ANALYSE D'ARTICLE

Cancers du poumon : estimation de la responsabilité des émissions des moteurs Diesel

Selon cette estimation, fondée sur des données états-uniennes et européennes, l’exposition, à la fois professionnelle et environnementale, aux émissions des moteurs Diesel, pourrait être à l’origine d’environ 6 % des décès annuels par cancer du poumon.

According to this estimate, based on data from the United States and Europe, exposure — both occupational and environmental — to emissions from diesel engines may be the cause of approximately 6% of annual deaths from lung cancer.

Les émissions des moteurs Diesel ont rejoint le groupe des agents cancérogènes pour l’homme du Centre international de recherche sur le cancer (Circ) en juin 2012. Si l’Union européenne et les États-Unis étaient déjà engagés dans l’application de normes de plus en plus strictes pour limiter les rejets polluants des véhicules roulants, les réglementations sont encore balbutiantes ou inexistantes dans la plupart des pays. De plus, l’entrée en vigueur d’une nouvelle norme pour les véhicules neufs n’entraîne un résultat significatif qu’après un renouvellement suffisant de la flotte des véhicules en circulation. Enfin, les moteurs Diesel ne sont pas seulement utilisés pour équiper des véhicules roulants, mais aussi pour diverses applications industrielles (engins de construction, d’exploitation minière, agricoles, etc.) pour lesquelles les normes d’émission sont généralement introduites avec un décalage.

Étant donné le nombre de personnes exposées dans le cadre de leur travail et l’importance de la population soumise à la pollution urbaine, l’impact de l’exposition aux particules Diesel pour la santé publique pourrait être très important. À partir des données de trois études de cohortes en milieu professionnel, ce travail offre une estimation pour le cancer du poumon.

 

Études utilisées

Les trois études, provenant des États- Unis, avaient été passées en revue par le groupe d’experts mandaté par le Circ pour évaluer la cancérogénicité des émissions des moteurs Diesel. Deux concernaient le secteur du transport routier et la troisième le secteur minier (extraction de minerais non métalliques). Les trois fournissaient des estimations de la relation entre l’exposition au carbone élémentaire (ou carbone-suie), considéré comme le meilleur indicateur de l’exposition aux particules Diesel, et la mortalité par cancer du poumon. Les nombres de décès dus à un cancer du poumon dans ces trois cohortes étaient respectivement de 779, 994 et 198. L’estimation de l’exposition était rétrospective mais des moyens importants avaient été mis en œuvre et un grand nombre de mesures du carbone élémentaire dans l’atmosphère de travail avait été réalisé. La fourchette d’exposition cumulée allait de 37 à 1 036 μg/m3-années.

Une quatrième étude (cohorte d’employés d’une mine de potasse), publiée après l’évaluation du Circ, n’a pas été retenue par les auteurs de ce travail pour plusieurs raisons (faible nombre de cas, comparaison à une catégorie de référence discutable, manque d’information sur la métrique d’exposition, doute sur la méthode d’ajustement utilisée pour tenir compte de l’activité passée dans une mine d’uranium).

 

Estimation de l’impact sur le cancer du poumon

Les risques relatifs (RR) de mortalité par cancer du poumon rapportés dans les trois études ont été traités par métarégression. La courbe exposition-réponse produite a permis d’estimer à 0,00098 (IC95 = 0,00055-0,00141) le RR associé à une augmentation d’1 μg/m3-année de l’exposition au carbone élémentaire. Plusieurs analyses de sensibilité, dont une incluant la quatrième cohorte, ont confirmé la robustesse de cette estimation. L’excès de risque de décès par cancer du poumon vie entière (80 ans) a été calculé, d’une part pour une exposition professionnelle durant 45 ans (de l’âge de 20 ans à l’âge de 65 ans) à des niveaux moyens de concentration de carbone élémentaire de 1, 10 et 25 μg/m3, correspondant aux valeurs rapportées respectivement pour les chauffeurs de poids-lourds, les travailleurs dans le bâtiment et dans l’industrie mécanique, et, d’autre part pour une exposition environnementale à partir de la naissance à une concentration atmosphérique de 0,8 μg/m3, sur la base d’estimations concernant Vancouver. L’excès de cas de décès par cancer du poumon dû à l’exposition professionnelle s’élève respectivement à 17, 200 et 689 pour 10 000 personnes, tandis que l’exposition environnementale génère un excès de 21 cas pour 10 000. Ces chiffres dépassent les excès de risque unitaires jugés acceptables pour une exposition vie entière, en Europe comme aux États-Unis, qui sont d’un cas supplémentaire pour 1 000 travailleurs exposés et d’un cas pour 100 000 dans la population générale.

La fraction de mortalité par cancer du poumon attribuable à l’exposition professionnelle a été calculée pour la population états-unienne et britannique à partir de statistiques indiquant que 5 % de la population adulte était ou avait été professionnellement exposée aux émissions de moteurs Diesel. Des travaux européens ont été utilisés pour estimer à 80 % la part de cette population faiblement exposée (niveau de concentration moyen de carbone élémentaire : 3 μg/m3) et à 20 % la part fortement exposée (concentration moyenne : 13 μg/m3). La fraction attribuable à l’exposition professionnelle (1,3 %), combinée à celle qui est attribuable à l’exposition environnementale (4,8 %) aboutit à une fraction totale d’environ 6 %, qui se traduit par un nombre annuel de décès par cancer du poumon d’environ 2 000 au Royaume-Uni et d’environ 9 000 aux États-Unis. 

Ces estimations sont assorties d’incertitudes dues, notamment, à l’extrapolation, à la population générale, de résultats concernant des cohortes de travailleurs. La fourchette des concentrations atmosphériques de carbone élémentaire incluait toutefois des valeurs basses (jusqu’à 1 μg/m3) peu éloignées de celle qui a été considérée pour l’exposition environnementale. La nature de l’exposition peut cependant être différente, les émissions de moteurs Diesel n’étant pas les seules sources de carbone élémentaire dans l’environnement général. Par ailleurs, le calcul de l’excès de risque de décès par cancer du poumon dû à l’exposition au carbone élémentaire ne tient pas compte d’un possible effet modificateur du tabagisme.

 Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Vermeulen R1, Silverman DT, Garshick E, Vlaanderen J, Portengen L, Steenland K. Exposure-response estimates for diesel engine exhaust and lung cancer mortality based on data from three occupational cohorts. Environ Health Perspect 2014; 122: 172-77.

doi: 10.1289/ehp.1306880

 

1 Division of Environmental Epidemiology, Institute for Risk Assessment Sciences, Utrecht University, Utrecht, Pays-Bas.