ANALYSE D'ARTICLE

Conséquences de l’exposition professionnelle à l’amiante en Belgique : mortalité par cancer entre 2001 et 2009

L’examen des causes de décès dans la population masculine de deux des trois régions de Belgique montre que les « travailleurs de l’amiante » ne sont pas les seuls à souffrir des répercussions de leur exposition professionnelle passée. Une surmortalité par mésothéliome ou d’autres types de cancers possiblement induits par l’amiante est observée dans sept des dix secteurs industriels étudiés.

A study of the causes of death among men in two of the three regions in Belgium shows that workers in the asbestos industry are not the only ones to suffer from the effects of their past occupational exposure. Excess mortality from mesothelioma or other types of asbestos-related cancer was observed in seven of the ten industries studied.

La Belgique occupe le quatrième rang pour le taux de mortalité par mésothéliome, derrière la Grande-Bretagne, l’Australie et l’Italie. Dès le début du XXe siècle, le pays a importé de grandes quantités de minerai et est devenu un important fournisseur de produits contenant de l’amiante. Leur utilisation sur le marché intérieur a culminé dans les années 1960-1970 au cours desquelles la Belgique détenait la première place en termes de consommation d’amiante par habitant. Des valeurs limites d’exposition professionnelle ont été introduites en 1980, mais l’usage de l’amiante est resté courant dans plusieurs secteurs d’activité jusqu’à son interdiction en 1998, à l’exception de certains produits contenant du chrysotile qui ont été autorisés jusqu’en 2001.

Afin d’évaluer l’impact de l’exposition professionnelle passée à l’amiante, les informations relatives à l’emploi, recueillies lors du recensement national de 1991 auprès d’1 397 699 hommes en activité âgés de 18 à 65 ans, ont été croisées avec les données de mortalité de cause spécifique pour la période allant du 1er octobre 2001 au 31 décembre 2009. Ces données n’étant pas disponibles pour la Wallonie, l’étude ne couvre que la Flandre et la région de Bruxelles. Ces deux régions abritaient la majorité des sites industriels qui ont produit des matériaux contenant de l’amiante, et environ 80 % des décès par mésothéliome y sont recensés.

 

Classement de la population

En l’absence de données nationales d’exposition par secteur industriel, le mésothéliome, quasi exclusivement dû à l’amiante, a été utilisé comme traceur de l’exposition. Entre 2001 et 2009, ce cancer avait été à l’origine de 439 décès dans la population masculine qui était en activité au moment du recensement. Les secteurs industriels comptant au moins trois décès ont été considérés a priori comme à haut risque d’exposition passée à l’amiante. Les auteurs ont cherché confirmation de leurs présomptions dans la littérature nationale et internationale (articles publiés dans des revues à comité de lecture ou rapports gouvernementaux sans restriction de langue ni de période), ainsi qu’à partir du nom de l’entreprise quand c’était possible. Trois catégories ont finalement été établies. La première incluait les entreprises de fabrication de ciment ou d’autres produits contenant de l’amiante : 2 056 hommes y étaient employés en 1991. La deuxième catégorie regroupait dix secteurs dans lesquels les travailleurs (n = 385 046) avaient pu être exposés à l’amiante : les industries automobile, ferroviaire, de la construction (bâtiment et chantiers navals), chimique, textile, métallurgique (production de métaux de base et fabrication d’objets métalliques), ainsi que les secteurs de l’électricité (production et distribution) et de la fabrication de produits électrotechniques. Les 1 010 597 hommes qui occupaient un emploi dans un autre secteur ont constitué la population de référence pour le calcul des ratios de mortalité standardisés (SMR) selon l’âge (par classes d’âges de 5 ans), qui ont été établis après subdivision entre les travailleurs manuels et les autres catégories socioprofessionnelles.

