ANALYSE D'ARTICLE

Changement climatique : agir au nom de la santé publique

Émanant d’une commission internationale, et en particulier d’une étroite collaboration entre universitaires européens et chinois, le volumineux rapport intitulé Health and climate change : policy responses to protect public health appelle à considérer la menace que le changement climatique fait peser sur la santé comme l’opportunité d’opérer une profonde transformation de la société humaine.

Health and Climate Change: Policy Responses to Protect Public Health, a long report by an international commission, with particularly close collaboration between European and Chinese academic researchers, advocates that the threat that climate change poses to public health be considered an opportunity to implement a profound transformation of human society.

Fruit d’une collaboration entre deux grandes institutions britanniques – le Lancet et l’University College London (Institute for Global Health) –, un premier rapport publié en 2009 énonçait que le changement climatique pourrait être « la plus grande menace sanitaire du XXIe siècle ». Six ans après, la menace se fait plus précise et imminente. Le premier message clé de ce nouveau rapport issu d’une commission élargie en termes de disciplines scientifiques et de pays représentés est le suivant : « les effets du changement climatique sont déjà perceptibles et les projections conduisent à un risque inacceptable et potentiellement catastrophique pour la santé humaine ».

Mais ce rapport ne se contente pas de confirmer que le changement climatique s’annonce comme la plus grande menace sanitaire du XXIe siècle, allant plus loin dans la démonstration, et appelant de manière plus pressante à une action politique concertée en vue de réduire de manière drastique les émissions de gaz à effet de serre. Il porte une idée nouvelle (qui constitue son deuxième message clé) : « la lutte contre le changement climatique pourrait être la plus grande opportunité sanitaire du XXIe siècle ».

                                              

La santé en péril comme moteur de l’action

Le changement climatique menace de saper tous les progrès réalisés depuis la moitié du XXe siècle en termes de développement, de santé et de bien-être humains. Par ses effets directs (canicules, inondations, sécheresses, tempêtes) et indirects (augmentation des concentrations atmosphériques d’ozone et de particules fines, modification des écosystèmes entraînant une extension des maladies à vecteurs et des allergies, insécurité alimentaire et sous-nutrition secondaires à une diminution de la production agricole et des ressources halieutiques, etc.).

Si la nature et l’ampleur des effets sanitaires du changement climatique sont difficiles à prédire précisément, le rapport insiste sur la nécessité de considérer que ces effets pourraient ne pas être « linéaires » (augmenter proportionnellement à l’augmentation de la température), mais qu’il y a un risque d’emballement une fois certains seuils et points de rupture franchis. Par ailleurs, les interactions nombreuses et complexes entre les effets pourraient produire un risque global largement supérieur à la somme de « petits risques ». Enfin, selon la commission, les analyses précédentes n’avaient pas suffisamment tenu compte de facteurs de vulnérabilité sociodémographiques comme la tendance au vieillissement des populations et à leurs concentrations dans des zones urbaines de plus en plus peuplées.

Les impacts du changement climatique seront inégalement répartis. Les groupes de populations les plus pauvres ou marginalisés, les personnes malades ou handicapées, les personnes âgées et les enfants, seront les plus affectés, dans toutes les régions du globe. Là où les facteurs socioéconomiques et culturels se combinent pour fragiliser le statut des femmes et des petites filles, leur situation se dégradera. Si les plus pauvres et les plus faibles seront les premiers à souffrir, l’interconnexion des systèmes climatiques et des écosystèmes, et l’interdépendance des économies et des sociétés, impliquent que personne ne sera épargné.

 

La protection de la santé comme opportunité de changement

La santé est mondialement et gravement menacée, la réponse doit être mondiale et radicale. La lutte contre le changement climatique offre l’opportunité d’opter pour des mesures « sans regret » au vu des cobénéfi ces possibles en termes d’allègement du fardeau des maladies non transmissibles, de renforcement des capacités de résilience des populations, et de réduction de la pauvreté et des inégalités sociales et sanitaires à l’échelle planétaire. Motivées par la nécessité de protéger la santé et le bien-être humains contre les impacts directs et indirects du changement climatique, les actions d’atténuation entraîneront de vastes cobénéfices sanitaires, sociaux, environnementaux et économiques. Parmi les nombreux exemples donnés dans le rapport, la réduction des émissions produites par la combustion des énergies fossiles diminuera la pollution de l’air et le poids des maladies respiratoires et cardiovasculaires. Dans les pays africains où l’approvisionnement en électricité est incertain, y compris dans les hôpitaux, le développement de l’énergie solaire offrira une alternative plus fiable et moins dangereuse que les générateurs électriques à moteurs diesel.

Les mesures d’adaptation sont également pourvoyeuses d’importants cobénéfices. À ce sujet, la commission estime que la gestion « durable » des ressources naturelles et des services écosystémiques – comme moyen de réduire la vulnérabilité et d’augmenter la résilience – est plus coût-efficace que bon nombre de solutions qui font appel à l’ingénierie « dure », même si le changement climatique est un défi qui stimule positivement l’innovation technologique. Restaurer les mangroves pour protéger les zones côtières contre les tempêtes, les inondations et l’érosion des sols fournira, par exemple, de nouvelles ressources alimentaires aux populations locales. Le verdissement des villes en vue d’améliorer la qualité de l’air et de diminuer la vulnérabilité à la chaleur favorisera l’activité physique, un mode de vie plus sain et le bien-être physique et mental des habitants.

 

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Commentaires

Les menaces du changement climatique sont grandes et nombreuses, et le temps devant nous pour réagir fort court. Le diagnostic et l’action à conduire font l’objet d’études et de propositions depuis une trentaine d’années sur la scène internationale, mais la coopération peine à se substituer à la confrontation d’intérêts économiques divergents, et les engagements contraignants sont si difficiles et lents à obtenir que le pessimisme se répand.

