ANALYSE D'ARTICLE

Influence de l’exposition aux phtalates sur les résultats de fécondations in vitro

Cette étude dans une population recourant à la fécondation in vitro fournit un nouvel éclairage quant aux effets potentiels d’une exposition environnementale banale aux phtalates sur la reproduction. Les niveaux des métabolites urinaires du di-2-ethylhexylphtalate (DEHP) apparaissent inversement associés au nombre d’ovocytes produits par la stimulation, ainsi qu’aux taux de grossesse et de naissance vivante.

This study of people seeking in vitro fertilization sheds new light on the potential effects of banal environmental exposure to phthalates on reproduction. Urinary metabolite levels of di-2-ethylhexyl phthalate (DEHP) appear to be inversely associated with the number of oocytes produced by ovarian stimulation, and the pregnancy and live-birth rates.

Les phtalates comptent parmi les composés chimiques suspectés d’altérer la fonction reproductrice. L’exposition à cette famille de substances présentes dans divers produits de grande consommation (d’hygiène et de soins corporels, d’ameublement et de décoration, emballages et contenants alimentaires, enrobages médicamenteux, etc.) peut survenir par ingestion, inhalation, contact cutané, ainsi que par voie parentérale pour les phtalates à haut poids moléculaire tels que le di-2-éthylhexylphtalate (DEHP) et le di-isononylphtalate (DiNP), qui sont utilisés pour fabriquer des plastiques souples comme ceux des poches et tubulures de perfusion.

 

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Les preuves épidémiologiques d’un effet de l’exposition aux phtalates sur la capacité à concevoir et mener une grossesse à terme sont très limitées. Deux études prospectives ont été récemment publiées. La première, dans une cohorte de femmes danoises, rapporte une augmentation du risque d’interruption précoce de la grossesse quand le niveau de concentration urinaire du mono-2-éthylhexylphtalate (MEHP, métabolite du DEHP) se situe dans le dernier tertile. La seconde, conduite aux États-Unis (étude LIFE [Longitudinal Investigation of Fertility and the Environment]) ne montre pas d’association entre les concentrations urinaires maternelles de 14 métabolites des phtalates et le délai de conception. Ces deux études ont suivi des couples sans problème de fertilité connu, qui avaient récemment arrêté toute contraception dans le but d’avoir un enfant.

 

Nouvelle étude chez des couples infertiles

Les participantes à cette étude (EARTH [Environment and Reproductive Health study]) ont été recrutées entre novembre 2004 et avril 2012 parmi les patientes du Massachusetts General Hospital Fertility Center engagées dans un protocole de fécondation in vitro (FIV). Environ 60 % des femmes éligibles sollicitées (âgées de 19 à 45 ans) ont accepté de participer. La population analysée s’élève à 256 femmes et 375 cycles de FIV (dont 55 % avec micro-injection intracytoplasmique de spermatozoïde [ICSI]) pour lesquels toutes les données nécessaires étaient réunies, après exclusion des cycles avec ovocytes de donneuse et des transferts d’embryons congelés. L’infertilité du couple était d’origine masculine dans 37 % des cas, féminine dans 30 % des cas, et inexpliquée pour le reste.

Les auteurs justifient le choix de leur population par la possibilité qu’offrent les techniques d’assistance médicale à la procréation d’investiguer toutes les étapes de la grossesse, y compris les événements initiaux fondamentaux (incluant la fécondation de l’ovocyte et l’implantation de l’embryon) qui échappent à l’observation chez des femmes concevant spontanément. En contrepartie, les effets de l’exposition aux phtalates mis en évidence dans cette population particulière ne sont pas forcément généralisables.

L’évaluation de l’exposition, fondée sur la mesure ponctuelle des métabolites urinaires, représente une autre limite de cette étude. Du fait de la courte demi-vie des phtalates dans l’organisme, les concentrations déterminées dans des échantillons d’urine collectés au cours du cycle de FIV peuvent ne pas être représentatives de l’exposition à certains moments critiques de la grossesse. Pour 79 % des cycles, deux échantillons d’urine étaient disponibles (le premier prélevé entre le 3e et le 9e jour de la phase de stimulation ovarienne et le second le jour du recueil d’ovocytes), ce qui a permis de calculer des valeurs moyennes plus indicatives de l’exposition en période de périconception qu’une mesure unique.

 

Effets observés

Les 375 cycles de FIV se sont soldés par 357 ponctions d’ovocytes et 337 transferts embryonnaires. Les taux d’implantation, de grossesse clinique (diagnostiquée par une échographie à 6 semaines) et de naissance d’un enfant vivant ont été respectivement de 59, 53 et 44 %.

