ANALYSE D'ARTICLE

Exposition prénatale aux substances perfluoroalkylées et score de QI à l’âge de 5 ans dans la cohorte de naissance danoise

Les concentrations maternelles de sept substances perfluoroalkylées (PFAS) n’apparaissent pas influencer les capacités intellectuelles des enfants âgés de 5 ans dans cette sous-population de la cohorte de naissance nationale danoise. Les auteurs estiment toutefois que ces résultats ne permettent pas d’écarter à eux seuls des effets neurodéveloppementaux d’une exposition précoce aux PFAS et appellent à des études supplémentaires.

Largement utilisés depuis les années 1950 en tant qu’agents imperméabilisants et anti-taches pour des articles de grande consommation (textiles d’ameublement, vêtements, emballages alimentaires, ustensiles de cuisine, etc.), les PFAS sont extrêmement résistants à la biotransformation et à la dégradation environnementale. Bien que la plupart des pays aient pris des mesures de restriction ou d’interdiction du sulfonate de perfluorooctane (PFOS) et de l’acide perfluorooctanoïque (PFOA) à partir des années 2000, ces deux composés les plus massivement produits par le passé sont toujours détectables dans l’organisme humain où leur demi-vie biologique est estimée entre trois et cinq ans.

De nombreuses études indiquent la capacité des PFAS à interférer avec la fonction thyroïdienne des femmes enceintes, ce qui soulève des préoccupations pour le développement intellectuel des enfants. Pour certains auteurs, même une légère diminution des taux circulants d’hormones thyroïdiennes durant la grossesse pourrait entraîner la perte de plusieurs points de quotient intellectuel (QI).

Nécessité d’une vaste étude

Seules deux études épidémiologiques avaient examiné la relation entre l’exposition prénatale aux PFAS et le QI avant celle-ci. La première a été réalisée dans une zone de la Virginie-Occidentale (États-Unis) où l’eau a été contaminée pendant plusieurs décennies par des rejets industriels. Cette investigation au sein du C8 Health Project n’a concerné que le PFOA (ou C8) et inclus 320 enfants âgés de 6 à 12 ans dont le QI a été mesuré sur l’échelle de Weschler. L’exposition prénatale a été estimée rétrospectivement par une modélisation des concentrations sériques maternelles au troisième trimestre de la grossesse (valeur médiane : 43,7 ng/mL). Les résultats, publiés en 2013, n’indiquent pas d’effet délétère de l’exposition : le QI apparaît même supérieur de 4,6 points en moyenne dans le groupe des enfants les plus exposés (dernier quartile des concentrations sériques) par rapport au groupe témoin (premier quartile), mais il n’existe pas de tendance dose-réponse.

La seconde étude, publiée en 2015, a inclus 120 enfants nés de participantes à la Taiwan Maternal and Infant Cohort Study, dont le QI a été mesuré sur l’échelle de Weschler aux âges de 5 puis de 8 ans. L’exposition prénatale à sept PFAS détectables dans plus de 70 % des échantillons de sang maternel collectés au troisième trimestre a été considérée. Deux résultats significatifs sont rapportés dans cette population exposée à des niveaux banals de PFAS. Un doublement des concentrations maternelles d’acide perfluoro-undécaonique (PFUnDA, valeur médiane : 3,42 ng/mL) est associé à une diminution d’1,6 point du QI [IC95 : -3 à -0,2] à l’âge de 5 ans. Les résultats à l’âge de 8 ans sont plus cohérents, montrant une tendance générale à la baisse du QI avec l’augmentation de l’exposition aux PFAS à chaîne longue et un effet significatif (diminution moyenne de 2,1 points [-3,9 à -0,2]) d’un doublement de l’exposition à l’acide perfluorononanoïque (PFNA, concentration médiane : 1,44 ng/mL).

La nécessité de conduire une étude de réplication dans une plus vaste population a motivé les auteurs de cette troisième investigation au sein de la Lifestyle During Pregnancy Study (LDPS), sous-cohorte de la Danish National Birth Cohort ayant recruté plus de 100 000 femmes entre 1996 et 2002, à l’occasion de leur première consultation prénatale.

