ANALYSE D'ARTICLE

Arbres en ville et santé : étude transversale à Toronto

Les résultats de cette étude transversale dans la ville de Toronto suggèrent que l’état de santé perçu par les habitants et leur condition cardio-métabolique sont liés au nombre d’arbres plantés le long des rues de leur quartier. L’étude fournit un aperçu concret de l’intérêt que pourraient représenter ces arbres.

The results of this cross-sectional study in Toronto suggest that the residents’ perceived health and cardio-metabolic conditions are related to the number of trees lining the roads in their neighborhood. The study provides valuable insight into the possible benefits of these street trees.

Au-delà d’une démonstration d’un rôle bénéfique de la végétation urbaine, il apparaît nécessaire de savoir quel type de plantation le plus favorable à la santé pourrait venir enrichir l’environnement bâti. Les auteurs de cette étude ont choisi de s’intéresser aux arbres qui bordent les rues pour plusieurs raisons. Les arbres représentent les végétaux les plus grands et remarquables qui participent à l’agrément du paysage. Ceux qui bordent les routes et les rues représentent un bien public accessible au plus grand nombre de personnes, qui peuvent y être facilement exposées au cours de leurs déplacements ou par simple contact visuel à travers une fenêtre. Enfin, par leur situation, ces arbres sont en première ligne pour atténuer la pollution liée au trafic.

 

Matériel utilisé

L’étude a été conduite à Toronto et les auteurs ont utilisé les données de 31 109 participants à l’Ontario Health Study (investigation en cours des facteurs de risque de maladies telles que cancers, diabète, maladies cardiovasculaires, asthme et maladie d’Alzheimer dans la population adulte). Outre le niveau de santé perçu, auto-évalué sur une échelle de 1 à 5 (valeur moyenne dans la population étudiée : 3,66), les données sanitaires provenant de questionnaires auto-administrés ont servi à construire trois indices : de santé cardio-métabolique (à partir des variables hyperglycémie, hypercholestérolémie, hypertension artérielle, diabète, maladie cardiaque, antécédents d’infarctus du myocarde ou d’accident vasculaire cérébral et indice de masse corporelle), de troubles mentaux (cumulant dépression, anxiété, addiction), et d’autres pathologies (cancer, migraine, asthme, arthrose).

La ville de Toronto est divisée administrativement en 3 202 aires de diffusion (dissemination area) d’1,7 km2 et 690 résidents en moyenne. L’importance de la couverture végétale offerte par les arbres dans chaque aire a été déterminée à partir de deux bases de données municipales, l’une répertoriant les plus de 530 000 individus de diverses espèces plantés sur des terrains du domaine public le long des rues (qui font l’objet d’une surveillance et de mesures de leurs diamètres), l’autre étant une cartographie de la canopée à partir d’images satellitaires (résolution : 0,6 m). La densité de la couverture par les arbres « de rues » (rapport entre la surface de la couronne des arbres et la surface de la zone) allait de 0,02 % à 20,5 % (moyenne : 4,57 %), et la densité de la couverture par d’autres arbres (situés dans des parcs publics et des jardins privés essentiellement) allait de 0 à 75,4 % (moyenne : 23,5 %).

 

Analyses et résultats

Deux méthodes statistiques ont été appliquées : la régression multiple et l’analyse canonique des corrélations. La première a permis de déterminer l’influence, sur trois critères sanitaires (état de santé perçu, indice de condition cardio-métabolique et indice de troubles mentaux), de la densité de la couverture végétale par les arbres des deux catégories, ainsi que l’influence de six autres variables : l’âge, le sexe, le niveau d’études, le niveau de revenus du foyer, le revenu médian des habitants de la zone, et le nombre de fruits et légumes quotidiennement consommé. L’indice de pathologies « autres », hétérogène, a été utilisé dans la seconde analyse qui visait à explorer les relations entre les critères sanitaires et les variables démographiques, socio-économiques, et de densité des arbres.

Les résultats de la régression multiple indiquent que la densité de la couverture par les arbres de rues retentit sur la santé perçue et l’état cardio-métabolique. Une augmentation de 4 % de la densité (400 cm2 de couronne par m2, correspondant à l’ajout d’une dizaine d’arbres de taille moyenne seulement dans l’aire de diffusion) est associée à une augmentation d’environ 0,04 point du niveau de santé perçu (ou une augmentation d’1 % sur l’échelle de 1 à 5). L’effet est d’ampleur équivalente à celui que produirait une augmentation des revenus annuels du foyer de 10 200 dollars (le revenu moyen dans la population étudiée était de 90 806 $) ou un déménagement pour un quartier où le revenu médian est supérieur de 10 200 $. L’amélioration du niveau de santé perçu équivaut, autrement, à un « rajeunissement » de sept ans.

L’influence sur l’état de santé cardio-métabolique est également significative. Une augmentation de 408 cm2/m2 de la densité (correspondant à environ 11 arbres de plus dans l’aire) apparaît avoir un effet équivalent à ceux d’une augmentation des revenus annuels de 20 200 $ ou d’un « rajeunissement » d’1,4 an. La densité de la couverture végétale procurée par les autres arbres n’apparaît pas être un facteur prédictif significatif du niveau de santé perçu ni de l’état cardio-métabolique.

Les huit variables prédictrices considérées n’expliquaient toutefois que 9 % de la variance de l’état de santé perçu et 19 % de celle de la condition cardio-métabolique. La part de la variance de l’indice de troubles mentaux attribuable à ces variables était trop faible (1,1 %) pour une analyse pertinente.

L’analyse des corrélations montre que l’âge est le principal déterminant de la santé physique (condition cardio-métabolique et pathologies autres). Elle appuie les résultats précédents en montrant que l’état de santé perçu, comme l’état de santé cardio- métabolique, sont positivement corrélés aux niveaux de revenus et d’études, à la consommation de fruits et légumes et à la densité des arbres de rues.

Dans leur ensemble, ces résultats soutiennent donc l’hypothèse d’un effet particulièrement bénéfique des arbres plantés au bord des rues. Le caractère transversal de l’étude ne permet cependant pas de l’affirmer, et les raisons pour lesquelles ces arbres seraient plus « efficaces » pour la santé de la population que ceux des jardins publics ou privés demandent à être examinées. Les auteurs précisent que leur étude n’indique pas que les arbres des parcs ne sont pas bénéfiques, mais suggère plutôt que le budget alloué par une commune à la plantation et à la maintenance d’arbres pourrait être préférentiellement utilisé pour des arbres de rues dans un objectif de santé publique. La population de l’étude était un échantillon d’adultes (âge moyen : 43,8 ans), et les arbres des parcs publics pourraient être plus bénéfiques aux enfants qui y passent plus de temps.

Deux faiblesses méthodologiques sont à considérer pour de futurs travaux : les données sanitaires utilisées étaient déclaratives, et seul le revenu médian caractérisait le quartier, alors que d’autres facteurs sont importants pour la santé (niveau de pollution, de sécurité, etc.). En revanche, les Canadiens étant couverts par un système d’assurance maladie qui garantit un accès équitable aux soins, l’impact de variables socio-économiques comme le taux de chômage a été réduit.

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Kardan O, Gozdyra P, Misic B, Moola F, Palmer L, Paus T, Berman M. Neighborhood greenspace and health in a large urban center. Sci Rep 5, 11610.

Department of Psychology, The University of Chicago, Chicago, États-Unis.

doi : 10.1038/srep11610