ANALYSE D'ARTICLE

Bruit des avions et détresse psychologique : enquête autour de trois aéroports français

Un lien direct entre l’exposition résidentielle au bruit du trafic aérien et la détresse psychologique n’est pas observé dans cette étude transversale auprès de 1 244 riverains de trois aéroports internationaux français. En revanche, la gêne ressentie et la sensibilité au bruit sont toutes deux associées au mal-être.

L’étude a été menée dans le cadre du projet DEBATS (Discussion sur les effets du bruit des aéronefs touchant la santé) qui vise à caractériser les effets de l’exposition au bruit des avions sur l’état de santé physique et mental des populations riveraines d’aéroports en France. Sa zone a été définie sur la base des courbes d’environnement sonore établies à l’aide du modèle INM (Integrated Noise Model) par Aéroports de Paris pour Paris-Charles de Gaulle, et par la Direction générale de l’aviation civile (DGAC) pour les aéroports de Toulouse-Blagnac et de Lyon-Saint-Exupéry. Le niveau du bruit environnemental apprécié par l’indicateur Lden (Level day, evening, night, avec pondération pour les périodes du soir [18-22 h : + 5 dB] et de la nuit [22-6 h : + 10 dB]) est réparti en quatre catégories : < 50 dB, 50-54 dB, 55-59 dB et ≥ 60 dB.

Population incluse

Les foyers éligibles ont été sélectionnés par randomisation sur la base de leur adresse dans la zone de l’étude et contactés par téléphone. L’enquête a été proposée en 2013 à 4 202 adultes et acceptée par 1 244 (695 femmes et 549 hommes), soit un taux de participation proche de 30 % similaire à celui de l’étude européenne HYENA (Hypertension and Exposure to Noise Near Airports) pour trois des six pays (Allemagne, Italie et Royaume-Uni). Le taux de participation était plus élevé parmi les riverains de Lyon-Saint-Exupéry (39 %) et de Toulouse-Blagnac (34 %) qu’autour de Paris-Charles de Gaulle (25 %), mais la répartition dans les quatre catégories d’exposition était équilibrée (de 317 participants dans la première à 306 dans la dernière). Environ 40 % des personnes ayant refusé de participer ont répondu à un court questionnaire démographique et socio-économique indiquant la comparabilité des deux populations, celle des participants étant toutefois légèrement plus âgée et de catégorie socio-professionnelle supérieure.

Critères considérés

L’état de bien-être psychologique a été évalué par le GHQ (General Health Questionnaire) dans sa version courte à 12 items administrée au domicile des participants. Le GHQ est un outil validé pour la détection de troubles mentaux mineurs en population générale, mais pas un outil diagnostique de maladies psychiatriques caractérisées. Il explore la capacité de concentration, de prise de décision, à surmonter les difficultés, à apprécier sa vie, la confiance en soi, le sentiment d’utilité et de valeur personnelle, le niveau de tension et de bonheur perçu. Quatre choix de réponse sont proposés, de « mieux que d’habitude » à « beaucoup moins bien que d’habitude ». La cotation est dichotomique (les deux réponses traduisant une amélioration ou une stabilité par rapport à la situation habituelle sont cotées « 0 » et celles témoignant d’une aggravation sont cotées « 1 ») et la détresse psychologique est définie par un score total ≥ 3. Sa prévalence dans la population de l’étude était de 21,5 %.

La sensibilité au bruit (en général) concernait 29,7 % des participants (explorée par la question : « Par rapport aux personnes de votre entourage, diriez-vous que vous êtes moins sensible, également sensible ou plus sensible au bruit ? »). La gêne liée au bruit des avions expérimenté à domicile était nulle pour 246 participants, légère pour 312, et respectivement modérée, importante et extrême pour 460, 186 et 40 participants.

Analyses et résultats

Les analyses statistiques ont été réalisées dans une population finale de 1 222 participants pour lesquels toutes les informations nécessaires étaient réunies, en particulier celles relatives aux covariables qui ont été contrôlées : sexe, âge (six catégories), pays de naissance (France ou autre), activité professionnelle et prise d’antidépresseur (oui/non pour chacune), durée du sommeil (cinq catégories), statut marital, tabagisme et consommation d’alcool (quatre catégories pour chacune), niveau d’études, nombre d’événements stressants majeurs, niveau de revenus du foyer (trois catégories), anxiété auto-rapportée (deux catégories). D’autres facteurs de confusion potentiels ont été considérés (incluant l’isolation acoustique du logement, l’ouverture des fenêtres, les pathologies cardiovasculaires et d’autres antécédents médicaux) mais ne sont pas apparus déterminants dans l’analyse univariée.

La détresse psychologique n’est pas associée au niveau du bruit environnemental (odds ratio [OR] par incrément de 10 dB égal à 0,93 [IC95 : 0,69-1,24]). Des résultats équivalents sont obtenus en utilisant d’autres indicateurs du bruit que Lden (LAeq24 h, LAeq6-22 h, Lnight) ou un score GHQ-12 établi selon un mode de cotation alternatif (échelle de Likert de 0 à 3).

Des associations significatives sont en revanche mises en évidence avec la sensibilité au bruit (OR = 1,52[1,09-2,14]) et avec la gêne exprimée pour laquelle un gradient est observé. Ainsi, par comparaison à une gêne nulle, les OR de détresse psychologique sont respectivement égaux à 1,79 (1,06-3,03), 1,63 (0,98-2,71), 2 (1,10-3,64) et 4 (1,67-9,55) pour une gêne légère, modérée, importante et extrême.

