ANALYSE D'ARTICLE

Exposition in utero à l’arsenic et infections au cours de la première année de vie

Cette étude suggère un rôle de l’exposition prénatale à l’arsenic sur le risque d’infections banales du nourrisson, essentiellement respiratoires, durant sa première année de vie. Il s’agit d’un des premiers travaux sur le sujet dans une population occidentale relativement peu exposée.

This study suggests that prenatal arsenic exposure affects the risk of common infant infections, mainly respiratory, in the first year of life. It is one of the first works on the subject in a Western population with relatively low exposure levels.

Deux récentes études prospectives au Bangladesh indiquent que l’exposition maternelle à l’arsenic pendant la grossesse augmente les risques d’infection respiratoire et de diarrhée du nourrisson. Ces résultats sont compatibles avec les études expérimentales qui montrent des effets de l’arsenic sur la fonction immunitaire, la clairance virale et la réponse inflammatoire, et cohérents avec les preuves, encore limitées, chez l’homme, d’un effet de l’exposition prénatale sur le développement de l’immunité cellulaire (diminution de la taille du thymus et altération de la maturation des lymphocytes T).

La charge de morbi-mortalité imputable aux infections respiratoires et aux diarrhées du nourrisson est importante même dans les pays économiquement développés. Par ailleurs, ces pays sont confrontés à une augmentation de la prévalence de l’asthme et des maladies allergiques, or les symptômes à type de sifflement expiratoire (wheezing), parfois observés pour une banale infection à rhinovirus, sont considérés comme un facteur prédictif du risque ultérieur d’asthme. Il est donc important de chercher à savoir si l’association entre l’exposition prénatale à l’arsenic et la sensibilité aux infections durant la première année de vie, mise en évidence au Bangladesh, s’observe également dans des populations moins exposées.

 

Étude prospective dans le New Hampshire

L’étude a été conduite dans la population de la New Hampshire Birth Cohort, une cohorte mères-enfants mise en place en 2009, qui recrute des femmes enceintes de 18 à 45 ans, entre 24 et 28 semaines de grossesse (monofœtale uniquement), vivant dans des maisons alimentées en eau par un puits privé non réglementé (ce puits doit être leur source d’eau depuis leurs dernières règles et les femmes ne doivent pas avoir de projet de déménagement d’ici leur accouchement). Les participantes remplissent un questionnaire sociodémographique, médical et relatif à leurs habitudes de vie et fournissent un échantillon d’eau du robinet ainsi qu’un échantillon d’urine au moment de leur entrée dans l’étude. Les données de 412 participantes ont été utilisées pour cette analyse : la concentration moyenne d’arsenic dans l’eau était de 4,6 μg/L (fourchette allant de 0 à 147,7 μg/L, médiane égale à 0,5) et la concentration urinaire moyenne (arsenic total), prise comme biomarqueur de l’exposition in utero, était égale à 5,7 μg/L (de 0,5 à 58,3 μg/L ; médiane 3,8 μg/L).

Les parents ont été contactés à trois reprises par téléphone pour une enquête de santé sur leur enfant, lorsque celui-ci avait 4, 8 et 12 mois. Les questions portaient sur les quatre mois précédents et visaient à recueillir des informations sur douze types d’infections communes (incluant rhume, otite moyenne, bronchiolite, coqueluche, grippe, pneumonie, bronchite) et cinq types de symptômes (difficultés respiratoires, toux, wheezing, diarrhée, fièvre). Lorsque les parents déclaraient que leur enfant avait présenté une infection/un symptôme, deux questions leur étaient posées : « est-ce que ça a duré au moins deux jours ? » et « a-t-il fallu voir un médecin ? ». La réponse positive à cette dernière question conduisait à demander aux parents si l’enfant avait reçu un médicament prescrit par le médecin. Pratiquement tous les parents (94 %) avaient rapporté au moins une infection qui avait duré plus de deux jours dans 90 % des cas, nécessité une consultation médicale dans 51 % des cas et une prescription dans 41 % des cas. Les infections respiratoires hautes étaient le type d’infection le plus fréquent (89 % des nourrissons en avaient contracté au moins une durant leur première année de vie).

