gestion des situations de crise, elles engagent également à s’intéresser à la radioprotection sous l’angle de l’impact sociétal et de la santé mentale.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Coates R1. Radiation protection: where are we after Fukushima ? J Radio Prot 2014; 34: E13-E16.

doi: 10.1088/0952-4746/34/4/E13

1 Ancien président de la Société britannique de protection radiologique et vice-président de l’Association internationale de radioprotection.