Ces résultats sont cohérents avec ceux d’enquêtes réalisées dans d’autres pays, celle-ci étant la première pour la France et l’une des rares conduites en Europe. Elle soutient la notion d’un rôle important de la sensibilité au bruit et de la gêne ressentie dans les troubles de santé rapportés autour des aéroports. Il peut être postulé que la sensibilité est un facteur modérateur de la gêne, et que cette dernière est un facteur intermédiaire dans la chaîne reliant l’exposition au bruit des avions à des effets sur la santé. Cette hypothèse demande à être examinée dans des études conçues pour démêler les effets des trois facteurs et établir une relation causale.

 

 

Commentaires

Parmi les facteurs environnementaux, le bruit est probablement celui qui mêle le plus intimement des mécanismes d’action physico-chimique sur l’organisme et des éléments psychologiques.

La plupart des autres facteurs peuvent plus facilement être rangés sur l’étagère « physico-chimique » ou dans le tiroir « psy » : ainsi, des personnes anxieuses peuvent présenter des symptômes exacerbés par l’information donnée par les médias sur le niveau de pollution atmosphérique, mais il ne fait de doute pour personne que les effets sanitaires liés à la pollution de l’air résultent avant tout de l’action des polluants indépendamment de la perception que l’on en a (ou croit en avoir). A contrario, il n’existe aucune preuve d’un effet direct significatif des champs électro-magnétiques émis par les antennes-relais de téléphones portables, alors que des études ont montré la possibilité d’apparition de symptômes liés à la perception d’une exposition imaginaire.

Pour le bruit, c’est beaucoup plus complexe. L’article de Baudin et al. rappelle que de nombreuses études ont démontré les effets néfastes de l’exposition au bruit sur la santé : troubles du sommeil, maladies cardiovasculaires, hypertension artérielle, altération des performances cognitives chez les enfants. Mais on sait aussi que la gêne liée au bruit est très fortement influencée par des éléments de perception subjective : les bruits « choisis » nous gênent beaucoup moins que les bruits « subis », et la télé du voisin peut nous être beaucoup plus désagréable que les bruits des conversations de personnes qui nous sont chères dans la pièce voisine, indépendamment du niveau sonore objectivement mesuré.

Cette étude, confirmant les résultats de travaux réalisés à l’étranger, ne trouve pas de lien entre les niveaux modélisés d’exposition aux bruits des aéronefs et un indicateur de « mauvaise santé mentale », alors que ce dernier est corrélé à deux indicateurs, qui cherchent pour l’un à mesurer la « sensibilité au bruit » et l’autre « la gêne causée par le bruit ».

Les auteurs émettent quelques hypothèses sur la chaîne de causalité allant du bruit aux effets étudiés. Ils le font avec une certaine prudence, y compris sur le sens de la causalité puisqu’ils reconnaissent que « les personnes extrêmement gênées risquent davantage de souffrir de problèmes de santé psychologiques, mais il est également possible que les personnes souffrant de problèmes de santé psychologiques risquent davantage d’être ennuyées et d’être plus disposées à attribuer leurs symptômes au bruit ».

Ils évoquent toutefois la possibilité que la sensibilité soit un facteur modérateur de la gêne, alors même qu’on peut se demander si les outils utilisés permettent réellement de distinguer sans ambiguïté ces deux notions. La sensibilité au bruit a été évaluée à l’aide de la question suivante: « En ce qui concerne le bruit en général, par rapport aux personnes autour de vous, pensez-vous que vous êtes : moins sensible, aussi sensible que, ou plus sensible que les personnes de votre entourage ? ». La gêne causée par le bruit des avions a été évaluée par une question standard selon une échelle de réponse verbale à cinq points, recommandée par la Commission internationale sur les effets biologiques du bruit (ICBEN) : « En pensant aux 12 derniers mois lorsque vous êtes à la maison, combien le bruit des avions vous ennuie-t-il, vous dérange-t-il ou vous agace-t-il ? ». Il y avait cinq réponses possibles : extrêmement, beaucoup, modérément, légèrement ou pas du tout.

Ce qui paraît établi en revanche, c’est qu’à niveau égal d’exposition au bruit des avions, on peut souffrir plus ou moins, au sens psychiatrique, selon la manière dont on perçoit ce bruit. Il est un peu frustrant que l’article se termine par un sempiternel : « des recherches supplémentaires sont nécessaires pour démêler les possibles effets du bruit, de la sensibilité au bruit et de la gêne occasionnée par le bruit sur les problèmes de santé psychologiques, ainsi que la manière dont ces facteurs sont liés. ». On aurait préféré avoir l’avis des auteurs sur ce que les médecins et les pouvoirs publics pourraient faire, en pratique, de cet élément de connaissance.

Georges Salines

 

 

 


Publication analysée :

*Baudin C1, Lefèvre M, Champelovier P, Lambert J, Laumon B, Evrad A-S. Aircraft noise and psychological ill-health: the results of a cross-sectional study in France. Int J Environ Res Public Health 2018 ; 15. pii : E1642. doi : 10.3390/ijerph15081642

1 Université Lyon, Université Claude Bernard Lyon1, IFSTTAR, UMRESTTE, UMR T-9405, Bron, France.