ANALYSE D'ARTICLE

Exposition alimentaire au méthylmercure : les populations les plus concernées

Les données de 164 études de biosurveillance provenant de 43 pays ont été passées en revue dans le but d’identifier les groupes de populations exposés, par leur alimentation, à des niveaux d’apport élevés en méthylmercure, particulièrement toxique pour le cerveau fœtal.

This review of 164 biomonitoring studies from 43 countries identifies the population groups exposed to high dietary levels of methylmercury, which is particularly toxic for the fetal brain.

Classé parmi les dix substances les plus préoccupantes pour la santé publique par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), le mercure vient de faire l’objet d’un traité international (convention de Minamata) qui vise à en contrôler les émissions anthropiques, face au constat d’une contamination ubiquitaire de l’environnement. Sa transformation en méthylmercure organique (MeHg) a lieu dans l’environnement aquatique où il devient bioaccumulable. La consommation d’espèces aquatiques marines et d’eau douce (poissons, crustacés, fruits de mer, mammifères marins) est ainsi la principale source d’exposition humaine au MeHg. 

Les données de neurotoxicité développementale du MeHg ont conduit le Joint (FAO/OMS) Expert Commitee on Food Additives (JEFCA) à établir une dose hebdomadaire tolérable provisoire (DHTP). Par ailleurs, les agences sanitaires délivrent des conseils en termes de fréquence de consommation de poisson et de choix d’espèces, qui tiennent compte des bénéfices nutritionnels (apport en oméga 3 notamment). L’accès à ces informations est toutefois l’apanage de quelques pays riches, et elles n’atteignent pas la grande majorité des 400 millions de femmes en âge de procréer qui dépendent des ressources aquatiques pour au moins 20 % de leur apport protéique. Cette revue de la littérature sur l’imprégnation par le mercure de différents groupes de populations a été effectuée dans l’objectif d’identifier les cibles prioritaires pour les actions de surveillance et de communication.

 

Sélection des études

Les auteurs ont recherché dans les bases de données Medline et Embase les articles rapportant des niveaux de concentration de mercure dans le sang ou les cheveux de femmes (population générale, femmes enceintes ou ayant récemment accouché) et de nourrissons (jusqu’à l’âge de 12 mois). Les travaux portant sur moins de 40 sujets ont été écartés. La qualité méthodologique des études a été estimée sur trois critères : sélection des participants, mesure de l’exposition et analyse statistique.

Au total, 164 études fournissant des données intéressant 239 groupes de populations distincts ont été retenus. Il s’agissait généralement d’enquêtes transversales (73 %) et la majorité des articles (79 %) avait été publiée après 2001. Le biomarqueur d’exposition au mercure le plus fréquemment utilisé était la concentration dans les cheveux (56 % des études) et les résultats exprimés sous forme de niveaux de concentration plasmatique ont été convertis en utilisant un rapport cheveux/ sang de 250/1.

Les groupes de populations étudiés ont été répartis en six catégories sur la base des facteurs prédictifs de la charge en mercure de l’organisme : types d’aliments consommés, fréquence de consommation et lieu de vie. Les données disponibles suggèrent que la chair des mammifères marins et des poissons prédateurs au sommet de la chaîne alimentaire présente la teneur en mercure la plus élevée, avec celle des poissons provenant de zones industriellement contaminées (plusieurs parties par million [ppm]). Viennent ensuite les grandes espèces marines (jusqu’à 1 ppm), puis les espèces les plus courantes sur le marché ainsi que les poissons d’eau douce (généralement moins de 0,5 ppm) et la plupart des coquillages (souvent moins de 0,2 ppm). Par ailleurs, la consommation de produits de la mer est généralement plus importante près des côtes qu’à l’intérieur des terres et les espèces issues de la pêche commerciale sont les plus consommées en zone urbaine.

 

Niveaux de contamination

Les femmes et les nourrissons les plus exposés au mercure appartiennent aux populations vivant à proximité de zones d’exploitation artisanale de mines d’or. Les données poolées de 43 groupes (provenant de Bolivie, Brésil, Colombie, Guyane française, Surinam et Indonésie) indiquent un niveau de concentration médian de mercure dans les cheveux de 5,4 μg/g (limite supérieure : 23,1 μg/g). Les valeurs sont beaucoup plus élevées (médiane : 8,2 μg/g et limite supérieure : 27,5 μg/g) dans le sous-groupe des riverains des zones d’orpaillage qui consomment du poisson de rivière que dans les zones urbaines (respectivement 1,4 et 11,8 μg/g).

Les populations des régions arctiques (données de 21 groupes au Canada, Groënland, Alaska, îles Féroé, Norvège et Russie) présentent également des niveaux de contamination importants (concentration médiane de mercure dans les cheveux : 2,1 μg/g, limite supérieure : 9,8 μg/g), avec des valeurs plus élevées chez les consommateurs de viande de mammifères marins et produits de la pêche (respectivement 3,6 et 24,3 μg/g) que dans le sous-groupe des sujets n’ayant pas un mode d’alimentation traditionnel (0,4 et 1,4 μg/g).

Les populations côtières, pour lesquelles l’information est la plus abondante (102 groupes étudiés) présentent des niveaux de mercure dans les cheveux variables : les valeurs médianes et maximales sont respectivement égales à 1,3 et 6 μg/g pour la côte Pacifique, à 0,4 et 2,9 μg/g pour la côte Atlantique et à 0,7 et 8,5 μg/g pour les pays méditerranéens.

L’estimation centrale est de 0,8 μg/g (limite supérieure : 4,6 μg/g) pour 25 groupes de populations consommatrices de poissons provenant de cours d’eau pollués par des rejets industriels (en Amérique du Sud, Chine, Corée, Italie, Maroc, Kazakhstan, Roumanie, Slovaquie, Suède et Norvège) et de 0,4 μg/g (limite supérieure : 2,8 μg/g) pour 14 groupes de populations consommant régulièrement des poissons pêchés dans des cours d’eau non contaminés. Les valeurs sont identiques (médiane : 0,4 μg/g et limite supérieure : 2,9 μg/g) pour les populations résidant à l’intérieur des terres (données de 34 groupes de différents pays européens et américains ainsi que Maroc, Corée et Arabie saoudite).

Deux catégories particulièrement préoccupantes émergent donc de cette revue de la littérature : les populations des régions tropicales voisines de sites d’orpaillage et les populations arctiques ayant un mode d’alimentation traditionnel. Les niveaux de concentration de mercure dans les cheveux indiquent que la DHTP est largement dépassée dans ces deux groupes. Ils sont toutefois numériquement faibles par rapport aux vastes populations des littoraux Pacifique (notamment du sud-est asiatique) et méditerranéen dont les biomarqueurs suggèrent qu’un nombre important de femmes et d’enfants est exposé à des niveaux de MeHg proches ou excédant la limite acceptable.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Sheehan MC1, Burke TA, Navas-Acien A, Breysse PN, McGready J, Fox MA. Global methylmercury exposure from seafood consumption and risk of developmental neurotoxicity: a systematic review. Bulletin of the World Health Organization 2014; 92: 254-69.

doi: 10.2471/BLT.12.116152

 

1 Risk Sciences and Public Policy Institute, Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health, Baltimore, États-Unis.