ANALYSE D'ARTICLE

Exposition professionnelle au tétrachloroéthylène et cancer de la vessie

Ce travail de méta-analyse des études chez des sujets professionnellement exposés au tétrachloroéthylène indique que son utilisation comme solvant de nettoyage à sec augmente particulièrement le risque de cancer de la vessie. Les limites de la littérature existante empêchent cependant une conclusion définitive.

This meta-analysis of studies on occupational tetrachloroethylene exposure indicates that this chemical’s use as a dry-cleaning solvent noticeably increases the risk of bladder cancer. The existing literature is too scarce to provide a definitive conclusion.

Le tétrachloroéthylène (ou perchloroéthylène), qui est l’un des solvants chlorés les plus produits au monde, est aujourd’hui principalement utilisé pour le nettoyage à sec des textiles et secondairement pour d’autres applications comme le dégraissage de pièces métalliques. En 2012, le Centre international de recherche sur le cancer (Circ) a réaffirmé son classement dans le groupe 2A (agents probablement cancérogènes pour l’homme) et ajouté la vessie à la liste de ses organes cibles.

L’association entre l’exposition au tétrachloroéthylène et le risque de cancer de la vessie a été examinée ici spécifiquement chez les personnes professionnellement exposées, en particulier par un travail de nettoyage à sec.

 

 

Études sélectionnées

À partir du dossier d’évaluation du Circ et d’une revue de l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (US EPA) datant également de 2012, les auteurs ont identifié 38 publications concernant 26 études. Une recherche dans PubMed n’a pas rapporté de publication supplémentaire. Dix-sept publications ont été conservées pour des méta-analyses après application des critères d’exclusion (résultats sous forme de taux de mortalité proportionnels ou standardisés, estimation de l’exposition trop floue, analyses dans une même population ou recouvrements de population, et analyses ayant fait l’objet d’une mise à jour).

Quatorze études (trois études de cohortes et 11 études cas-témoins) avaient inclus une population travaillant dans le secteur de la blanchisserie, dont sept uniquement des sujets effectuant un travail de nettoyage à sec. La population était mixte (blanchisserie ou nettoyage à sec) dans les sept autres. Les auteurs ont réalisé une méta-analyse des résultats de toutes les études et une seconde restreinte à celles qui avaient spécifiquement inclus des sujets réalisant des tâches de nettoyage à sec.

L’exposition était d’origine variée dans trois études (dont une cohorte dans l’industrie aéronautique et deux études cas-témoins) qui ont été traitées séparément.

 

Résultats

La méta-analyse des 14 études chez des sujets travaillant dans la blanchisserie aboutit à un risque relatif (RR) de cancer de la vessie égal à 1,20 (IC95 = 1,06-1,36). Le test de Higgins n’indique pas d’hétérogénéité importante (I2 < 30 %) mais le test d’Egger suggère un biais de publication (p = 0,013).

La combinaison des résultats des études dans la catégorie « nettoyage à sec » donne un RR global égal à 1,47 (IC95 = 1,16-1,85). Ni hétérogénéité ni biais de publication ne sont détectés. Ce résultat n’apparaît pas sensible au type d’étude : le RR calculé à partir des trois études de cohortes (115 cas exposés) est égal à 1,46 (IC95 = 1,14-1,87) et celui résultant de la combinaison des quatre études cas-témoins (24 cas exposés seulement) est égal à 1,50 (IC95 = 0,80-2,84). Par ailleurs, l’exclusion d’une étude ayant un poids très important (93 cas exposés) a un faible impact sur le résultat (RR = 1,51 [IC95 = 1,05-2,18]). L’observation d’un excès de risque de cancer de la vessie plus élevé dans cette catégorie que dans la population « tout venant » des travailleurs en blanchisserie est cohérente avec la notion d’une plus grande exposition au tétrachloroéthylène chez les sujets manipulant des solvants de nettoyage à sec. Bien que ces travailleurs soient exposés à d’autres produits chimiques, le tétrachloroéthylène est actuellement le seul agent identifié comme un cancérogène probable pour la vessie.

Les trois études incluant des sujets ayant divers métiers pouvant les exposer au tétrachloroéthylène donnent un RR global égal à 1,08 (0,82-1,42) à partir de 463 cas exposés. Les méthodes utilisées pour estimer l’exposition étaient toutefois rudimentaires dans ces études qui se référaient au type d’emploi ou au titre du poste occupé, ce qui a pu être à l’origine d’erreurs importantes de classement.

Les auteurs regrettent également l’absence d’information sur l’importance de l’exposition dans la plupart des études. L’analyse des cinq études ayant examiné le risque de cancer de la vessie en fonction de la durée de l’emploi exposant au tétrachloroéthylène ou de l’intensité de l’exposition ne permet pas de dégager une relation dose réponse claire.

Enfin, alors que le tabagisme est estimé responsable d’environ un tiers des cancers de la vessie, aucune des études de cohortes disponibles n’a tenu compte de cet important facteur de risque. La méta-analyse des résultats de ces études dans la catégorie « nettoyage à sec » aboutit toutefois à un RR proche de celui calculé à partir des études cas-témoins dans lesquelles le tabagisme était contrôlé, ce qui suggère qu’il ne s’agit pas d’un facteur de confusion majeur.

 

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Vlaanderen J1, Straif K, Ruder A, Blair A, et al. Tetrachloroethylene exposure and bladder cancer risk: a meta-analysis of dry-cleaning-worker studies. Environ Health Perspect 2014; 122: 661-6.

doi: 10.1289/ehp.1307055

 

1 Section of Environment and Radiation, International Agency for Research on Cancer, Lyon, France.