 

Surmortalité significative

Un excès de risque de mortalité par cancer est observé dans la première catégorie des « travailleurs de l’amiante » ainsi que dans la deuxième catégorie des « travailleurs potentiellement exposés » sauf dans trois secteurs : les industries automobile, textile et électrotechnique. Par rapport à la population de référence, la mortalité par mésothéliome est 41 fois plus élevée chez les travailleurs manuels de la première catégorie (SMR = 4 071 [IC95 : 2327-6611]), et la mortalité par cancer du poumon est 1,75 fois supérieure (SMR = 175 [IC95 : 108-268]). Les travailleurs non manuels sont également concernés par la surmortalité due au mésothéliome (SMR = 4 489 [1458- 10 476]) et présentent un risque de décès par cancer du larynx pratiquement multiplié par 15 (SMR = 1 425 [173-5 148]), ce qui suggère que l’exposition à l’amiante n’était pas confi née aux tâches ouvrières mais s’étendait à tout le site.

Chez les travailleurs manuels potentiellement exposés, un excès de risque de mortalité par mésothéliome est observé dans les secteurs de l’industrie chimique (SMR = 293 [160-492]), de la production de métaux (SMR = 291 [145-520]) et de l’industrie ferroviaire (SMR = 352 [141- 725]). L’excès de risque concerne à la fois les travailleurs manuels (SMR = 863 [317-1 878]) et non manuels (SMR = 430 [173-885]) dans l’industrie de la production et de la distribution d’électricité, ainsi que dans le secteur du bâtiment (SMR respectifs égaux à 227 [168-302] et 260 [149-422]). Ce secteur est le seul dans lequel une surmortalité par asbestose est observée chez les travailleurs non manuels (SMR = 843 [102-3 043]). Dans la construction navale, les travailleurs manuels présentent un excès de risque de mortalité par mésothéliome (SMR = 475 [266-784]) et cancer du poumon (SMR = 141 [119-167]). La fréquence de ces deux causes de mortalité est également augmentée chez les travailleurs manuels du secteur de la fabrication de produits métalliques, mais seul l’excès de risque de cancer du poumon est significatif (SMR = 138 [119-158]).

La mortalité par cancer buccal est multipliée par neuf chez les travailleurs manuels de l’amiante (SMR = 938 [305-2 189]). Un excès de mortalité est également mis en évidence chez les travailleurs manuels dans les secteurs de la construction ferroviaire (SMR = 390 [213-655]) et du bâtiment (SMR = 140 [101-189]), ainsi que dans la construction navale où il n’est pas significatif (SMR = 211 [96-400]). Ces résultats suggèrent une association entre l’exposition à l’amiante et le cancer buccal, ce qui mérite d’être examiné en prenant en compte les consommations d’alcool et de tabac ainsi que l’importance de l’exposition.

Si l’étude a permis, par son ampleur, d’inclure des secteurs d’activité dans lesquels les effectifs sont relativement réduits, elle présente en revanche la faiblesse de s’appuyer sur les données limitées d’un recensement ponctuel. Le recueil de l’histoire professionnelle aurait été nécessaire pour caractériser l’exposition en termes d’intensité et de durée. Les sujets avaient pu occuper un poste les exposant à l’amiante par le passé et l’avoir quitté à la date du recensement, ou avoir cessé leur activité professionnelle pour des raisons de santé. Le nombre de cas de décès par mésothéliome (n = 351) dans la population des hommes de moins de 65 ans qui étaient sans activité en 1991 (n = 510 681) suggère que le poids de l’exposition à l’amiante est sous-estimé. De plus, l’activité professionnelle n’est pas l’unique source d’exposition à l’amiante. Enfi n, au titre des agents cancérogènes, outre le tabac et l’alcool, il serait nécessaire de prendre en compte les co-expositions en milieu de travail, variables selon le secteur (nickel, cadmium, hydrocarbures aromatiques polycycliques, etc.).

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Van den Borre L, Deboosere P. Enduring health effects of asbestos use in Belgian industries: a recordlinked cohort study of cause-specific mortality (2001-2009). BMJ Open 2015; 5: e007384.

Interface Demography, Department of Sociology, Vrije Universiteit Brussel, Bruxelles, Belgique.

doi: 10.1136/bmjopen-2014-007384