ANALYSE D'ARTICLE
Antibiorésistance : au-delà de la compréhension théorique, le besoin de connaissances pratiques
Si nous savons que l’introduction d’antibiotiques dans l’environnement a favorisé l’émergence de bactéries résistantes, d’importantes connaissances restent à acquérir pour comprendre ce qui se joue au sein de différents compartiments environnementaux afin d’améliorer la stratégie de lutte contre l’antibiorésistance. Deux articles éclairent ce sujet : le premier expose la nécessité et les difficultés du recueil de données, le second est centré sur les stations d’épuration des eaux usées, une niche écologique qui recèle des informations du plus haut intérêt sur la résistance aux antimicrobiens.
Face à un facteur hostile de l’environnement, biotique (comme un autre micro-organisme) ou abiotique (conditions de température, humidité, lumière, pH, etc.), une espèce bactérienne doit s’adapter pour survivre. Une même niche écologique peut ainsi abriter des bactéries produisant des substances bactériostatiques ou bactéricides pour d’autres espèces (antibiotiques naturels), des bactéries dépourvues de la cible d’action d’un antibiotique (naturellement résistantes), et des bactéries présentant une cible accessible (naturellement sensibles), ayant ou pas développé un mécanisme de résistance. La pression exercée par l’introduction de nos médicaments antibiotiques dans l’environnement a accéléré la conversion de populations bactériennes initialement sensibles en populations résistantes, sinon multirésistantes, qui ne posent pas seulement des problèmes d’impasse thérapeutique devant des cas d’infections graves à mortelles. La perte de l’efficacité des antibiotiques menace largement les avancées de la médecine, du contrôle de maladies comme la tuberculose aux pratiques nécessitant de prévenir ou juguler rapidement toute infection (actes chirurgicaux, chimiothérapie anticancéreuse, traitement immunosuppresseur, etc.).
Devant les évaluations du coût social et économique de l’inaction (incluant les impacts dans les secteurs de la santé, de l’alimentation, du commerce et l’anéantissement possible des efforts réalisés pour combattre la pauvreté dans le monde), les nations et les organisations internationales se mobilisent. L’objectif est d’agir sur la part évitable du problème, en limitant l’apparition de nouvelles résistances et la diffusion d’infections à souches multirésistantes. Leur surveillance, la gestion raisonnée des antibiotiques et la recherche d’alternatives thérapeutiques sont au cœur des programmes. Mais pour les auteurs du premier article, la capacité opérationnelle des plans d’action est limitée par une prise en compte insuffisante de la dimension environnementale du phénomène d’antibiorésistance.
Aperçu du manque de connaissances à combler
Acinetobacter baumanii, Pseudomonas aeruginosa et un groupe d’entérobactéries des genres Klebsiella, Escherichia, Serratia et Proteus figurent en tête de liste des pathogènes pour lesquels il est urgent de développer de nouvelles armes thérapeutiques selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), la résistance aux bêta-lactamines de souches responsables d’infections nosocomiales s’étendant aux carbapénèmes, classe d’antibiotiques de dernier recours. Les souches sauvages de ces bactéries, naturellement sensibles aux bêta-lactamines, sont abondantes dans les écosystèmes aquatiques et terrestres. Streptomyces cattleya, un actinomycète non pathogène pour l’homme qui produit un carbapénème naturel (la thiénamycine) est également très répandu dans l’environnement. Que se passe-t-il dans un milieu où co-existent des bactéries sensibles et productrices ? Et si l’on rajoute au contexte une source anthropique de carbapénèmes comme des effluents hospitaliers ? D’où viennent les gènes de résistance à cette classe d’antibiotiques récemment identifiés dans des entérobactéries provenant d’un élevage de porcs aux États-Unis, sachant qu’elle n’est pas administrée aux animaux ?
Disposer des clés de compréhension permettrait d’agir de manière ciblée sur les déterminants environnementaux de l’émergence et de la transmission de la résistance aux antimicrobiens.
