ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale au bisphénol A et évaluation comportementale et cognitive à l’âge de 3 ans

Contribuant à étoffer une littérature naissante, cette étude dans une cohorte de naissances canadienne retrouve une influence du sexe sur l’association entre l’exposition prénatale au bisphénol A et le comportement des enfants âgés de 3 ans. L’analyse balayant de nombreux scores issus d’une batterie de tests comportementaux et cognitifs aboutit toutefois à de rares résultats notables.

En perturbant la synthèse, l’action, le transport ou le métabolisme de substances critiques pour le développement cérébral (hormones thyroïdiennes et sexuelles, neurotransmetteurs), l’exposition prénatale au bisphénol A (BPA) pourrait augmenter le risque de troubles neurocomportementaux chez l’enfant. Cette hypothèse est soutenue par certaines études chez le rongeur (mais pas toutes), qui suggèrent que l’impact de l’exposition gestationnelle diffère selon le sexe. Quelques études épidémiologiques de taille modeste (dans des échantillons de 137 à 438 enfants) indiquent également un effet modificateur du sexe. Lorsqu’elle existe, l’association entre les concentrations urinaires maternelles de BPA et les symptômes d’internalisation (retrait, somatisation, manifestations anxiodépressives) ou les troubles de type déficit d’attention avec hyperactivité est généralement, mais pas constamment, plus forte chez les garçons que chez les filles.

Avec une population plus vaste que précédemment, cette nouvelle étude dispose d’une meilleure puissance statistique pour examiner l’influence du sexe. Par ailleurs, elle comble le manque de données relatives à l’impact de l’exposition prénatale au BPA sur les capacités cognitives. En revanche, elle présente la faiblesse habituelle de l’évaluation de l’exposition, qui repose ici sur une mesure unique de la concentration de BPA dans l’urine maternelle collectée en début de grossesse (entre 5 et 15 semaines d’aménorrhée et en moyenne à 12,1 semaines).

Population et évaluations neurocomportementales

La cohorte prospective MIREC (Maternal-Infant Research on Environmental Chemicals) a été constituée entre 2008 et 2011 par l’inclusion de 1 983 habitantes de 10 villes du Canada au premier trimestre de leur grossesse, qui ont donné naissance à 1 910 enfants uniques vivants. Le taux de participation à l’évaluation comportementale organisée autour des 3 ans de l’enfant (âge moyen : 3,4 ans) était de 46,9 % (896 enfants).

Le questionnaire soumis aux parents (envoyé par courrier et disponible sur une plateforme Internet) incluait le Behavioral Assessment System for Children-2 (BASC-2), un outil à 134 items permettant d’établir trois scores (symptômes internalisés, externalisés [manifestations agressives et troubles de la conduite] et totaux [Behavioral Symptom Index – BSI]) et d’explorer huit dimensions du comportement (hyperactivité, agressivité, anxiété, dépression, somatisation, attention, comportement atypique et attitude renfermée). Le BASC-2 était complété par deux échelles (mémoire de travail et capacité de planification : 27 items) du Behavior Rating Inventory of Executive Fonction-Preschool (BRIEF-P) développé pour mesurer les fonctions exécutives.

L’évaluation a été approfondie pour un sous-échantillon de 544 enfants par l’administration à domicile du Weschler Preschool and Primary Scales of Intelligence-III (WPPSI-III mesurant les capacités cognitives : quotient intellectuel [QI] global et ses sous-dimensions verbale et de performance), ainsi que d’un test de reconnaissance visuelle des émotions faciales. Des conditions optimales (environnement calme, bien éclairé, absence de distraction et d’interruption) étaient recherchées par les investigateurs entraînés à ces évaluations. La visite à domicile incluait l’administration aux parents du Social Responsiveness Scale-2 (SRS-2 : 65 items) qui mesure les comportements sociaux (motivation, présence, qualité de l’interaction et de la communication) et leur restriction (traits autistiques sur la base des critères du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux [DSM V]).

