ANALYSE D'ARTICLE

Exposition périnatale à la pollution liée au trafic et sensibilité aux allergènes à l’âge d’un an

Fondée sur un modèle prédictif perfectionné, intégrant la variation temporelle des niveaux de dioxyde d’azote, cette analyse dans une cohorte de naissances canadienne suggère que l’exposition postnatale à la pollution liée au trafic accroît le risque de sensibilisation allergénique du nourrisson.

Based on an advanced predictive model that incorporates the temporal variation in nitrogen dioxide levels, this analysis of a Canadian birth cohort suggests that postnatal exposure to traffic-related air pollution increases the risk of allergy sensitization in infants.

S’il a été démontré que la pollution générée par le trafic pouvait exacerber les manifestations allergiques, les études divergent quant à son rôle dans la survenue d’une allergie, et les connaissances concernant l’impact de l’exposition périnatale manquent. D’où l’intérêt de cette analyse dans la cohorte mères-enfants CHILD (Canadian Healthy Infant Longitudinal Development), constituée entre 2008 et 2012 par le recrutement de femmes enceintes habitant Vancouver, Edmonton, Winnipeg et Toronto.

 

Population et méthode

Les auteurs ont utilisé les données d’une population de 2 477 nourrissons chez lesquels des tests cutanés avaient été réalisés à l’âge d’un an, dans l’objectif de mesurer la réaction à 10 allergènes communs, dont six pneumallergènes domestiques (chat, chien, blatte, deux acariens et une moisissure) et quatre aliments (lait de vache, œuf, soja, arachide). Ces prick-tests avaient mis en évidence une hypersensibilité à au moins l’un des allergènes chez 400 nourrissons (16 % de la population). Conformément à ce qui est attendu à cet âge, une réaction positive à un allergène alimentaire était plus fréquente (n= 309 ; 12,5 %) qu’une réaction à un allergène respiratoire (n = 132 ; 5,3 %).

Le dioxyde d’azote (NO2) a été pris comme marqueur de la pollution liée au trafic, dont l’influence sur le statut allergique des nourrissons a été examinée en distinguant deux périodes d’exposition : la vie intra-utérine et la première année de vie. Un modèle LUR (Land Use Regression) spécifique à chaque ville (construit à partir de données relatives à l’affectation des sols, à la population, à la géographie des lieux et aux conditions météorologiques) a été utilisé pour estimer l’exposition moyenne au NO2pendant toute la durée de la grossesse (en référence à l’adresse résidentielle au moment de l’entrée dans la cohorte) et la première année de vie (en référence à l’adresse au moment de la naissance). Les estimations ont été ajustées en cas de déménagement (17 % des participants), puis en fonction de la variation temporelle (sur une base bihebdomadaire) des concentrations atmosphériques de NO2, à partir des données de mesures des stations de surveillance de la qualité de l’air de chaque ville. Pour les deux périodes, les niveaux d’exposition moyens prédits étaient relativement élevés à Toronto, équivalents à Vancouver et Edmonton, et particulièrement faibles à Winnipeg. Ils étaient ainsi, pour la première année de vie, de 28,2 ± 7,7 μg/m3à Toronto (fourchette de concentration : 12-59,4 μg/m3), 24 ± 8,8 μg/m3 (7,6-49,3) à Edmonton, 23,8 ± 6,1 μg/m3 (7,3-47,2) à Vancouver, et 9,9 ± 3,6 μg/m3(1,1-17,3) à Winnipeg. Les questionnaires d’entrée et de suivi (renseignés lorsque le nourrisson avait approximativement 3, 6 et 12 mois) et les inspections à domicile ont permis d’identifier les covariables à contrôler pour chacune des six analyses. Le terrain atopique maternel et la présence d’un animal à fourrure ont été considérés pour l’effet de l’exposition prénatale sur la sensibilisation à un allergène quelconque ainsi qu’à un allergène alimentaire (avec le niveau de revenus du foyer). La présence de moisissures et d’un garage attenant à la maison ont été retenus pour la sensibilisation à un pneumallergène. L’effet de l’exposition au cours de la première année de vie sur la sensibilisation à un allergène quelconque ou alimentaire a été examiné après ajustement sur le terrain atopique maternel, la présence d’un animal, ainsi que la consommation d’œufs, de céréales transformées et d’arachide. Les covariables contrôlées pour la sensibilisation à un allergène respiratoire étaient l’animal domestique et la consommation de noix. Les analyses ont été réalisées dans une population finale (données complètes) de 2 123 et 2 173 nourrissons respectivement pour la période de la grossesse et celle de la première année de vie. L’effet estimé est celui d’une augmentation de 10 μg/m3 du NO2.

 

Associations mises en évidences

L’exposition prénatale n’apparaît pas associée au statut allergique à l’âge d’un an. En revanche, l’association entre l’exposition postnatale et la sensibilisation à un allergène quelconque est significative : odds ratio (OR) égal à 1,16 (IC95: 1-1,41). Une tendance à l’augmentation du risque est observée pour les deux catégories d’allergènes (alimentaires : OR = 1,17 [0,95-1,47] et respiratoires : OR = 1,28 [0,93-1,76]).

Le modèle prédictif a été amélioré par la prise en compte du budget temps-activité, qui peut être une source d’erreurs de classement quand l’exposition est estimée sur la base de l’adresse résidentielle. L’impact de l’exposition à la pollution apparaît moindre quand les nourrissons sont hors de la maison plus de 3,3 heures par jour (valeur médiane), ce qui est dominé par l’effet sur la sensibilisation à un pneumallergène : OR = 1,10 (IC95: 0,69-1,68) versus1,61 (IC95: 1,15-2,19) pour les nourrissons plus souvent à la maison. De même, le risque de sensibilisation à un allergène quelconque (OR = 1,61 [1,28-2,01]) ou à un pneumallergène (OR = 2,1 [1,4-3,17]) est plus élevé chez les nourrissons gardés chez eux que chez ceux qui vont à la crèche (OR respectifs égaux à 1,05 [0,81-1,28] et 1,10 [0,77-1,54]).

La corrélation entre la justesse de l’estimation de l’exposition et le temps passé à la maison peut expliquer les différences observées. Une moindre exposition à l’extérieur peut également être évoquée, mais l’utilisation des informations disponibles (concernant 235 nourrissons sur un total de 765 gardés en crèche) montre que l’exposition à l’adresse de la crèche n’est pas significativement différente de l’exposition résidentielle. En revanche, l’hypothèse de facteurs protecteurs liés à un mode de garde collectif est soutenue par une analyse stratifiée sur la fratrie : quand le foyer comporte d’autres enfants, l’effet de l’exposition à la pollution est moindre (OR = 1,16 [0,91-1,54] pour la sensibilisation à un allergène quelconque) que quand le nourrisson est seul (OR = 1,28 [1-1,54]).

Laurence Nicolle-Mir

 

Publication analysée :

Sbihi H1, Allen RW, Becker A, et al. Perinatal expo-sure to traffic-related air pollution and atopy at 1 year of age in a multicenter canadian birth cohort study. Environ Health Perspect 2015; 123: 902-8.

1School of Population and Public Health, University of British Columbia, Vancouver, Canada.

doi: 10.1289/ehp.14087001