Des modèles multivariés ajustés sur l’âge, l’indice de masse corporelle, le tabagisme et la cause de l’infertilité, ont été utilisés pour examiner l’influence, sur les issues de cycles de FIV, du niveau de 11 métabolites urinaires des phtalates : quatre métabolites du DEHP (MEHP, mono-2-éthyl-5-hydroxyhexylphtalate [MEHHP], mono-2-éthyl-5-oxohexylphtalate [MEOHP] et mono-2-éthyl-5-carboxypentylphtalate [MECPP]), le mono-isobutylphtalate (MiBP), le mono-n-butylphtalate (MnBP), le mono-benzylphtalate (MBzP), le mono-éthylphtalate (MEP), le mono-carboxyisooctylphtalate (MCOP), le mono-carboxyisononylphtalate (MCNP) et le mono-3-carboxypropylphtalate (MCPP).

Le nombre d’ovocytes recueillis à l’issue de la stimulation, ainsi que le nombre des ovocytes matures (en métaphase II) est plus bas chez les femmes dont le niveau de concentration des quatre métabolites du DEHP et du MCNP (produit parent : DiDP) se situe dans le dernier quartile (p < 0,05 comparativement au premier quartile). Par ailleurs, le nombre d’ovocytes fécondés est diminué dans le dernier quartile de concentration du MCNP, ainsi que du MCOP (métabolite du DiNP), sans influence de la technique utilisée (FIV classique ou ICSI). Un effet des métabolites du DEHP sur ce critère n’est pas observé.

En revanche, la somme des métabolites du DEHP est inversement associée aux probabilités de grossesse clinique et de naissance vivante avec une tendance dose-réponse monotone. Dans le dernier quartile de concentration, les taux de grossesse clinique (38 % [IC95 : 28-49]) et de naissance (28 % [19-39]) sont significativement plus bas que dans le premier quartile (respectivement 57 % [45-67] et 47 % [36-58]). Le résultat sur le taux d’implantation n’est pas significatif (62 % dans le premier quartile [50-72] versus 49 % dans le dernier [39-60]). Une diminution des taux de succès cliniques de la FIV est observée pour chaque métabolite du DEHP individuellement. Les analyses ne montrent pas d’effet significatif du niveau des autres métabolites sur ces critères, mais la tendance générale est une diminution des performances de la FIV aux niveaux de concentrations les plus élevés.

 

Laurence Nicolle-Mir

 

 

Commentaires

Perturbateurs endocriniens : un sujet qui interroge l’interface Science-Soci_et

Est-ce aujourd’hui nécessaire d’associer un commentaire aux présentations des articles portant sur les impacts sanitaires potentiels des phtalates ? La question est d’autant plus difficile que je n’en suis pas un spécialiste, bien qu’ayant quelques connaissances me permettant de m’exprimer légitimement.Le sujet des perturbateurs endocriniens (PE) a émergé il y a 25 ans, comme nous le rappelle le colloque scientifique organisé du 18 au 20 septembre 2016 par le NIEHS ( National Institute of Environmental Health Sciences,branche de l’Institut national de la santé, spécialisée en santé environnementale, créée aux États-Unis en 1969). Depuis janvier 2016, environ un numéro sur deux d’Environmental Health Perspectives, journal de référence dans le domaine, publie un ou plusieurs articles sur les effets des phtalates, souvent dans la section « santé des enfants ». Comme c’est souvent le cas, tous les résultats ne sont pas concordants et des difficultés particulières, parmi lesquelles la mesure de l’exposition pour ces molécules à demi-vie plutôt courte, ont été mises en avant.

Plutôt que de porter mon attention sur des aspects méthodologiques des études de Hauser et al. et de James-Todd et al. [1], j’ai préféré explorer les conséquences de l’accumulation de données sanitaires sur les interventions réglementaires.

Au début des années 2000, avec l’introduction du concept de syndrome de dysgénésie testiculaire par Skakkebaek et Sharpe [2, 3], les effets développementaux et les effets sur la reproduction (mâle à l’époque) se sont trouvés associés dans une même approche. Les travaux de Swan [4, 5] ont permis d’avoir une première mesure de l’effet des expositions in utero, par leur impact sur la distance ano-génitale, devenue presque test de référence, diagnostic d’une action anti-androgène.

Que nous apporte le papier de James-Todd et al. dans ce sens ? Je dirais une extension/confirmation de l’effet des phtalates sur le syndrome métabolique dans son ensemble, sachant qu’il comprend obésité, concentrations élevées de triglycérides, résistance à l’insuline et hypertension, et que plusieurs études concluantes avaient analysé les composantes séparément. Nous avons donc ici un des différents end-points sanitaires associés significativement à l’exposition aux phtalates, même si les OR ne sont pas nécessairement très élevés.