L’article de 53 pages publié en juin par The Lancet apporte opportunément avant la COP 21 une ouverture dans ce débat compliqué. Il est signé par un consortium multidisciplinaire et international de 43 experts (climatologues, géographes, sociologues, environnementalistes et écologues experts en biodiversité, mais aussi ingénieurs, experts en politique énergétique, en politiques publiques, et enfin professionnels de la santé), dont 25 Britanniques, 12 Chinois, quatre Suédois, un Allemand et un Kenyan. Cette commission est dirigée par l’Institut de santé globale de l’université de Londres.

Son but est de démontrer l’importance et l’urgence de mettre le bien-être humain et la « soutenabilité » socio-économique au cœur de la problématique du changement climatique.

Ce positionnement nouveau parlera davantage au grand public qui pourra alors faire légitimement pression sur les négociations intergouvernementales, actuellement freinées par la limitation de leur champ aux impacts environnementaux et aux enjeux technologiques, économiques et financiers, dans un cadre global de croissance économique fondée sur la poursuite (« business as usual ») de l’extraction et de la consommation de combustibles fossiles, qui néglige les coûts cachés des impacts environnementaux et sanitaires, et résiste à toute remise en question.

L’expérience et la force d’entraînement des acteurs de la santé publique seront aussi très utiles dans ce nouveau processus pour introduire des modèles de gestion qui ont fait leurs preuves dans ce domaine : des mesures différentes et complémentaires adaptées à différents niveaux, et se renforçant mutuellement, poursuivant à la fois la prévention (atténuation) et le traitement (adaptation). La démarche se veut réaliste et responsable mais l’esprit est résolument progressiste : dans ce monde en transition confronté à un avenir de pénuries de ressources énergétiques et matérielles non renouvelables, exposé de surcroît aux conséquences directes et indirectes encore mal connues du changement climatique, l’espérance de paix et de prospérité globale peut encore guider l’humanité. La solution principale est clairement défendue : zéro émission de gaz à effet de serre partout sur la planète, grâce au passage progressif à une économie globale décarbonée. Mais il faudra aussi agir pour que les transformations sociales qui l’accompagneront nécessairement se traduisent par la réduction des inégalités sociales, la fin de la pauvreté et le renversement de la pandémie de maladies non transmissibles.

La commission présente ici un travail de six ans. La partie la plus convaincante est la description détaillée des impacts sanitaires directs et indirects du changement climatique, et la démonstration des cobénéfices de santé associés aux mesures correctives à court terme (20 à 50 ans : adaptation) ou à plus long terme (atténuation). Les parties consacrées aux réponses politiques font un bon état des lieux du dispositif de régulation international en cours de construction et des différentes ressources financières mobilisables, mais pèchent par un excès de confiance dans le volontarisme politique et un manque d’esprit critique vis-à-vis de certaines solutions financières, comme celle promue par les États-Unis à Kyoto et mise en œuvre notamment par l’Europe parallèlement à la taxation – appelée « carbon pricing » – qui est un marché du droit à polluer dont les dérives graves ont été dénoncées.

Après avoir livré 10 recommandations, la commission termine son analyse par l’annonce d’un projet très ambitieux (dont le financement n’est pas précisé) - qui se veut complémentaire mais indépendant des instances de gouvernance internationales du climat, intitulé Countdown to 2030 : global health and climate action. Il s’agit de suivre pendant 15 ans les progrès dans trois domaines critiques : (i) la connaissance des impacts sanitaires du changement climatique en marche ; (ii) les actions de réduction des émissions de gaz à effet de serre qui améliorent la santé publique, aux niveaux international, national et régional ; et (iii) les actions de soutien à l’adaptation et la résilience des populations et des systèmes de santé au changement climatique. On ne peut que saluer et soutenir cette initiative « bottom-up » qui donnera plus de poids à la voix de la Santé Publique dans l’action mondiale pour le climat.

Jean Lesne

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La santé publique comme levier d’action

Sur la base d’exemples tels que la lutte contre le sida et les campagnes de vaccination contre la poliomyélite, l’histoire de l’humanité montre que la communauté de ceux qui œuvrent en faveur de la santé sait prendre un problème à bras-le-corps et coordonner ses efforts pour mener un combat. La santé et le bien-être sont des concepts porteurs et qui parlent à tout le monde, bien plus que les tonnes de CO2 lâchées dans l’atmosphère ou les discours économiques et écologiques peu tangibles et difficiles à comprendre. Chaque individu, famille ou communauté, place les préoccupations relatives à la santé et au bienêtre parmi ses priorités, quels que soient la culture et le niveau de développement.

L’appel à donner à la santé une place centrale et une voix forte pour accélérer les progrès en matière de lutte contre le changement climatique est un troisième message clé de ce rapport. Les professionnels de la santé doivent s’impliquer auprès de ceux qui leur font confiance pour communiquer sur les risques sanitaires du changement climatique et les cobénéfices des mesures d’atténuation et d’adaptation. Les décideurs politiques doivent s’inspirer des leçons tirées de précédentes coopérations internationales contre d’autres menaces sanitaires. La perspective de la santé publique a le potentiel d’unir tous les acteurs autour d’une cause commune à tous les êtres humains. À ce titre, il est permis d’être optimiste.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Watts N1, Adger WN, Agnolucci P, et al. Health and climate change: policy responses to protect public health. Lancet 2015; published on line June 23.

doi: 10.1016/S0140-6736(15)60854-6

 

1 Institute for Global Health, University College, Londres, Royaume-Uni.