ANALYSE D'ARTICLE

Effets de l’exposition à la fumée de tabac et à la pollution routière sur la corpulence des enfants

Cette étude renforce les arguments en faveur d’un rôle de l’exposition à la fumée de tabac et à la pollution liée au trafic dans l’obésité infantile. Elle met en évidence un effet synergique de la coexposition qui mérite d’être examiné plus avant.

This study strengthens the evidence that exposure to tobacco smoke and traffic-related air pollution affects childhood obesity. It points to a synergistic effect of combined exposure that calls for further examination.

La recherche de facteurs pouvant expliquer l’augmentation de l’obésité infantile (au-delà d’une sédentarité et d’apports caloriques excessifs) a conduit à identifier l’exposition prénatale au tabac. Quelques études montrent également un effet de l’exposition dans l’enfance à la fumée de tabac ambiante (FTA, correspondant au « tabagisme passif »), indépendant de l’effet lié à l’exposition in utero. Par ailleurs, les preuves d’un rôle de la pollution atmosphérique liée au trafic émergent. Sur ces bases, la possibilité d’une interaction entre ces deux sources de produits de combustion – fumée de tabac et pollution routière – a été examinée dans l’étude prospective californienne Children’s Health Study(CHS).

 

 

Données analysées

L’analyse a porté sur un échantillon de 3 318 participants provenant de deux vagues de recrutement (en 1993 et 1996) dans 12 zones de Californie du Sud. Ces enfants, inclus dans la CHS alors qu’ils avaient en moyenne 10 ans, ont ensuite été suivis pendant huit ans. À l’entrée, l’indice de masse corporelle (IMC) moyen était de 18,3 ± 3,4 kg/m2et la prévalence de l’obésité était de 12 % (définie par un IMC dans les 5 derniers pourcents des valeurs observées au plan national dans une population de mêmes âge et sexe). À l’âge de 18 ans, l’IMC moyen était de 23,6 ± 5,1 kg/m2 (soit une augmentation de 5,3 points) et 13,3 % de la population était obèse. Les deux cri-tères de jugement considérés étaient, d’une part l’augmentation de l’IMC au cours des 8 années de suivi et, d’autre part, la valeur de l’IMC atteint à l’âge adulte.

Les informations relatives au tabagisme maternel pendant la grossesse et à l’exposition à la FTA pendant l’enfance (présence à la maison d’au moins une personne fumant quotidiennement à l’intérieur) provenaient du questionnaire d’inclusion rempli par les parents. La prévalence de l’exposition in utero était deux fois plus faible (16,7 %) que celle de l’exposition pendant l’enfance (34,6 %).La pollution atmosphérique locale due au trafic routier de proximité a été estimée sur la base de l’adresse à l’entrée dans la cohorte, qui a pu être précisément géocodée pour les participants de 11 des 12 zones (ce qui a exclu 300 enfants de l’analyse des effets de l’exposition à la pollution). Les oxydes d’azote (NOx) ont été choisis comme gaz traceurs de cette pollution, et leur concentration moyenne annuelle a été donnée par un modèle de dispersion intégrant la distance à la route la plus proche, le compte des véhicules, leurs taux d’émission, la direction et la vitesse du vent, ainsi que la hauteur de la couche du mélange de polluants. La contribution de cette pollution locale aux niveaux ambiants de NOx (incluant à la fois les polluants primaires et secondaires, provenant de réactions photochimiques régionales ou d’un transport à longue distance) a été estimée en moyenne à 6,9 ± 7,5 parties par milliard (ppb). Les auteurs ont examiné les effets d’une augmentation de 16,8 ppb de son niveau (correspondant à l’écart entre la valeur au 10epercentile [1 ppb] et la valeur au 90epercentile [17,8 ppb]) et effectué une analyse catégorielle (sur la base des quartiles de concentration).

Tous les modèles statistiques étaient ajustés sur le sexe, l’âge, l’origine ethnique, la zone et l’année de recrutement. Pour l’analyse des effets conjoints des deux types d’expositions, les autres covariables incluses ont été la couverture santé, le taux de pauvreté du quartier ainsi que la présence d’un établissement de restauration rapide dans un rayon de 500 m autour du domicile. De nombreux autres facteurs dont l’effet potentiellement confondant a été testé n’ont pas été retenus : facteurs propres à l’enfant (asthme, inclusion dans une équipe sportive, nationalité de naissance), socioéconomiques (dont niveau d’études des parents, densité de population et proportion de chômeurs dans le quartier) et caractérisant l’environnement résidentiel (dont le potentiel piétonnier ou « marchabilité » du quartier, l’offre de programmes sportifs et récréatifs et l’indice de végétation).

