ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale à différents perturbateurs endocriniens et corpulence à l’âge de 7 ans

Les effets de l’exposition prénatale à 27 substances potentiellement obésogènes sur l’indice de masse corporelle et le risque de surpoids à l’âge de 7 ans ont été évalués dans une cohorte mères-enfants espagnole. Renforçant les résultats obtenus selon l’approche ß « mono-polluant » habituelle, l’analyse ß « multi-polluants » pointe l’influence de l’exposition aux composés organochlorés.

The effects of prenatal exposure to 27 potentially obesogenic substances on body mass index and risk of overweight at age 7 were assessed in a Spanish mother-child cohort. A multi-pollutant analysis confirms the results obtained under the usual singlepollutant approach and underlines the influence of exposure to organochlorine compounds.

Depuis que l’environnement chimique est soupçonné de favoriser la constitution d’une obésité, plusieurs études épidémiologiques longitudinales ont été menées dans le but d’examiner le rôle de l’exposition in utero à diverses substances, généralement des polluants organiques persistants du groupe des organochlorés. Peu d’études ont évalué les effets potentiellement obésogènes d’autres types de perturbateurs endocriniens comme les phtalates, le bisphénol A et les métaux lourds. Par ailleurs, l’approche commune a été jusqu’à présent de type « mono-polluant » alors que la situation habituelle est celle d’une exposition à un mélange chimique. Les corrélations entre les substances qui le constituent rendent difficile l’estimation des effets propres de chaque composant.

Cette analyse des données de la cohorte INMA (Infancia y medio ambiante – environment and childhood) à la recherche d’associations entre l’exposition prénatale à 27 substances et l’indice de masse corporelle (IMC) à l’âge de 7 ans, a été effectuée selon une approche « multi-polluants » originale, en complément de la méthode classique.

 

Données utilisées

INMA a inclus 657 femmes au premier trimestre de grossesse entre 2004 et 2006 (grossesses spontanées monofœtales) et 470 enfants ont participé au suivi post-natal autour de l’âge de 7 ans (entre 64 et 95 mois), qui incluait la mesure de la taille et du poids permettant d’établir l’IMC. Les biomarqueurs de l’exposition prénatale à 10 phtalates, trois métaux (arsenic, plomb, cadmium) et au bisphénol A avaient été mesurés dans l’urine maternelle collectée aux premier et troisième trimestres de grossesse (les concentrations urinaires ont été moyennées pour cette analyse). L’exposition à trois pesticides organochlorés (dichlorodiphényldichloroéthylène [DDE], hexachlorobenzène [HCB] et ß-hexachlorocyclohexane [ßHCH]) ainsi qu’à trois polychlorobiphényles (PCB, congénères 138, 153 et 180) a été estimée à partir des concentrations sanguines maternelles (échantillons prélevés au premier trimestre). Le sang du cordon a été utilisé pour déterminer l’exposition au mercure total. Enfin, six polybromodiphényléthers (PBDE) ont été mesurés dans le colostrum (échantillons prélevés entre 48 et 96 h post-partum). Ce milieu plus riche en lipides que le sang du cordon favorise leur détection et les niveaux de PBDE dans le colostrum sont considérés comme reflétant bien l’exposition cumulée pendant la grossesse.

Les données des questionnaires et évaluations d’entrée et de suivi ont été utilisées pour contrôler plusieurs facteurs de confusion potentiels sélectionnés sur la base d’une revue de la littérature : le sexe de l’enfant, l’âge gestationnel, le poids de naissance, l’âge précis au moment de la mesure du poids et de la taille, la nationalité d’origine de la mère, sa classe sociale, son âge à l’accouchement, son IMC de prégrossesse, sa prise de poids ainsi que son tabagisme pendant la grossesse, et la durée de l’allaitement.

 

Analyses et résultats

Dans un premier temps, les auteurs ont évalué l’association entre l’IMC (z-score spécifique pour l’âge et le sexe) ainsi que le risque de surpoids (défini par un z-score atteignant ou dépassant le 85e percentile [prévalence égale à 31,9 % dans la population de l’étude]) et le niveau de chaque substance individuellement à l’aide de modèles mono-polluant classiques. Cette analyse met en évidence des associations positives entre l’IMC et quatre composés organochlorés (HCB, ßHCH, PCB-138 et PCB-180). Les résultats en termes de risque de surpoids sont généralement cohérents : ce risque est augmenté dans le dernier tertile de concentration comparativement au premier pour l’HCB (risque relatif [RR] = 2,17 [IC95 : 1,08-4,38]), le ßHCH (RR = 1,94 [1,04-3,61]) ainsi que pour le PCB-138 (RR = 2,14 [1,05-4,35]). L’association frôle le seuil de signification statistique pour le PCB-180 (RR = 2,15 [0,99-4,7]). Le risque de surpoids apparaît également augmenté dans les deuxième (RR = 2,31 [1,26-4,24]) et troisième (RR = 2,21 [1,17-4,15]) tertiles de concentration du DDE alors que l’analyse utilisant le critère « IMC » aboutit à un résultat proche de la signification statistique. À l‘opposé, une association négative est observée entre le niveau du MECPP (mono[2-éthyl-5-carboxypentyl]phtalate) et le risque de surpoids dès le deuxième tertile de concentration (RR = 0,49 [0,24-0,98]).

