ANALYSE D'ARTICLE

Influence de la végétation environnante sur le risque de surpoids à l’âge pré-scolaire dans la ville de Kaunas, Lituanie

Étoffant une littérature émergente, cette étude transversale soutient l’intérêt des espaces de nature en ville dans la lutte contre l’obésité infantile. L’observation d’un effet modificateur du niveau d’études de la mère sur la relation entre l’importance de la végétation environnante et le risque de surpoids/obésité incite à poursuivre l’exploration du rôle de facteurs psychosociaux.

Offrant aux jeunes citadins la possibilité de se dépenser physiquement, les espaces verts urbains s’inscrivent logiquement dans les moyens à mettre en œuvre pour combattre l’inquiétante augmentation de la prévalence de l’obésité infantile. Leur impact sur l’obésité à l’âge pré-scolaire demande toutefois à être examiné. Les rares études épidémiologiques récemment publiées présentent des résultats discordants, ce qui peut être lié à la diversité des méthodes employées pour mesurer l’exposition résidentielle à la verdure, mais aussi à un contrôle plus ou moins étendu des variables potentiellement confondantes. Les auteurs de cet article estiment en particulier qu’il convient de prendre en compte l’environnement psychosocial dans lequel l’enfant grandit. Quelques travaux utilisant divers indicateurs d’un stress psychosocial (faible niveau socio-économique de la famille, stress maternel chronique, dysfonctionnement familial, interaction parent-enfant de piètre qualité) suggèrent que les jeunes enfants qui y sont exposés ont un risque d’obésité accru. D’un point de vue mécanistique, des facteurs biologiques (sécrétion soutenue d’hormones de stress) et comportementaux (alimentation « émotionnelle », mauvaise qualité du sommeil, excès d’activités sédentaires) pourraient l’expliquer.

Cette nouvelle étude participe à mettre en évidence l’interaction entre l’environnement résidentiel et l’environnement psychosocial dans le surpoids/obésité de l’enfant d’âge pré-scolaire.

Données utilisées

L’étude a été menée à Kaunas (deuxième ville la plus importante de Lituanie) dans le cadre du projet collaboratif PHENOTYPE (Positive Health Effects of the Natural Outdoor Environment in Typical Populations of Different Regions in Europe) financé par la Commission européenne (7e programme-cadre). Les investigateurs l’ont proposée à 3 292 femmes d’une cohorte de naissances constituée entre 2007 et 2009, qui ont été recontactées par voie postale en 2012-2013 (courrier envoyé à l’adresse connue durant leur grossesse). Le taux de retour des questionnaires remplis a été de 45 %, portant à 1 489 paires mère-enfant la population analysable (âge moyen des enfants = 4,7 ans ; écart-type = 0,8 an). Parmi les données collectées figuraient la taille et le poids de l’enfant (qui ont servi à calculer son indice de masse corporelle [IMC]), son nombre d’heures passées quotidiennement devant des écrans de télévision et d’ordinateur en semaine (plus de 3 h définissant un comportement sédentaire), et une échelle de qualité de la relation mère-enfant (Parent-Child Dysfunctional Interaction [PCDI] du Parenting Stress Index [PSI], outil de dépistage des difficultés d’interaction parent-enfant nécessitant une intervention psychosociale). La relation a été classée normale pour un score inférieur au 85e percentile, anormale à partir du 90e percentile et borderline dans l’intermédiaire. Les investigateurs ont par ailleurs utilisé le niveau d’études de la mère comme indicateur du statut socio-économique, considérant qu’un faible niveau (scolarité ≤ 10 années) était associé à de moindres ressources financières et capacités à appliquer les recommandations sanitaires.

