ANALYSE D'ARTICLE

Expositions des enfants et des adolescents aux phtalates et au DINCH en Europe : résultats du projet HBM4EU

L’étude de Vogel et al. avait trois objectifs : documenter les concentrations urinaires en phtalates et DINCH (cyclohexane-1,2-dicarboxylate de diisononyle) chez les enfants et adolescents en Europe, étudier les éventuelles différences selon le sexe, le niveau d’éducation du foyer et la zone géographique de résidence, et évaluer le risque pour la santé en comparant les concentrations mesurées aux valeurs limites biologiques. Les résultats montrent une imprégnation générale en phtalates et DINCH chez les près de 5 600 participants, mais des valeurs limites biologiques peu souvent dépassées.

Le projet européen HBM4EU (2017-2021 ; https://www.hbm4eu.eu/) avait pour objectif de développer et d’harmoniser la biosurveillance en Europe dans le but de mieux caractériser les expositions de la population aux substances chimiques afin de fournir des éléments aux décideurs publics pour réduire ces expositions et maîtriser les risques pour la santé. Dans le cadre du projet, des campagnes de mesure ­harmonisées ont été réalisées auprès de trois groupes de population : les enfants, les adolescents et les adultes, incluant des populations de travailleurs, et pour des groupes de substances préalablement hiérarchisées et identifiées d’intérêt. L’article de Vogel et al. présente les résultats obtenus pour dix phtalates et le substitut DINCH (cyclohexane-1,2-dicarboxylate de diisononyle) chez les enfants (6-11 ans) et adolescents (12-18 ans).

L’exposition aux dix phtalates retenus (BBP, DEP, DiBP, DnBP, DEHP, DiDP, DiNP, DnOP, DnPeP, DCHP) et au DINCH a été évaluée via les concentrations urinaires de 17 métabolites. Les résultats d’études nationales de biosurveillance préalables à HBM4EU (échantillons collectés à partir de 2014) et ceux des études conduites dans le cadre du projet ont été réunis. Un processus ad hoc d’assurance qualité a permis de garantir que les ­données ­rassemblées, provenant de différents laboratoires européens, étaient de bonne qualité et comparables [1]. Toutes les analyses des concentrations urinaires ont été réalisées par chromatographie liquide couplée à la spectroscopie de masse en tandem (LC-MS/MS). La valeur limite biologique (VLB) en population générale utilisée pour évaluer le risque pour la santé de chaque substance étudiée est définie comme la concentration de cette substance ou de ses métabolites dans la matrice biologique étudiée, l’urine dans l’étude de Vogel et al., en deçà de laquelle il n’est pas attendu d’effet sur la santé en l’état actuel des connaissances. Les VLB urinaires des phtalates et du DINCH ont été établies dans le cadre du projet HBM4EU, principalement à partir de la conversion en doses internes des valeurs toxicologiques de référence existantes (VTR) [2]. Au global, les données pour 2 880 enfants et 2 799 adolescents ont été exploitées.

Pour trois phtalates, à savoir DnOP, DnPeP et DCHP, les concentrations de leurs métabolites ont été détectées dans 1 à 5 % des échantillons, indiquant une faible exposition ; ces phtalates n’ont ainsi pas été inclus dans les analyses statistiques qui ont suivi. Les métabolites des autres phtalates et du DINCH ont été détectés dans 65 à 100 % des échantillons d’urine. Tous pays confondus, des différences ont été observées entre les enfants et les adolescents : les premiers sont plus exposés aux BBP, DiBP, DEHP, DiDP et DINCH et les seconds aux DEP, DnBP et DiNP, suggérant des sources d’exposition différentes. Les auteurs citent par exemple l’utilisation plus importante chez les adolescents de cosmétiques et de produits d’hygiène corporelle, sources possibles de DEP et DnBP.

Les moyennes géométriques les plus élevées sont observées pour les métabolites du DEHP chez les enfants et pour le métabolite du DEP chez les adolescents, tandis que les moyennes géométriques les plus faibles sont observées, chez les enfants comme les adolescents, pour les métabolites du DiDP et ceux du DINCH. Les auteurs notent que les concentrations en métabolites de certains phtalates dont les restrictions d’usage ont démarré en 1999, à savoir DiBP, DnBP et DEHP, restent élevées. La comparaison de ces concentrations avec celles d’échantillons prélevés en 2011-2012 dans le cadre du projet européen DEMOCOPHES montre cependant une diminution. Selon les auteurs, ces constats soulignent le succès des mesures réglementaires pour réduire les expositions, mais également la persistance de sources non couvertes par la réglementation.

Les résultats montrent par ailleurs de fortes disparités entre les pays, les moyennes géométriques des concentrations urinaires pour une substance et ses métabolites variant entre pays d’un facteur 2 à 9 pour les enfants et d’un facteur 2 à 7 pour les adolescents. Les échantillons des études nationales n’ayant, pour la plupart, pas été élaborés de sorte à être représentatifs des populations d’enfants et d’adolescents du pays, il convient d’être prudent dans la comparaison des résultats selon les pays.

Enfin, les plus forts pourcentages de dépassements des VLB sont observés pour le DiBP (3,2 % des enfants et 2,2 % des adolescents) et le DnBP (2,0 % des enfants et 4,7 % des adolescents). La VLB du DEHP est dépassée pour 0,28 et 0,25 % des enfants et des adolescents, respectivement. Les VLB du DEP et du DINCH ne sont jamais dépassées.

 

Commentaire

Cet article est très intéressant et fournit des données utiles sur les expositions aux phtalates et au DINCH via les concentrations urinaires de leurs métabolites chez les enfants et adolescents en Europe. Des données complémentaires chez les jeunes enfants (3-5 ans) et chez les adultes ont été publiées ensuite [3]. Un autre article sur les déterminants des expositions étant en préparation comme l’annoncent les auteurs, on peut regretter que l’étude des associations entre les expositions et le niveau d’éducation du foyer ou le degré d’urbanisation du lieu de résidence, annoncée dans les objectifs de l’article, ne soit finalement pas détaillée dans l’article. Les publications d’HBM4EU sont répertoriées sur le site web du projet, qui sera maintenu jusqu’en 2032 même si le projet est terminé.

 

Références

1. Esteban López M, Göen T, Mol H, et al. The ­European human biomonitoring platform - Design and implementation of a laboratory quality ­assurance/quality control (QA/QC) programme for selected ­priority chemicals. Int J Hyg Environ Health 2021 ; 234 : 113740.

2. Apel P, Rousselle C, Lange R, Sissoko F, Kolossa- Gehring M, Ougier E. Human ­biomonitoring initiative (HBM4EU) - Strategy to derive human ­biomonitoring guidance values (HBM-GVs) for health risk assessment. Int J Hyg Environ Health 2020 ; 230 : 113622.

3. Vogel N, Lange R, Schmidt P, et al. Exposure to phthalates in European children, adolescents and adults since 2005: A harmonized approach based on existing HBM data in the HBM4EU initiative. Toxics 2023 ; 11 : 241.

 

Publication analysée :
Vogel N, Schmidt P, Lange R, et al. Current exposure to phthalates and DINCH in European children and adolescents – Results from the HBM4EU Aligned Studies 2014 to 2021. International Journal of Hygiene and Environmental Health 2023 ; 49 : 114101.

Corinne Mandin