 

Effet de l’exposition in utero

Les auteurs ont estimé l’effet d’un doublement du niveau de la concentration urinaire maternelle d’arsenic sur le risque d’infection du nourrisson, après ajustement sur l’âge de la mère à la naissance de son enfant, la parité, le tabagisme maternel, le sexe, l’âge gestationnel et le poids de naissance de l’enfant, ainsi que ses modes d’alimentation et de garde. La majorité des nourrissons étaient gardés à la maison, mais le pourcentage diminuait avec l’âge (de 70 % à 4 mois à 60 % à 12 mois). Par ailleurs, 43 % des enfants étaient exclusivement nourris au sein à l’âge de 4 mois et l’allaitement maternel s’était poursuivi jusqu’à 12 mois pour 36 % d’entre eux.

Les analyses montrent essentiellement un effet de l’exposition prénatale à l’arsenic au cours des quatre premiers mois de vie. Un doublement de la concentration urinaire maternelle est alors associé à un excès de risque d’infection (de tout type), ayant duré au moins deux jours (risque relatif [RR] = 1,1 [IC95 : 1-1,2]), nécessité une consultation médicale (RR = 1,1 [1-1,2]) et une prescription (RR = 1,3 [1,1-1,5]). Des associations sont plus spécifiquement observées avec les infections respiratoires hautes (ayant duré au moins deux jours : RR = 1,1 [1-1,2]) ; ayant nécessité une consultation médicale : RR = 1,1 [1-1,3]) ; et une prescription : RR = 1,2 [1-1,5]). Les analyses mettent également en évidence un effet de l’exposition in utero sur le risque d’infection respiratoire basse ayant nécessité une prescription médicamenteuse (RR = 1,6 [1,1-2,3]), ainsi qu’une augmentation du risque de plusieurs symptômes : la diarrhée ayant amené à consulter un médecin (RR = 1,9 [1,1-4,8]), le wheezing ayant nécessité une prescription (RR = 2,1 [1-4,3]), et tout symptôme respiratoire ayant débouché sur une consultation (RR = 1,2 [1-1,4]) et une prescription (RR = 1,5 [1,1-2]). Les données des questionnaires administrés quand le nourrisson avait 8 mois (qui rapportaient son histoire médicale de l’âge de 5 mois à l’âge de 8 mois) montrent des associations avec le risque d’infection (de tout type) ayant conduit à consulter (RR = 1,1 [1,1-2]) et le wheezing ayant duré au moins deux jours (RR = 1,6 [1-2,4]). Enfin, pour la période de vie allant de 9 à 12 mois, un effet de l’exposition in utero à l’arsenic est observé sur les risques de symptômes respiratoires ayant nécessité une prescription (RR = 1,3 [1-1,6]) et de toux durant au moins deux jours (RR = 1,2 [1-1,5]).

Ces résultats doivent être considérés en tenant compte des faiblesses de l’étude, en particulier du manque d’informations sur l’exposition postnatale (via l’eau et l’alimentation). L’auto-déclaration parentale est une source potentielle de biais, limitée par la focalisation sur les épisodes infectieux d’une certaine gravité (par leur durée et/ou l’obligation de consulter un médecin et de donner un traitement prescrit). Par ailleurs, la fiabilité des déclarations concernant le recours à un médecin a été jugée bonne pour un sous-échantillon de 153 enfants par comparaison avec les dossiers médicaux.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Farzan S1, Li Z, Korrick S, et al.Infant infections and respiratory symptoms in relation to in utero arsenic exposure in a U.S. cohort. Environ Health Perspect 2016; 124 : 840-7.

 Children's environmental health and disease prevention research center at Dartmouth, Hanovre, États-Unis.

doi: 10.1289/ehp.14099282