Analyses statistiques

L’article rapporte les effets d’un doublement de la concentration urinaire maternelle de BPA sur les différents scores comportementaux et cognitifs, estimés dans un modèle ajusté sur les covariables associées à la fois à la concentration urinaire et à au moins un score dans un graphe orienté acyclique. Les informations avaient été recueillies durant la grossesse pour certaines covariables (âge maternel, origine ethnique, niveau d’études, statut marital et vis-à-vis de l’emploi, consommation de tabac et d’alcool, supplémentation vitaminique et parité) et au moment de l’évaluation de l’enfant pour les autres (durée de l’allaitement exclusif, niveau de stress [sur la base d’un questionnaire standardisé], symptômes dépressifs [score sur l’échelle Center for Epidemiological Studies Depression], actes délinquants auto-rapportés au cours de la vie adulte). Trois analyses de sensibilité ont été réalisées, avec un ajustement moindre (uniquement sur les covariables recueillies durant la grossesse) ou supplémentaire pour les enfants visités à domicile (mode de garde et quantité/qualité des soins et des stimulations [sur la base des réponses au questionnaire Home Observation for the Measurement of the Environment – HOME]) ou pour la population totale (concentration urinaire maternelle de trois monoesters de phtalates à chaînes courtes et de trois métabolites du di-2-éthylhexylphtalate).

La population analysable (données complètes) variait selon les scores, qui avaient pu être établis pour 803 (anxiété [BASC-2]) à 812 enfants (attention [BASC-2] et capacité de planification [BRIEF-P]) sur la base des réponses parentales au questionnaire auto-administré. Les données permettant de mesurer le QI étaient complètes pour 541 enfants, le test de reconnaissance des émotions faciales était exploitable pour 497 enfants et le SRS-2 avait été complètement rempli par les parents de 537 enfants.

Associations observées

L’étude indique un effet délétère de l’exposition prénatale au BPA sur de rares aspects du comportement évalué par le BASC-2, uniquement chez les garçons. Ainsi, l’effet estimé d’un doublement de la concentration urinaire est une augmentation moyenne de 0,6 point du score de somatisation (IC95 : 0-1,2) alors qu’une baisse de ce score (-0,5 point [-1 à 0]) est observée chez les filles (p pour l’interaction entre le BPA et le sexe = 0,0063). Le score d’internalisation tend à augmenter chez les garçons (+0,5 point [-0,1 à 1,1]) et à baisser chez les filles (-0,2 point [-0,7 à 0,3]), mais l’effet modificateur du sexe n’est pas statistiquement significatif (p = 0,08). Il l’est en revanche pour les résultats du BRIEF-P : chez les garçons, le doublement de la concentration urinaire est associé à une altération des fonctions exécutives sollicitant la mémoire de travail (se traduisant par l’augmentation d’1 point du score [0,3-1,7]), ainsi qu’à une tendance à l’altération de la capacité de planification (+0,6 point [-0,1 à 1,2]), tandis qu’une tendance en sens inverse (meilleur fonctionnement) est observée chez les filles (p pour l’interaction entre le BPA et le sexe = 0,0009 et 0,0258 respectivement).

Le seul autre résultat notable est l’association avec le comportement social (moins bon score total au SRS-2 : +0,3 point [0 à 0,7]) sans influence significative du sexe. Aucun effet sur le QI n’est mis en évidence.

Étant donné l’importante variabilité intra-individuelle des concentrations urinaires de BPA (dont la demi-vie est inférieure à six heures), une détermination unique entraîne un risque élevé d’erreurs de classement quant à l’exposition. Ce biais non différentiel peut empêcher la détection d’associations statistiquement significatives, atténuer l’ampleur de l’estimation et expliquer en grande partie l’hétérogénéité de la littérature. Les auteurs soulignent que l’enjeu est important pour l’exploration des effets comportementaux de l’exposition in utero au BPA : un effet même subtil à l’échelle individuelle peut avoir des conséquences non négligeables à l’échelle de la population. Des approches visant à limiter l’influence du biais de classement doivent être développées (dosages répétés du biomarqueur dont au moins 10 seraient nécessaires selon une étude de simulation, méthodes correctives des erreurs de mesure, etc.). L’autre axe majeur pour la suite des investigations est la recherche de fenêtres de sensibilité. La mesure de l’exposition durant le premier trimestre de la grossesse n’est pas forcément la plus pertinente et la période post-natale mériterait peut-être considération.


Publication analysée :

* Braun JL1, Muckle G, Arbuckle T, et al. Associations of prenatal urinary bisphenol A concentrations with child behaviours and cognitive abilities. Environ Health Perspect 2017 ; 125(6) : 067008. doi : 10.1289/EHP984

1 Department of Epidemiology, Brown University, Providence, Rhode Island, États-Unis.