ANALYSE D'ARTICLE

Exposition aux composés perfluorés durant l’enfance et niveau des anticorps vaccinaux à l’âge de 13 ans

Après avoir prolongé le suivi de leur cohorte de naissance féroïenne jusqu’à l’adolescence, les investigateurs publient de nouveaux résultats renforçant la notion d’une influence défavorable de l’exposition aux composés perfluorés sur la production d’anticorps en réponse à la vaccination.

Dotés de propriétés hydrofuges, anti-adhésives et anti-taches, les composés perfluorés (ou substances perfluoroalkylées [PFAS]) sont notamment présents dans des emballages et autres matériaux au contact d’aliments, ainsi que dans des vêtements et tissus d’ameublement. Après une large utilisation industrielle depuis plus de 60 ans, ces composés persistants sont devenus des contaminants ubiquitaires de l’environnement. La recherche sur leurs éventuels effets sanitaires s’est récemment intensifiée, fournissant en particulier quelques indications de leur potentiel immunotoxique.

 

Les auteurs de cet article ont ainsi précédemment rapporté une relation inverse entre l’exposition aux PFAS en début de vie et la réponse immunitaire à la vaccination antidiphtérique et antitétanique (DT) dans une cohorte de naissance des îles Féroé (656 enfants nés entre 1997 et 2000 à l’hôpital national de Tórshavn) [1]. Les associations les plus fortes étaient observées, d’une part, entre l’exposition prénatale (estimée par la mesure des PFAS dans le sérum maternel à la 32e semaine de grossesse) et le niveau des anticorps vaccinaux à l’âge de 5 ans avant l’injection de rappel, et d’autre part, entre l’exposition post-natale (estimée par la concentration sérique des PFAS à 5 ans) et le niveau des anticorps à l’âge de 7 ans. Les résultats étaient robustes à un ajustement sur l’exposition relativement élevée de cette population aux polychlorobiphényles (PCB).

Extension du suivi

Les participants ont été convoqués à une troisième visite de suivi à l’âge de 13 ans, incluant un examen médical, un questionnaire de santé et un prélèvement sanguin pour une nouvelle détermination du titre des anticorps vaccinaux et de la concentration sérique des cinq mêmes composés mesurés à 5 et 7 ans (sulfonates de perfluorooctane [PFOS] et de perfluorohexane [PFHxS], et acides perfluorooctanoïque [PFOA], perfluorononanoïque [PFNA] et perfluorodécanoïque [PFDA]). Le taux de participation a été de 78,7 % (516 enfants, âge médian : 13,2 ans ; intervalle interquartile : 12,9-13,6 ans). Comme précédemment, le PFOS était de loin le composé le plus abondant, mais sa concentration médiane (6,7 ng/mL) avait diminué de 56 % en l’espace de six ans (15,3 ng/mL dans la cohorte âgée de 7 ans). Une évolution équivalente était observée pour les deux composés suivants par ordre d’importance (le PFOA et le PFNA).

Une diminution des taux d’anticorps vaccinaux était également notée à l’échelle de la population totale, plus franche pour les anticorps antidiphtériques (médiane = 0,1 UI/mL à 13 ans versus 0,8 UI/mL à 7 ans) qu’antitétaniques (0,6 versus 1,8 UI/mL). Respectivement 39,4 % et 19,6 % des adolescents présentaient un titre d’anticorps antidiphtériques et antitétaniques inférieur à 0,1 UI/mL (valeur considérée cliniquement protectrice). Toutefois, pour une fraction importante de la population (n = 202), le niveau des anticorps vaccinaux avait augmenté entre les deux visites de suivi, cette évolution suggérant que les enfants avaient reçu une dose vaccinale supplémentaire après le seul et unique rappel figurant au calendrier à l’âge de 5 ans. Les données de l’interrogatoire fournissaient une explication plausible pour 68 enfants seulement, qui étaient passés aux urgences pour une blessure et avaient très probablement reçu un rappel DT de routine, mentionné ou pas sur le bulletin de sortie.

Relations entre les concentrations de PFAS et d’anticorps

Les concentrations sériques de PFAS à l’âge de 7 ans comme de 13 ans apparaissent inversement corrélées au niveau des anticorps antidiphtériques à 13 ans après ajustement sur le sexe, l’âge lors de la mesure, et le type du vaccin de rappel effectué à 5 ans (bivalent [DT] jusqu’en 2002, puis tri- et tétravalent avec l’introduction successive d’obligations vaccinales contre la coqueluche et la poliomyélite). L’association est statistiquement significative avec la concentration de PFDA à 7 ans : diminution de 21,5 % du niveau des anticorps (IC95 : -34,4 à -6,7 %) pour un doublement de la concentration. En excluant les 68 enfants qui avaient vraisemblablement bénéficié d’un second rappel, l’effet est plus prononcé (doublement des concentrations sériques de PFDA associé à une diminution de 24,2 % [-37,5 à -8 %] du niveau des anticorps antidiphtériques) et la relation avec la concentration de PFOA à 13 ans devient significative (diminution de 25,3 % [-42,5 à -3 %] pour un doublement des concentrations sériques). Le risque que le titre des anticorps antidiphtériques soit inférieur au seuil considéré protecteur augmente avec l’exposition à ces deux composés. L’odds ratio (OR) pour un doublement de la concentration de PFDA à 7 ans est égal à 1,39 (1,05-1,85) dans la population totale et à 1,54 (1,13-2,12) après exclusion des 68 participants vus aux urgences. Les OR correspondants pour le PFOA mesuré à 13 ans sont respectivement égaux à 1,47 (1,03-2,14) et à 1,71 (1,15-2,55).

Une influence de l’exposition aux PFAS sur la réponse immunitaire à l’anatoxine tétanique ne se dégage pas clairement de cette étude, qui est la première à suivre de manière prospective la trajectoire des concentrations d’anticorps vaccinaux en relation avec l’exposition aux PFAS jusqu’à l’adolescence. Des mesures ponctuelles effectuées à six ans d’intervalle ne permettent pas, cependant, d’en avoir une représentation complète et précise.

 


Publication analysée :

* Grandjean P1, Heilmann C, Weihe P, Nielsen F, Mogensen UB, Budtz-Jørgensen E. Serum vaccine antibody concentrations in adolescents exposed to perfluorinated compounds. Environ Health Perspect 2017 ; 125(7) : 077018. doi : 10.1289/EHP275

1 Department of Environmental Medicine, University of Southern Denmark, Odense, Danemark.

1. Environ Risque Sante 2012 ; 11 : 342-3. doi : 10.1684/ers.2012.0569.