ANALYSE D'ARTICLE

Exposition maternelle à la pollution atmosphérique et profil de méthylation de l’ADN placentaire

Explorant les effets épigénétiques de la pollution atmosphérique sur l’ADN de cellules du placenta, cette étude met en évidence la sensibilité particulière d’un gène auparavant identifié pour son implication dans la physiopathologie de la pré-éclampsie et de l’hypotrophie fœtale. Au-delà de ce résultat principal, cette investigation dégage des pistes de recherche pour de futurs travaux.

Un nombre croissant d’études épidémiologiques soutient la nocivité de l’exposition in utero à la pollution de l’air en termes d’issues défavorables de grossesse (incluant naissance prématurée et faible poids de naissance à terme), mais aussi d’impact sur le développement ultérieur de l’enfant. Pour éclairer les mécanismes physiopathologiques sous-jacents, cette équipe de recherche a travaillé aux interfaces entre la mère et son fœtus – le placenta – et entre l’environnement et les gènes – l’épigénétique.

Jouant un rôle majeur dans les échanges materno-fœtaux et la programmation fœtale, le placenta est un organe transitoire dans lequel la trace des effets d’expositions ayant eu lieu durant la grossesse peut être recherchée. Les échantillons utilisés pour cette étude (prélevés au centre et sur la face fœtale du placenta) provenaient de 668 accouchements de participantes à la cohorte mère-enfant EDEN (Étude des déterminants pré- et postnatals du développement et de la santé de l’enfant) constituée par le recrutement hospitalier (centres hospitaliers universitaires [CHU] de Nancy et Poitiers) de plus de 2 000 femmes enceintes entre 2003 et 2006. Un modèle de dispersion atmosphérique à haute résolution spatiale et temporelle avait été utilisé pour estimer l’exposition résidentielle au dioxyde d’azote (NO2) et aux PM10. Les auteurs ont également considéré la température journalière moyenne ainsi que l’humidité relative, l’épidémiologie indiquant une influence des facteurs climatiques sur les issues de grossesse. L’évaluation de l’exposition était moins précise que pour les polluants atmosphériques, reposant sur les mesures de la station du réseau Météo France la plus proche du domicile. Des moyennes ont été calculées pour plusieurs fenêtres d’exposition : jour, veille ou avant-veille de l’accouchement, semaine et mois précédents, chaque trimestre de la grossesse et sa durée totale.

Plan de l’étude

L’hypothèse était celle d’une altération de la fonction placentaire via des modifications de la méthylation de dinucléotides CpG (cytosine-phosphate-guanine) induites par l’exposition. Les auteurs ont préalablement défini les sites d’intérêt comme appartenant à des gènes ayant un niveau d’expression spécifique dans le placenta, suggérant leur importance biologique pour la grossesse. Cette analyse focalisée sur des gènes soit particulièrement actifs (fortement exprimés), soit particulièrement silencieux (réprimés), a été complétée par une analyse du profil de méthylation global de l’ADN placentaire selon une approche « agnostique » (epigenome-wide association study – EWAS), dans l’objectif de confirmer les résultats de l’analyse ciblée et d’identifier éventuellement d’autres sites CpG dont le niveau de méthylation était sensible à l’exposition.

L’ampleur de cette étude la distingue de deux précédents travaux dans du tissu placentaire et d’un troisième dans du sang du cordon, les quelques autres investigations des variations du profil de méthylation (global ou gène-spécifique) de l’ADN en relation avec la pollution atmosphérique ayant utilisé des cellules du sang circulant d’adultes.

Les covariables prises en compte étaient le sexe de l’enfant, la saison de conception, la durée de la grossesse, le CHU, la parité, l’âge de la mère à la fin de ses études et à la naissance de son enfant, son indice de masse corporelle de pré-grossesse, son tabagisme durant la grossesse, ainsi que des facteurs techniques incluant la composition cellulaire des échantillons.

Identification d’un gène retenant l’attention

Partant de 18 972 sites CpG localisés dans des gènes singulièrement actifs ou silencieux dans le placenta, l’approche ciblée en identifie neuf dont le degré de méthylation varie avec l’exposition au NO2 ou aux PM10 pour une fenêtre quelconque (associations statistiquement significatives après correction pour comparaisons multiples). Le niveau de méthylation de deux de ces sites (cg17580614 et cg07563400) localisés dans le corps du gène ADORA2B, qui se démarque par son activité dans le placenta, diminue avec l’augmentation de l’exposition au NO2 pour trois fenêtres : le premier trimestre de la grossesse, le deuxième, et sa durée totale. L’analyse EWAS examinant la sensibilité à l’exposition de 425 878 sites confirme les associations entre le niveau de méthylation de cg17580614 et l’exposition totale et durant le deuxième trimestre au NO2, ainsi que l’association entre cg07563400 et l’exposition pendant le deuxième trimestre.

La convergence des deux approches vers ADORA2B retient l’attention dans la mesure où les données d’études chez l’animal et chez l’homme suggèrent l’implication de ce gène codant pour le récepteur de l’adénosine de type A2B dans la pré-éclampsie, l’insuffisance placentaire et le retard de croissance intra-utérin. D’autres gènes candidats potentiellement pertinents émergent des analyses, mais avec un moindre niveau d’accord des deux approches.

L’ensemble soutient la sensibilité de l’épigénome placentaire à une pollution ambiante banale (les concentrations moyennes [durée entière de la grossesse] étaient ainsi égales à 20 [± 4,5] μg/m3 pour les PM10 et à 19 [± 7,7] μg/m3 pour le NO2 ayant valeur de marqueur de la pollution liée au trafic routier). L’impact sur le déroulement et l’issue de la grossesse demande à être examiné plus avant. S’il est grossièrement admis que le niveau d’expression d’un gène est inversement corrélé à son degré de méthylation, la régulation épigénétique est un processus complexe et il est possible que les profils d’expression (établis ici dans des placentas à terme) évoluent au cours de la grossesse.

Au-delà de cette période, se posent les questions du retentissement sur la santé de l’enfant, puis de l’adulte qu’il sera devenu, et même de sa descendance.

 


Publication analysée :

* Abraham E1, Rousseaux S, Agier L, et al. Pregnancy exposure to atmospheric pollution and meteorological conditions and placental DNA methylation. Environ Int 2018 ; 118 : 334-47. doi : 10.1016/j.envint.2018.05.007

1 Univ. Grenoble Alpes, Inserm, CNRS, IAB, Grenoble, France.