Données utilisées

La participation à la LDPS a été proposée à un échantillon de 3 478 mères d’un enfant unique ayant atteint l’âge de 5 ans, ne présentant pas de déficit notamment visuel ou auditif empêchant son évaluation neuropsychologique. Environ la moitié des mères ont accepté et une population finale de 1 592 paires mère-enfant était disponible pour cette analyse. Seize PFAS ont été recherchés dans les échantillons de sang maternel collectés autour de huit semaines d’aménorrhée (SA) et sept, détectés dans plus de 80 % des cas, ont été pris en compte, dont les PFOS et PFOA (taux de détection de 100 %, concentrations médianes respectives égales à 28,10 et 4,28 ng/mL). Les valeurs médianes dépassaient 1 ng/mL pour deux autres composés : le perfluorooctane sulfonamide (PFOSA : 2,32 ng/mL) et le sulfonate de perfluorohexane (PFHxS : 1,07 ng/mL).

Comme précédemment, l’échelle de Weschler a été utilisée pour mesurer le QI des enfants (version abrégée de la Weschler Primary and Preschool Scales of Intelligence-Revised [WPPSI-R] évaluant les sous-dimensions QI verbal et QI performance donnant un QI total) et les scores ont été étalonnés pour une moyenne de 100 points et un écart-type de 15 points. Les tests ont été administrés par des psychologues entraînés et chacun a recalculé les scores établis par des collègues pour un certain nombre de tests afin d’évaluer l’écart inter-opérateur (moins de 3 %). Le QI de la mère – qui n’avait pas été pris en compte dans l’étude taïwanaise – a été mesuré par la Weschler Adult Intelligence Scale. Les autres covariables considérées étaient l’âge de la mère à la naissance de l’enfant, son indice de masse corporelle de pré-grossesse, sa consommation d’alcool et de tabac durant la grossesse, la parité, le sexe de l’enfant, la SA du prélèvement sanguin et un indicateur du statut socio-économique du foyer (fondé sur les niveaux d’études et les emplois des parents).

Résultats négatifs

Les relations entre les concentrations maternelles de chaque PFAS et les scores de QI verbal, performance et total ont été examinées, d’une part en traitant l’exposition comme une variable continue (estimation de l’effet d’une augmentation d’une unité de la concentration log-transformée), d’autre part en la catégorisant par quartile (le premier étant pris pour référence).

Les résultats ne soutiennent pas l’hypothèse d’un effet délétère de l’exposition prénatale aux PFAS. Une seule association émerge de la première analyse, positive, entre le PFNA et le QI verbal (+2,3 points [IC95 : 0,1-4,5]). L’analyse par quartile, négative dans la population totale, aboutit à quelques résultats significatifs isolés dans un ensemble inconsistant quand les sexes sont séparés : QI total diminué dans le deuxième quartile du PFHxS chez les garçons, QI total augmenté dans le deuxième quartile du PFOA et QI verbal augmenté dans les deux derniers quartiles du PFNA chez les filles. Les résultats sont robustes aux analyses de sensibilité.

Les auteurs engagent à explorer plus avant l’influence du sexe et à évaluer l’impact de l’exposition aux PFAS sur le QI d’enfants plus âgés, ainsi que sur d’autres critères (fonction cognitive, attention, comportement, performances scolaires et niveau d’étude atteint). Seule l’exposition prénatale a pu être prise en compte : il serait intéressant à l’avenir d’intégrer l’exposition post-natale et d’examiner les effets d’une co-exposition aux PFAS et à d’autres substances susceptibles d’altérer le développement cérébral.

 


Publication analysée :

* Liew Z1, Ritz B, Carlsen Bach C, et al. Prenatal exposure to perfluoroalkyl substances and IQ scores at age 5; a study in the Danish National Birth Cohort. Environ Health Perspect 2018 ; 126(6) : 067004. doi : 10.1289/EHP2754

1 Department of Epidemiology, Fielding School of Public Health, University of California, Los Angeles (UCLA), Los Angeles, États-Unis.