 

Effets de chaque type d’exposition

Les trois types d’exposition – au tabac in utero, à la FTA dans l’enfance, et à la pollution locale due au trafic – apparaissent influencer à la fois le gain d’IMC entre les âges de 10 et 18 ans et l’IMC final atteint. Par rapport aux enfants dont la mère n’a pas fumé pendant la grossesse, ceux qui ont été exposés in utero atteignent un IMC plus élevé d’1,14 kg/m2en moyenne (IC95= 0,66-1,62), après une différence de croissance moyenne de 0,72 kg/m2 (IC95= 0,14-1,31). Les effets de l’exposition à la FTA sont d’ampleurs équivalentes (gain d’IMC sur huit ans supérieur de 0,81 point et IMC à 18 ans supérieur d’1,23 point en moyenne), avec une tendance dose-réponse : l’IMC croît ainsi de 0,48 kg/m2 (IC95= 0,16-1,12) quand le foyer ne comporte qu’un seul fumeur contre 1,08 kg/m2 (IC95= 0,19-1,97) à partir de deux fumeurs à la maison. Les écarts d’IMC finaux respectifs sont de + 0,95 (0,42-1,47) et + 1,77 (1,04-2,51) kg/m2. L’exposition prénatale et pendant l’enfance étant corrélées, des analyses de sensibilité avec ajustement mutuel ont été effectuées : les associations sont atténuées mais demeurent significatives hormis celle entre l’exposition in utero et le gain d’IMC. L’effet d’une augmentation de 16,8 ppb du niveau des NOx est un gain supplémentaire de 1,13 kg/m2 (0,61-1,65) entre les âges de 10 et 18 ans, pour une différence finale de 1,27 kg/m2 (0,75-1,80). Dans l’analyse catégorielle, l’effet augmente avec l’augmentation de l’exposition. Ainsi, par rapport au premier quartile, de référence (moins de 1,85 ppb), le gain d’IMC sur huit ans est supérieur d’1,1 kg/m2 (0,46-1,74) dans le deuxième quartile (NOx compris entre 1,85 et 3,86 ppb), d’1,26 kg/m2 (0,6-1,91) dans le troisième (plus de 3,86 jusqu’à 9,08 ppb) et de 2,31 kg/m2 (1,66-2,96) dans le dernier (exposition dépassant 9,08 ppb). L’IMC final dans le deuxième quartile dépasse d’1,63 kg/m2 (1,08-2,18) celui du premier, les écarts successifs étant d’1,68 (1,08-2,28) et de 2,29 (1,57-3,01) kg/m2.

 

Effets combinés

Par rapport aux enfants sans antécédent d’exposition à la FTA et avec une exposition aux NOx inférieure à la médiane (3,86 ppb), constituant le groupe de référence, les enfants non exposés à la FTA dont l’exposition aux NOx est supérieure à la médiane présentent un IMC final plus élevé de 0,80 kg/m2en moyenne (0,27-1,32). L’effet est d’ampleur similaire (+ 0,85 [0,43-1,28] kg/m2) dans la situation inverse d’une exposition à la FTA associée à une faible exposition à la pollution. Il dépasse la somme des deux en cas de coexposition à la FTA et à un niveau élevé de NOx, pour atteindre un écart de + 2,15 kg/m2 (1,52-2,77), ce qui évoque un effet synergique (interaction significative ; p= 0,007). L’effet de la coexposition est renforcé (écart moyen de 3 kg/m2) dans la sous-population des 1 514 enfants habitant depuis plus de quatre ans à l’adresse indiquée lors de l’entrée dans la cohorte, exposés de manière prolongée à un même niveau de pollution de proximité.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

McConnell R, Shen E, Gilliland F, et al. A longitudinal cohort study of body mass index and childhood exposure to secondhand tobacco smoke and air pollution: The Southern California Children’s Health Study. Environ Health Perspect 2015; 123: 360-6.

Department of Preventive Medicine, Keck School of Medicine, University of Southern California, Los Angeles, États-Unis.

doi: 10.1289/ehp.13070311