L’exposition à la verdure était déterminée par la valeur moyenne de l’indice de végétation par différence normalisé (NDVIpour Normalized Difference Vegetation Index, image satellite du 27 juin 2013, résolution de 30 m x 30 m) dans une zone circulaire centrée sur l’adresse du domicile familial, restreinte (rayon de 100 m), étendue (500 m) ou intermédiaire (300 m). En complément, la carte d’occupation des sols a été utilisée pour établir la distance entre le domicile et le parc le plus proche (parc de plus d’un hectare, ouvert gratuitement au public). Si ces deux indicateurs de l’exposition sont objectifs, chacun présente ses limites : le NDVI ne donne pas d’information sur la nature du couvert végétal (herbe, arbres, autre), et la mesure en ligne droite de la distance à la frontière du parc voisin rend mal compte de son accessibilité. Par ailleurs, les données relatives à l’utilisation des espaces verts (temps passé, type d’activités) n’étaient pas disponibles.

Résultats notables

L’obésité (définie aux seuils d’IMC âge et sexe-spécifiques de l’International Obesity Task Force) ne concernait que 36 enfants, qui ont été classés avec ceux entrant dans la catégorie du surpoids en un seul groupe surpoids/obésité de 111 enfants (taux de prévalence de 7,8 %). Une première analyse de l’influence de 12 covariables maternelles et individuelles en identifie cinq significativement associées au risque de surpoids/obésité : le tabagisme de la mère durant la grossesse, son faible niveau d’études, un poids de naissance ≥ 3 450 g (valeur moyenne dans l’échantillon), un comportement sédentaire et une relation mère-enfant anormale. Ces variables et six autres (la structure mono- ou biparentale de la famille, l’âge de la mère à la naissance et son statut professionnel [active, sans emploi], l’exposition de l’enfant au tabagisme parental, son sexe, et l’exposition résidentielle au dioxyde d’azote [modèle land-use regression]) ont été contrôlées pour examiner l’impact de l’exposition à la verdure. Les analyses indiquent un effet significatif de l’importance de la végétation dans l’environnement résidentiel immédiat uniquement (NDVI-100 m). En prenant pour référence une valeur supérieure à la médiane,l’odds ratio (OR) de surpoids/obésité est égal à 1,72 (IC95 : 1,15-2,60) dans le groupe des enfants vivant dans un environnement moins vert (NDVI-100 m ≤ médiane). Le risque de surpoids/obésité tend par ailleurs à augmenter avec la distance au parc le plus proche, mais l’association n’est pas significative au seuil des recommandations européennes (parc à moins de 300 m du domicile) : OR pour une distance > 300 m égal à 1,51 (0,92-2,49). En combinant les deux indicateurs, la distance à un parc apparaît modifier l’effet de la végétation environnante. Ainsi, par rapport à un groupe de référence (NDVI-100 m > médiane + distance à un parc ≤ 300 m), l’OR est égal à 1,28 (0,61-2,67) dans le groupe NDVI > médiane + distance > 300 m, à 1,36 (0,56-3,34) dans le groupe NDVI ≤ médiane + distance ≤ 300 m, et égal à 2,27 (1,12-4,62) dans le groupe NDVI ≤ médiane + distance > 300 m.

L’étude identifie un second facteur capable d’atténuer l’effet bénéfique d’un environnement vert sur le risque de surpoids/obésité de l’enfant et de renforcer l’impact défavorable d’une faible végétation environnante : le niveau d’études de la mère. Son influence paraît plus marquée que celle de la distance à un parc : par rapport au groupe de référence (NDVI-100 m > médiane + durée de la scolarité > 10 ans), l’OR est égal à 2,02 (1,03-4,00) pour une même valeur du NDVI et une brève scolarité, à 1,80 (1,10-2,95) pour la combinaison inverse et à 3,18 (1,65-6,13) pour la moins avantageuse (NDVI ≤ médiane + scolarité ≤ 10 ans).


Publication analysée :

* Petraviciene I1, Grazuleviciene R, Andrusaityte S, Dedele A, Nieuwenhuijsen MJ. Impact of the social and natural environment on preschool-age children weight. Int J Environ Res Public Health 2018 ; 15(3). pii: E449. doi : 10.3390/ijerph15030449

1 Department of Environmental Sciences, Vytautas Magnus University, Kaunas, Lituanie.