Je me permets au passage de noter que les concentrations sériques en phtalates ont été obtenues sur des échantillons de la grande enquête de biosurveillance qui porte sur un sous-groupe de l’étude NHANES, ce qui permet de réaliser des profils d’imprégnation en divers polluants, à l’échelle des États-Unis, tous les cinq ans. Deux projets européens (COPHES et DEMOCOPHES [2009-2012]) ont exploré la faisabilité de la mise en place d’un réseau de biosurveillance en Europe, toujours en attente depuis 2012. Le Grenelle de l’environnement, en 2007, avait soutenu une telle initiative pour la France, qui n’a pas abouti non plus.

J’en viens maintenant au papier de Hauser et al., qui lui traite de l’effet des phtalates sur la reproduction, au sein d’une population qui a recours à la fécondation in vitro (FIV). Les résultats sont tout à fait significatifs et je ne reprends pas ici les principales conclusions, exposées clairement dans la brève consacrée à cet article. Notons qu’il s’agit d’une des rares études à explorer les effets reproductifs chez la femme, et que la population qui consulte pour une FIV est en constante augmentation. La démonstration d’une atteinte de la fertilité, corrélée aux concentrations sériques mesurées en certains phtalates, soulève tout au moins la question de quand le seuil de préoccupation sera atteint, poussant le décideur public à réglementer ces substances.

Ceci vaut pour les phtalates en particulier, mais aussi pour les PE en général. Les récentes tergiversations de la Commission européenne, qui a choisi une définition des PE n’ayant satisfait aucune des parties prenantes (la décision était attendue depuis 2013), méritent d’être discutées. Je note que l’ANSES (Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail) reste en faveur de l’option 3 (classification des PE en avérés, présumés et suspectés [6]) et non de celle retenue par la Commission (option 1 : seules les substances pour lesquelles des effets néfastes pour l’homme ont été démontrés seraient réglementées) qui, de plus, a proposé une évaluation des risques au cas par cas, ce que j’interprète comme une façon de s’asseoir sur le problème, impliquant pourtant des aspects sanitaires critiques. Si l’on ajoute les classiques complaintes de l’industrie, qui ne disposerait pas de molécules de substitution, on peut raisonnablement prévoir d’écrire un énième chapitre dans la série des « Signaux précoces, leçons tardives » de l’Agence Européenne de l’Environnement. Notons, qu’aujourd’hui, le DEHP, seule molécule réglementée, n’est classé que comme reprotoxique possible (classe 2 de la réglementation européenne) et affiché comme tel sur les étiquettes.

Je ne fais pas partie de ceux qui aiment les catégorisations manichéennes, par exemple, en producteurs et en victimes des risques. Si je ne propose pas de rayer d’un trait tout ce que l’industrie chimique a apporté depuis plus de 70 ans, je me demande quand nous apprendrons des erreurs d’hier et passerons de la facilité de proposer des usages de substances comportant de sérieux risques sanitaires pour leurs utilisateurs à une prudente évaluation des risques, permettant de réagir plus précocement et de réduire ainsi le nombre de victimes avant que la multiplication des résultats issus de la recherche ne remporte la conviction du décideur qu’il est temps d’intervenir et de réglementer.

Yorghos Remvikos

Professeur en santé environnementale, CEARC, Université de Versailles SQY

 

Publication analysée :

Hauser R, Gaskins AJ, Souter I, et al. Urinary phtalate metabolite concentrations and reproductive outcomes among women undergoing in vitro fertilization: results from the EARTH study. Environ Health Perspect 2016; 124: 831-9.

Department of Environmental Health, Harvard T.H. Chan School of Public Health, Boston, États-Unis.

doi: 10.1289/ehp.1509760

 

 

Références :

[1] James-Todd T, Huang T, Seely E, Saxena A. The association between phthalates and metabolic syndrome: the National Health and Nutrition Survey 2001-2010. Environ Health 2016; 15: 52. doi: 10.1186/s12940-016-0136-x.

[2] Skakkebæk N.E., Rajpert-De Meyts E., Main K.M. Testicular dysgenesis syndrome: an increasingly common developmental disorder with environmental aspects. Human Reproduction. 2001;16:972-978.

[3] Fischer J.S., Macpherson S., Marchetti N., Scharpe R.M. Human « testicular dysgenesis syndrome »: a possible model using in-utero exposure of the rat to dibutyl phthalate. Human Reproduction. 2003;18:1383-1394.

[4] Swan S.H., Main K.M., Liu F. Decrease in anogenital distance among male infants with prenatal phthalate exposure. Environ Health Perspect. 2005;113:1056-1061.

[5] Swan S.H. Environmental phthalate exposure in relation to reproductive outcomes and other health endpoints in humans. Environ Res. 2008;108:177-184.

[6] ANSES. Avis de l’ANSES sur les critères d’identification des perturbateurs endocriniens. 2016. https://www.anses.fr/fr/content/l’anses-se-prononce-sur-les-critères-d’identification-des-perturbateurs-endocriniens