ANALYSE D'ARTICLE

Lymphomes non hodgkiniens et exposition professionnelle aux pesticides : méta-analyse

La revue des études épidémiologiques publiées au cours des 30 dernières années indique que l’exposition aux carbamates, aux organophosphorés, aux herbicides phénoxy et au lindane augmente le risque de lymphomes non hodgkiniens chez les agriculteurs. Les auteurs soulignent l’absence d’études provenant de pays peu développés.

The review of epidemiological studies published in the last 30 years indicates that exposure to carbamates, organophosphates, phenoxy herbicides and lindane increases the risk of non-Hodgkin lymphoma in farmers. The authors stress the lack of studies from low- and middle-income countries.

L’importante augmentation de l’incidence des lymphomes non hodgkiniens (LNH) au cours des 30 dernières années s’est accompagnée d’une intensification des recherches visant à identifier des facteurs de risque environnementaux. Un certain nombre d’agents auxquels sont exposés les travailleurs agricoles (pesticides, engrais, autres produits chimiques, virus et endotoxines) ont ainsi fait l’objet d’investigations. Les pesticides retiennent plus particulièrement l’attention car le début de l’augmentation de l’incidence des LNH a suivi l’introduction massive des molécules organiques de synthèse. De plus, quelques études épidémiologiques ont mis en évidence un excès de cas de LNH chez des ouvriers d’usines de production de pesticides.

L’évaluation, par le Centre international de recherche sur le cancer (Circ), de la cancérogénicité de différentes molécules, est déjà ancienne, la monographie la plus contributive (volume 53) datant de 1991. La littérature épidémiologique qui traite du lien entre l’exposition professionnelle aux pesticides et le risque de LNH s’est beaucoup enrichie depuis. Cette revue des articles publiés en langue anglaise à partir de 1980 intègre 33 articles parus depuis l’année 2000 sur un total de 44 publications rapportant les résultats d’études cas-témoins, à l’exception de l’Agricultural Health Study.

Les analyses dans cette cohorte, ayant fait l’objet de 19 articles, se distinguent par le classement des sujets exposés en différentes catégories, sur la base du nombre de jours d’utilisation cumulés, pondérés ou non sur l’intensité de l’exposition (évaluée notamment en fonction du port d’un équipement de protection et de la méthode d’application). Quatre des 19 articles rapportaient également les résultats d’analyses « ever versus neveruse » que les auteurs ont utilisé pour leurs méta-analyses par groupe chimique et, à chaque fois que possible (au moins deux estimations disponibles), par substance active.

Les résultats des articles rapportant des associations entre différents pesticides et différents types histologiques de LNH ont été extraits pour des méta-analyses spécifiques.

 

 

Classes et substances associées aux LNH

Des excès de risque de LNH sont mis en évidence chez les agriculteurs exposés aux herbicides phénoxy (méta risque relatif [mRR] égal à 1,4 [IC95 = 1,2-1,6] calculé à partir de 11 estimations), carbamate/thiocarbamate (mRR = 1,4 [IC95 = 1,1-2] à partir de trois estimations) et glyphosate (mRR = 1,5 [1,1-2] : cinq estimations).

Parmi les insecticides, des associations sont identifi ées avec les organophosphorés (mRR = 1,6 [1,4-1,9] : quatre estimations) et en particulier avec le malathion (mRR = 1,8 [1,4-2,2]) et le diazinon (mRR = 1,6 [1,2-2,2]), ainsi qu’avec les carbamates (mRR = 1,7 [1,3-2,3] à partir de trois estimations) et en particulier le carbaryl (mRR = 1,7 [1,3-2,3]) et le carbofuran (mRR = 1,6 [1,2-2,3]). Dans le groupe des organochlorés, des associations sont mises en évidence avec

le lindane (mRR = 1,6 [1,2-2,2] : quatre estimations) et le dichlorodiphényltrichloroéthane (DDT : mRR = 1,3 [1,1-1,5] : sept estimations).

Trois associations sont identifiées dans les méta-analyses par type de LNH. L’exposition aux herbicides phénoxy est ainsi associée à un excès de risque de lymphome B diffus à grandes cellules (mRR = 2 [1,1-3,7]) et de lymphome à cellules B (mRR = 1,8 [1,2-2,8]). Ce type de lymphome est également associé à l’organophosphoré glyphosate (mRR = 2 [1,1-3,6]).

Différentes analyses de sensibilité ont été effectuées pour examiner l’impact sur les résultats des sources d’hétérogénéité entre les études, en particulier le sexe des sujets inclus (population uniquement masculine ou mixte), la zone géographique étudiée (Amérique du Nord, Europe ou autre) et la période au cours de laquelle les LNH ont été diagnostiqués (1975-1989, 1990-1999 ou à partir de 2000). Ces analyses montrent la robustesse des associations avec les carbamates, les organophosphorés et le lindane.

 

Directions pour les futurs travaux

Si cette revue de la littérature indique que l’exposition aux pesticides pourrait être un facteur de risque important de LNH chez les agriculteurs, elle révèle aussi un manque criant d’études provenant de pays peu développés. Des 44 articles, 34 sont relatifs à des études réalisées en Amérique du Nord, dont 27 aux États-Unis, et 8 rapportent les résultats d’études conduites en Europe, dont quatre en Suède. Les exceptions sont une étude néo-zélandaise et une autre australienne. Ce manque de connaissances doit être comblé sachant que les cancers hématopoïétiques représentent aujourd’hui une proportion significative des cancers de l’adulte dans les pays pauvres, que la production agricole y est importante et que le port d’équipements de protection est souvent négligé.

Les résultats des travaux émanant d’Amérique du Nord et d’Europe forment un enseignement qui pourrait s’appliquer au reste du monde, mais ils ne concernent qu’une partie des pesticides existants. Sur la base de cette revue, l’association avec le LNH a été estimée pour 13 groupes chimiques d’herbicides et 28 substances actives, cinq groupes de fongicides et 12 substances actives, et pour trois groupes d’insecticides et 40 molécules. Or, plus de 1 700 substances sont recensées. Toutes ne sont pas employées en agriculture ni commercialisées dans tous les pays : il serait intéressant d’établir la liste des produits les plus utilisés par région pour mener des investigations ciblées.

L’autre grande direction dans laquelle des progrès sont attendus est l’examen plus approfondi des effets de l’exposition aux pesticides sur chaque type de LNH. Cette famille de cancers du tissu lymphoïde forme en effet un groupe de maladies très hétérogène susceptibles de répondre à diverses étiologies. Seuls 10 des 44 articles passés en revue fournissait des analyses selon le type histologique, nécessaires pour mettre en évidence certaines associations spécifiques.

Laurence Nicolle-Mir


Publication analysée :

Schinasi L1, Leon ME. Non-Hodgkin lymphoma and occupational exposure to agricultural pesticide chemical groups and active ingredients: a systematic review and meta-analysis. Int J Environ Res Public Health 2014; 11: 4449-4527.

doi: 10.3390/ijerph110404449

 

1 Section of Environment and Radiation, International Agency for Research on Cancer, Lyon, France.