Moyens à développer
L’espace à explorer est potentiellement très étendu, incluant des écosystèmes aquatiques et terrestres naturels, modifiés et fabriqués par l’homme, ce qui suppose d’accroître sensiblement la capacité de collecte, mais aussi de traitement (transport et analyse) des échantillons. La mise à disposition opérationnelle des résultats doit être organisée. Pour constituer et enrichir assez rapidement la base de données, des approches traditionnelles pourraient être combinées à des approches innovantes, comme les programmes de sciences participatives mettant des citoyens à contribution pour l’échantillonnage et la transmission d’informations. En parallèle, l’étude du comportement et du devenir des antibiotiques dans l’environnement doit progresser en suivant les méthodes de modélisation développées pour d’autres substances.
Lors de l’atelier de travail « Mapping the lifecycle of antibiotics in southeast Asia » qui s’est tenu à l’université de Singapour les 14 et 15 septembre 2016, une cinquantaine de participants de disciplines variées ont discuté de la façon dont des pays à faibles niveaux de ressources et d’infrastructures pouvaient unir leurs forces pour évaluer la situation et dynamiser le combat contre l’antibiorésistance dans leur région. Des sites écologiquement vulnérables sur lesquels concentrer les efforts ont été identifiés, en particulier le long du Gange et dans le delta du Mékong. Cette initiative d’une communauté scientifique internationale se présente comme un premier pas encourageant vers l’intégration de la dimension environnementale aux stratégies de lutte contre l’antibiorésistance.
Stations d’épuration : début du décryptage de la « boîte noire »
Titré « Antibiotic resistance in wastewater treatment plants: tackling the black box », le second article rapporte un autre premier pas, sur la voie de la connaissance des déterminants de la dynamique de l’antibiorésistance au sein des stations d’épuration des eaux usées (STEP).
Ces installations représentent des niches écologiques particulièrement instructives au regard des mécanismes gouvernant l’acquisition et le transfert de la résistance aux antimicrobiens. Les eaux qu’elles reçoivent véhiculent un microbiote varié, d’origine environnementale, humaine et animale. Les conditions qui y règnent (richesse en composés organiques et minéraux, particules adsorbantes, stabilité de la température et du pH, présence de résidus médicamenteux, de contaminants métalliques, etc.) peuvent être très favorables pour certaines populations bactériennes et induire une forte pression de sélection sur d’autres. La caractérisation du résistome des STEP (rassemblant bactéries résistantes et supports génétiques mobiles de résistance) est au cœur d’un projet de recherche soutenu par l’Union européenne (Antibiotics and mobile resistance elements in wastewater reuse applications: risks and innovative solutions [ANSWER]), qui vise à trouver les meilleures solutions techniques pour réduire le risque lié à la réutilisation des eaux traitées, en agriculture notamment.
Chaque STEP constituant un système unique, le projet s’oriente vers diverses procédures applicables. Mais des recommandations d’ordre général peuvent déjà être formulées pour explorer le résistome et les facteurs bio-physico-chimiques qui influencent son abondance et son profil aux différentes étapes du traitement de l’eau.
Publication analysée :
* Petrillo JE1, Ogunseitan OA. Emerging issues in the environmental context of antibiotic-resistance. Environ Int 2018 ; 116 : 39-42. doi : 10.1016/j.envint.2018.03.049
1 Office of International Health and Biodefense, Bureau of Oceans and International Environmental and Scientific Affairs, U.S. Department of State, Washington, États-Unis.
# Manaia CM1, Rocha J, Scaccia N, et al. Antibiotic resistance in wastewater treatment plants: tackling the black box. Environ Int 2018 ; 115 : 312-324. doi : 10.1016/j.envint.2018.03.044
1 Universidade Católica Portuguesa, CBQF - Centro de Biotecnologia e Química Fina - Laboratório Associado, Escola Superior de Biotecnologia, Porto, Portugal.