Une analyse en composantes principales (ACP) a ensuite été effectuée afin de réduire le nombre de variables (concentrations plasmatiques) plus ou moins corrélées entre elles à quelques variables non corrélées les unes aux autres, qui peuvent donc être incluses dans le même modèle sans que des problèmes de multi-colinéarité grèvent l’analyse. Chaque variable ainsi construite (ou « facteur ») est une combinaison de plusieurs variables individuelles qui y contribuent de façon plus ou moins importante. L’ACP a produit quatre facteurs expliquant 43,4 % de la variance totale : le poids des PBDE était important dans le premier, celui des phtalates était prédominant dans le deuxième, les organochlorés pesaient le plus lourd dans le troisième, et le quatrième présentait un profil « mixte » en termes de famille chimique. L’inclusion simultanée de ces quatre facteurs dans un modèle « multi-polluants » fait émerger une association positive entre le troisième (reflétant principalement l’exposition à un mélange d’organochlorés) et le z-score d’IMC (coefficient ß dernier versus premier tertile égal à 0,37 [0,03-0,72]) ainsi que le risque de surpoids (RR dernier versus premier tertile = 2,59 [1,19-5,63]). L’effet de l’exposition au « facteur phtalate » est inverse, avec une réduction du risque de surpoids statistiquement significative dans le deuxième tertile (RR = 0,49 [0,25-0,96]) uniquement (RR= 0,63 [0,33-1,19] dans le dernier). Ces résultats apparaissent robustes à un ajustement supplémentaire sur l’apport calorique total quotidien et le temps passé en activités sédentaires. Par ailleurs, ni le sexe de l’enfant ni l’IMC de prégrossesse de la mère, sa classe sociale ou son tabagisme pendant la grossesse ne modifient les associations observées.

Les expositions aux différents organochlorés étant fortement corrélées, il semble difficile, voire impossible, d’établir la responsabilité de chaque composé individuellement. Les mesures de santé publique devraient donc permettre de réduire l’exposition au mélange d’organochlorés dans son ensemble.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

 

Commentaire

Pendant les décennies qui ont suivi le début de l’ « épidémie » d’obésité constatée en Occident, la prise de poids était surtout attribuée à un manque d’activité et à une alimentation trop riche. Néanmoins, les campagnes publiques de prévention (notamment en France dans le cadre du Plan national nutrition santé) pour une meilleure nutrition et une augmentation de l’activité physique n’ont pas enrayé cet accroissement. Ces causes ne semblent donc pas expliquer à elles seules l’épidémie. Depuis quelques années, une autre hypothèse est testée dans diverses études, expérimentales et épidémiologiques : les perturbateurs endocriniens présents dans l’environnement (incluant les aliments) agiraient lors du développement fœtal, déréglant alors pour la vie la balance énergétique de l’individu, c’est-à-dire l’équilibre entre apports et dépenses énergétiques.Le travail d’Agay-Shay et al. se situe parmi les études épidémiologiques de qualité qui ont testé cette hypothèse, et il a le mérite d’une part d’utiliser une cohorte mère-enfant de bonne taille (657 femmes avec prélèvements au premier trimestre de grossesse, 470 enfants suivi post-natal jusqu’à l’âge de 7 ans en moyenne), et d’autre part d’avoir une approche multi-polluants. Les résultats pointent le rôle prépondérant de l’exposition aux organochlorés, et confirment l’importance des mesures prises depuis déjà plusieurs années dans les pays industrialisés pour réduire l’exposition à ces polluants (en particulier les PCB). Parmi les nombreux autres travaux en cours qui pourraient permettre des progrès dans la connaissance, on citera l’étude OBELIX (OBesogenic Endocrine disrupting chemicals: LInking prenatal eXposure to the development of obesity later in life), lancée en 2009 par l’université d’Amsterdam. Cette étude, conçue pour durer quatre ans, a pour objectifs de : – mesurer l’exposition aux perturbateurs endocriniens (phtalates, bisphénol, retardateurs de flamme, pesticides organochlorés, composés perfluorés, dioxines, etc.) dans les premières années de vie (cohortes mère-enfant dans quatre pays européens avec un suivi à 8 ans) ; – relier l’exposition aux perturbateurs endocriniens aux manifestations cliniques et biologiques de l’obésité ; – caractériser chez l’animal les conséquences de l’exposition précoce aux perturbateurs endocriniens (exposition de souris pendant la gestation et la lactation avec suivi jusqu’à l’âge adulte) ; – déterminer les mécanismes selon lesquels les perturbateurs endocriniens provoquent une obésité ; – mesurer l’influence de l’exposition aux perturbateurs endocriniens liée à la nourriture chez la femme enceinte sur le poids de l’enfant après sa naissance.

Les résultats ne sont pas encore publiés dans leur intégralité, mais une analyse préliminaire [1] des données épidémiologiques montre une relation inverse entre l’exposition aux PCB et le poids de naissance, avec des courbes ultérieures de croissance pondérale différentes selon que l’exposition a eu lieu préférentiellement en période prénatale ou post-natale. Par ailleurs on observe chez l’animal des effets variables selon le sexe.

De nombreuses questions demeurent concernant les mécanismes de l’obésité, tels que les rythmes circadiens, les phénomènes inflammatoires ou encore la composition du microbiote intestinal. Une piste importante est celle de la recherche d’effets combinés de l’exposition aux perturbateurs endocriniens et de l’environnement du fœtus (sous-nutrition ou suralimentation). Les résultats définitifs de l’étude pourraient aider à formuler des recommandations plus précises de santé publique.

Elisabeth Gnansia

 

 

[1] Legler J. An Integrated Approach to Assess the Role of Chemical Exposure in Obesity. Obesity. 2013;21:1084-1085.

 

 

Publication analysée :

Agay-Shay K, Martinez D, Valvi D, et al.Exposure to endocrine-disrupting chemicals during pregnancy and weight at 7 years of age: a multi-pollutant approach. Environ Health Perspect 2015; 123: 1030-7.

Centre for Research in Environmental Epidemiology (CREAL), Barcelone, Espagne.

doi: 10.1289/ehp.1409049